Intervention de Christian Manable

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 18 juin 2015 : 1ère réunion
Présentation du rapport de mm. françois calvet et christian manable : « xynthia : 5 ans après pour une véritable culture du risque dans les territoires »

Photo de Christian ManableChristian Manable, rapporteur :

Comme l'a indiqué François Calvet, notre constat est en demi-teinte : certes, les services de l'Etat se sont, aussitôt après la tempête, engagés dans le perfectionnement du système de prévention des risques et de protection des populations, mais les actions réalisées depuis n'ont toujours pas permis de développer une véritable « culture du risque » sur nos territoires. Celle-ci passe en effet par une meilleure communication entre les acteurs ainsi qu'un partage clair des responsabilités dans la diffusion aux populations de l'information sur le risque. Comme nous le disait une des personnes que nous avons auditionnées, il s'agit de mettre en oeuvre « une démarche transversale à l'ensemble de la société ».

Nous le savons, les phénomènes météorologiques extrêmes sont amenés à se reproduire et, au-delà de la nécessaire meilleure prise de conscience des risques, il faut réaliser des projets de territoire qui intègrent ceux-ci. En clair, le risque n'est pas seulement une contrainte, mais peut être un facteur de projet de territoire.

C'est dans cette perspective que nous vous présentons dix recommandations ciblant trois objectifs : mieux préparer la population et les élus locaux ; clarifier la planification urbanistique en amont du risque ; améliorer la transmission de l'alerte en cas de réalisation du risque.

Notre première recommandation appelle les collectivités territoriales à déployer le plus rapidement possible les repères de crue. Nous avons en effet pu constater le recours trop faible à cet outil simple de visualisation du risque. À titre d'exemple, dans les communes touchées par la tempête Xynthia, l'Etat avait distribué 2 000 repères de crue. Selon les chiffres fournis par le ministère de l'Ecologie, seuls 295 repères ont été installés à ce jour. Une instruction du Gouvernement du 14 janvier dernier a même été publiée pour accélérer la pose des repères de crue. Je rappelle que les collectivités territoriales peuvent, au titre des PAPI, bénéficier d'une aide financière à hauteur de 50 % du coût de la pose, financée par le fonds Barnier. Nous devons encourager au niveau territorial ces initiatives en complément des actions de l'État, qui prévoient notamment la création d'un site internet national, ouvert au public, des repères de crue.

Notre deuxième recommandation vise à engager une concertation entre les collectivités territoriales, l'Etat et les assureurs afin de créer un système d'indemnisation des catastrophes naturelles qui soit plus responsabilisant pour les populations, autrement dit un système de malus ou d'indemnisation dégressive en cas d'absence d'efforts de prévention. En effet, la mise en place d'un mécanisme d'indemnisation plus responsable nous apparaît comme un outil efficace pour préparer les populations face aux risques. Le CGEDD, que nous avons auditionné, regrettait le caractère déresponsabilisant des indemnisations qui ne sanctionnent pas l'insuffisance des efforts de prévention et d'amélioration de la résilience. Il plaidait pour la mise en place à cet égard d'un mécanisme plus responsable qui influerait sur les comportements tant des élus que des citoyens. Bien évidemment, cela ne peut se faire qu'en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés : secteur de l'assurance, usagers, Etat et collectivités. Nous devons responsabiliser nos concitoyens en leur transmettant la culture du risque. Au passage, cela nous permettrait d'économiser des ressources précieuses du fonds Barnier. À La Faute-sur-mer, 600 maisons sur un total de 2 000 ont été détruites. C'est le fonds Barnier qui a indemnisé leurs propriétaires. Nous nous sommes rendus sur place ; nous en sommes revenus psychologiquement marqués après avoir constaté le piège dans lequel les habitants ont été enfermés, dans des maisons dont les volets roulants étaient fermés. Nous avons également vu l'emplacement entouré de digues où les maisons ont été rasées et nous nous sommes rendus au mémorial sur lequel sont gravés les noms de 29 victimes, dont des familles entières. M. Retailleau nous a également fait part des témoignages recueillis par les pompiers au téléphone. Un des responsables d'une association nous a reçus chez lui, dans une maison reconstruite comptant une pièce de sauvegarde en hauteur, et nous a montré le buffet sur lequel il avait passé la nuit avec sa femme, et qui était heureusement disposé contre un mur porteur. Le village reste marqué par cette catastrophe.

