C'est la raison d'être de l'ANRT que de faire le lien entre acteurs publics et privés de la recherche. Si notre association, forte de 300 membres - nombre en augmentation rapide puisque 40 d'entre eux nous ont rejoint l'an passé - est jugée utile par ses adhérents, c'est qu'en dépit de quelques progrès, il reste encore bien du chemin à parcourir pour faire travailler ensemble pouvoirs publics et entreprises.
Je le dis d'emblée, tous nos membres, y compris les établissements supérieurs d'enseignement et de recherche, ont une vision positive du crédit d'impôt recherche, outil qu'ils jugent adapté au développement des écosystèmes, lesquels constituent la clé de l'efficacité d'un système de recherche et d'innovation, partant, de l'attractivité d'un pays. Le crédit d'impôt recherche a de fait cette vertu qu'il bénéficie à tous les membres de l'écosystème.
Sans ignorer le principe d'annualité budgétaire, je tiens à souligner que la première vertu d'une incitation fiscale réside dans sa stabilité. Si, reprenant certains voeux de nos membres, nous pouvons être amenés à formuler des recommandations visant à améliorer le dispositif, je serais presque tenté d'ajouter que la première d'entre elles serait de les ignorer. À vouloir toujours améliorer l'outil, on nuit à son efficacité.
La sécurité du dispositif est un enjeu tant pour le contrôleur, soucieux du bon emploi des deniers publics, que pour les usagers : la meilleure preuve en est le recours assidu que font les entreprises, pour monter leur dossier, aux cabinets de conseil. Le fait est que le dispositif n'est pas simple à manier. La première question est celle de l'éligibilité des dépenses, qui, par construction, doit nécessairement faire l'objet d'une appréciation, puisque le crédit d'impôt recherche couvre aussi les dépenses de développement. Or, entre développement et production, la frontière n'est pas nette : il s'agit d'un processus continu. C'est donc à préciser la définition que l'on doit mettre la plus grande diligence dans l'effort. En s'inspirant, certes, du manuel de Frascati, mais dans la conscience que l'on ne saurait appliquer le même compas à l'industrie automobile ou à celle du logiciel. D'où la nécessité d'une interaction avec les entreprises. Et ce n'est pas la dernière fois que vous m'entendrez plaider en ce sens, tant l'effort de concertation doit être permanent.
Ceci n'est pas sans lien avec la difficile question de la professionnalisation du contrôle. Le crédit d'impôt recherche concerne le ministère de la recherche et celui des finances, qui associent leurs forces dans ces opérations de contrôle, ce qui témoigne de la difficulté du processus. Les experts académiques ont du mal à apprécier où sont les défis et les incertitudes qui affectent l'activité des entreprises : le contact direct permet de lever, mieux que tout document écrit, bien des malentendus.
Autre risque : la confusion entre la recherche et l'innovation, qui n'est pas éligible. Sur suggestion de l'un de nos membres, nous recommandons de revenir à l'instruction fiscale de 2012, qui distinguait mieux ces deux aspects. Le formulaire de déclaration, en l'état, peut laisser penser à l'entreprise qu'elle doit mettre l'accent sur l'innovation, au risque d'étendre leur déclaration au-delà de l'assiette éligible, ce qui peut lui valoir bien des déboires. Cela dit, l'opinion des entreprises sur les contrôles est globalement positive, même si quelques cas négatifs l'entachent, et que se pose la question des délais, liée au calibrage des moyens de contrôle au regard de l'ampleur qu'a pris le crédit impôt recherche. L'un de nos membres estime ainsi que le plus simple serait de mettre sur pied une brigade dédiée d'une trentaine de personnes. La question ne peut sans doute pas s'apprécier d'une manière si simple, mais elle reste une préoccupation
Le dialogue entre administration et entreprises, encore une fois, est fondamental. Il peut arriver que l'administration soit amenée à apporter des précisions aux dispositions en vigueur. L'instruction fiscale d'avril 2014 sur la sous-traitance visait ainsi à éviter qu'une même dépense soit à la fois déclarée par celui qui passe commande et par celui qui exécute. Mais outre qu'elle a eu des effets rétroactifs sur l'année 2013, les sociétés de recherche sous contrat font observer qu'il est devenu plus avantageux pour elles de travailler avec une entreprise étrangère, que le crédit d'impôt recherche ne concerne pas.
Pour sécuriser les entreprises, l'administration propose la procédure du rescrit, qui a cependant ses limites. Si le programme réalisé ne correspond pas exactement au projet proposé, l'accord donné dans le rescrit ne s'applique pas. Or, un programme de recherche se déroule rarement comme prévu. Le Conseil d'Etat propose que le rescrit puisse être évolutif. C'est là, à mon sens, un exemple de ces bonnes idées que je vous recommandais tout à l'heure d'écarter, car au motif de le rendre plus juste, elle rendrait le dispositif plus complexe.
J'en viens au chapitre qui est au coeur de notre message. Dès lors qu'une dépense s'élève à 5 ou 6 milliards par an, on soupçonne aussitôt l'effet d'aubaine et ce sont les grandes entreprises qui se trouvent immanquablement dans le collimateur. Autant il serait contraire à notre mission que de nous employer à défendre telle ou telle catégorie de nos membres, autant il nous revient d'établir un constat exhaustif. Or, nous ne pouvons que constater le rôle indispensable que jouent les grandes entreprises dans les écosystèmes. Ajoutons que ce sont elles qui peuvent le plus aisément délocaliser leurs équipes d'un pays vers un autre. Plusieurs grands patrons nous l'ont dit sans balancer : c'est ce qu'ils feront si le crédit d'impôt recherche disparaît.
Nous apportons, dans ce débat, un repère. Nous avons agrégé les données qui nous ont été fournies par les groupes internationaux relatives au coût des chercheurs dans leurs différentes implantations. Il en ressort que sans le crédit impôt recherche, la France se situerait au niveau des pays les plus chers, juste après les États-Unis, tandis qu'avec le crédit impôt recherche, elle se situe dans la moyenne haute des pays de l'OCDE.
La France se caractérise par un niveau d'imposition plutôt élevé pour les entreprises, assorti de dégrèvements fiscaux ciblés. La raison d'être du crédit impôt recherche est bien de ramener la fiscalité pesant sur les entreprises qui font de la recherche au niveau qui est celui de la moyenne internationale. C'est un outil à ne pas confondre avec d'autres incitations, comme celles du plan d'investissements d'avenir. La localisation des forces de recherche déborde le seul enjeu de la recherche. La France compte un nombre remarquable de grands groupes internationaux, dans lesquels la puissance de recherche est très étroitement associée à la décision stratégique et à la conception des orientations futures de l'entreprise. Là où est le cerveau, là est la maison. Les entreprises françaises créent aussi des laboratoires de recherche à l'étranger, mais ce sont souvent des laboratoires d'application ou qui sont faits, comme en Californie, pour capter le savoir local.
Le reproche souvent adressé au CIR est qu'il n'entraîne pas une augmentation à proportion des dépenses de recherche des entreprises françaises. On sait que ce sont les entreprises industrielles qui réalisent 80 % de l'effort de recherche. Si l'on regarde l'effectif des entreprises industrielles françaises au cours de la dernière décennie, on constate qu'il ne cesse de baisser, comme la part de l'industrie dans le PIB - elle est, en France, presque deux fois moindre de ce qu'elle est en Allemagne : l'écart est de 11 %. Or, sur la même période, les effectifs de recherche des entreprises française ont augmenté.