Notre troisième recommandation constitue sans doute la pierre angulaire de nos réflexions : il s'agit de développer la sensibilisation du public à la prévention des risques d'inondation et de submersion en expliquant aux populations exposées les comportements à adopter en cas de survenance de ces événements, avec un effort particulier auprès des jeunes publics, grâce au soutien de l'Education nationale. La culture du risque, ce n'est pas le risque zéro, mais le fait d'apprendre à vivre avec le risque. Dans notre pays, de nombreuses associations spécialisées réalisent un travail remarquable en matière de prévention des risques. Nous avons pu rencontrer des acteurs de terrain, comme l'association IFFO-RME (Institut français des formateurs Risques majeurs et protection de l'environnement), qui sensibilise nos concitoyens à la culture du risque, afin que chacun devienne acteur de sa propre sécurité, pour reprendre les mots mêmes de la loi de 2004 de modernisation de la sécurité civile. Ce changement de paradigme nous paraît indispensable. Information et éducation sont les deux piliers de l'évolution des comportements, notamment auprès des jeunes publics.

Notre quatrième recommandation vise à garantir des moyens financiers et humains suffisants dans les préfectures afin d'assurer une aide technique aux collectivités territoriales en matière de prévention des risques naturels. Face à la complexité des outils de prévention des risques à mettre en place, de nombreuses communes se trouvent parfois démunies. En Vendée, des efforts ont été réalisés depuis la tempête Xynthia par les services déconcentrés pour accompagner les communes dans l'élaboration des plans communaux de sauvegarde. Nous avons pu constater que l'association des maires et présidents des communautés de communes de Vendée avait apporté un soutien significatif en mettant à disposition un chargé de mission spécifiquement dédié. Toutes les communes exposées au risque ne peuvent hélas pas bénéficier du même type d'assistance et c'est pourquoi nous devons leur assurer une aide technique pérenne. Cette dernière est évidemment conditionnée par la préservation de moyens humains et financiers suffisants dans les préfectures. C'est le sens de notre proposition.

Notre cinquième recommandation vise à prévoir une information systématique du conseil municipal par le maire, en début de mandat, sur les risques naturels encourus par la commune. La décision du TGI des Sables-d'Olonne, actuellement en appel, a mis en évidence des carences en matière de bonne information du conseil municipal de La Faute-sur-Mer sur les risques naturels majeurs. Or, il existe une large information relative à ces risques ; elle doit être portée à l'attention des élus du conseil municipal, et non uniquement du maire. À titre d'exemple, dans le département de la Somme, une expérience intéressante a associé le préfet, les élus locaux et l'IFFO-RME, à travers des rencontres et des ateliers menés dans chaque circonscription. Ces réunions sur les risques majeurs rencontrent un succès certain auprès des maires. Les catastrophes récentes ont en effet suscité une véritable prise de conscience de l'opinion publique et des élus. Nous devons encourager ce type d'initiatives et diffuser au maximum l'information relative aux risques auprès des élus locaux. L'IFFO-RME se tient à la disposition des élus locaux pour cela.

Les recommandations 6, 7, 8 et 9 visent à clarifier la planification urbanistique.

Notre sixième recommandation a pour but d'en finir avec la fragmentation du droit et des outils relatifs aux risques naturels. On nous l'a suffisamment répété lors de nos auditions : l'accumulation des instruments juridiques relatifs aux risques naturels engendre une complexité administrative qui devient asphyxiante pour les collectivités territoriales et qui brouille le message. C'est pourquoi nous recommandons d'engager d'urgence un travail de simplification associant les services de l'Etat et les associations d'élus afin de rendre plus lisible l'articulation des outils relatifs aux risques.

Nous souhaitons également renforcer l'opposabilité des plans de prévention des risques. Aujourd'hui, un plan de prévention des risques vaut servitude de droit public. De ce fait, il s'impose automatiquement aux documents d'urbanisme (le PLU, par exemple). Toutefois, devant la multitude de textes à prendre en compte, il n'est pas toujours aisé de savoir quel document est applicable. C'est pourquoi, dans un objectif de plus grande lisibilité, nous proposons là encore, dans notre septième recommandation, de prévoir une obligation pour les communes de réviser leurs documents d'urbanisme en cas d'approbation, de mise en application anticipée ou de modification d'un PPR.

Comme vous le savez, dans quelques jours (le 1er juillet 2015), le nombre des communes bénéficiant d'une instruction de leurs permis de construire à titre gratuit va diminuer de façon draconienne. À partir de cette date, l'enjeu du contrôle de légalité sur les permis de construire, comme moyen de sécuriser les maires, deviendra donc crucial. Nous partageons l'inquiétude de la Cour des comptes au sujet des effectifs qui y sont consacrés, du fait de la réorganisation des services déconcentrés. C'est pourquoi nous souhaitons - c'est l'objet de notre recommandation n° 8 - sécuriser les élus locaux en assurant la présence d'effectifs suffisants dans les préfectures afin de garantir un contrôle de légalité extensif et de qualité sur les actes d'urbanisme.

Toujours dans le domaine de l'urbanisme, nous avons été sensibles à un problème rencontré par de nombreux maires : celui de l'aménagement de « cabanons » (ou HLL, habitations légères de loisirs) devenus au fil du temps de véritables habitations pérennes, sans qu'aucune demande de permis de construire n'ait été formulée. De nombreux maires craignent de voir leur responsabilité engagée, d'autant que la procédure pour obtenir la destruction des constructions réalisées sans permis de construire est particulièrement difficile à mener à terme. Afin d'accélérer les procédures et pour simplifier la vie des élus locaux, nous recommandons de désigner dans les services du parquet des substituts du procureur de la République spécialisés dans le contentieux des actes d'urbanisme, compétents en particulier en matière de construction illégale (recommandation n° 9).

Enfin, pour répondre au souci d'améliorer l'alerte et la transmission des appels d'urgence, nous avons souhaité recommander de soutenir le déploiement sur l'ensemble du territoire du nouveau système d'alerte fondé sur le SMS « selfbroadcasting », permettant une alerte rapide de la population, même en cas de fonctionnement dégradé des réseaux. Concrètement, dans les situations d'urgence, l'enjeu principal est de pouvoir transmettre rapidement l'information en évitant toute saturation du réseau. Cette capacité est conditionnée au déploiement d'un système communément appelé « selfbroadcasting », qui existe déjà dans certains pays comme les Pays-Bas ou Israël, et présente un triple avantage : il n'y a pas de problèmes de saturation ; ce canal ne peut pas être désactivé par l'utilisateur ; si le téléphone est éteint, il est automatiquement rallumé pour transmettre le message.

Selon nos informations, le ministère de l'Intérieur s'est récemment rapproché du ministère de l'Economie et du numérique. Ils envisagent la mise en place d'une inspection interministérielle sur la possibilité et les conditions du déploiement de cette technique en France. Nous l'appelons de nos voeux.

Avant de conclure, je souhaiterais insister sur la complémentarité de notre collaboration : un sudiste et un nordiste, un juriste et un historien-géographe. Nous avons travaillé en bonne intelligence. J'ai eu vraiment plaisir à travailler avec François Calvet.

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