Intervention de Marie-Christine Blandin

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 10 juin 2015 : 1ère réunion
Présentation du chantier de déconstruction de chooz et de la station de pompage-turbinage de revin 4 juin 2015 ardennes françaises

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin, sénatrice :

Chers collègues, comme vous le savez, l'Office a organisé la semaine dernière un déplacement dans les Ardennes. Étant la seule à y avoir participé, il m'a semblé intéressant de vous en faire aujourd'hui un bref compte rendu.

Initialement, l'organisation de ce déplacement répondait à une invitation du président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs à accompagner celle-ci durant une visite d'un réacteur nucléaire en déconstruction, à Chooz.

Cette commission a été créée par la première loi de 1991 sur la gestion des déchets nucléaires, dont notre collègue Christian Bataille était rapporteur. Elle a été reconduite, sous une nouvelle forme, par celle du 30 juin 2006, d'où son autre nom CNE2. Elle est composée de scientifiques de haut niveau, pour partie étrangers, tous bénévoles.

Une station de transfert d'énergie par pompage se trouvant sur le chemin du retour, je l'ai également visitée.

Je vais donc commencer par vous dire quelques mots de mes constats sur la déconstruction en cours à la centrale de Chooz. Cette centrale comprend, à côté de deux réacteurs nucléaires de dernière génération de 1 450 mégawatts chacun, le premier réacteur à eau pressurisé (REP) construit en France, dénommé Chooz A. Ce réacteur, d'une puissance de 350 mégawatts, est entré en service en 1967. Il est installé dans deux cavernes rocheuses, sous la colline. L'une de ces cavernes accueillait le réacteur entouré de ses quatre générateurs de vapeur et l'autre la piscine pour les combustibles usés, ainsi que les circuits de secours. Son exploitation commerciale a pris fin en 1991.

Suite à la publication du décret de mise à l'arrêt définitif du réacteur en 1993, EDF a d'abord adopté une stratégie de « démantèlement différé », consistant à attendre, après l'évacuation des combustibles et des fluides (qui représentent 99 % de la radioactivité), la décroissance progressive de la radioactivité dans la partie nucléaire de l'installation.

Mais, à partir de 2001, EDF a changé de stratégie, en optant pour un « démantèlement immédiat ». Le décret autorisant le démantèlement complet de Chooz A a été publié en 2007. À ce stade, seuls les bâtiments conventionnels, tels que la salle des machines ou les locaux administratifs, avaient été démolis.

J'ai été assez surprise de découvrir que la déconstruction de ce réacteur avait contraint EDF à construire de nouveaux équipements sur le site, par exemple une installation d'entreposage temporaire, un système de ventilation, un atelier de découpe ou encore de nouvelles plateformes de travail.

J'ai constaté que, depuis l'autorisation de 2007, le circuit primaire avait été complétement découpé et évacué, tout comme les quatre générateurs de vapeur de plus de cent tonnes chacun. Le dernier, repeint à neuf, était encore entreposé à l'extérieur de la centrale, en attente d'être transporté vers le Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (Cires) de Morvilliers.

En tant que premier réacteur à eau pressurisé démantelé en France, Chooz A constitue pour EDF une occasion de mettre en oeuvre des techniques qui pourront être adaptées, le jour venu, pour les 58 réacteurs de la filière REP actuellement en service.

Certaines de ces techniques ont déjà été mises en oeuvre dans d'autres pays, par exemple en Allemagne ou aux États-Unis d'Amérique. Cela explique qu'il soit, par exemple, fait appel, dans le cadre d'un appel d'offres européen, à la société américaine Westinghouse pour découper la cuve du réacteur.

Il faut bien comprendre que le démantèlement des centrales nucléaires constitue une nouvelle activité industrielle, en développement dans le monde, nécessitant de nouvelles compétences et représentant un large gisement d'emplois. À cet égard, M. Bertrand Martelet, directeur du Centre d'ingénierie déconstruction environnement d'EDF (CIDEN), a précisé qu'il avait engagé des démarches auprès des établissements de formation de la filière nucléaire pour le recrutement de jeunes diplômés.

Je considère que, compte tenu de son image de leader du secteur nucléaire, la France dispose d'un vrai potentiel dans cette nouvelle activité. Mais nos voisins semblent prendre de l'avance, grâce à une approche pragmatique et industrielle. Je me demande si des réticences idéologiques internes à nos grandes entreprises EDF et AREVA - réticences aux mutations de politique énergétique - n'ont pas contribué à retarder le développement de ce pôle de compétitivité.

Au-delà de la question des compétences subsiste aussi celui des volumes, gigantesques, de la traçabilité, a priori bien assurée, et du devenir des déchets, encore en débat.

Sur les 36 000 tonnes de déchets que doit produire le site, 26 000 tonnes ne sont pas radioactives. Elles proviennent des structures extérieures, comme les bâtiments administratifs. Le reste est traité en fonction du niveau de radioactivité. 7 200 tonnes de déchets très faiblement radioactifs (TFA) seront transportés au centre de Morvilliers. 2 800 tonnes de déchets faiblement et moyennement radioactifs à vie courte (FMA-VC) iront au centre de Soulaines. Enfin, 30 tonnes de déchets moyennement radioactifs à vie longue (MAVL), issus de la cuve du réacteur, seront entreposés sur le site de l'Iceda (Installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés), près de la centrale du Bugey.

Enfin, les difficultés d'évacuation de certains éléments, par exemple les générateurs de vapeur, proches de leur infrastructure en béton, qui ont pu être résolues en faisant appel à des logiciels de simulation en trois dimensions, rappellent la nécessité de futures « écoconceptions » dans les filières énergétiques afin d'anticiper les fins de vie.

En conclusion de cette visite de la centrale de Chooz, le professeur Hervé de Kerret, chercheur au laboratoire « Astroparticule et cosmologie » de l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3), au CNRS, a présenté le projet « Double Chooz ». Ce projet est, pour une bonne part, financé par EDF. Il vise à étudier le comportement des neutrinos émis sur ce site en très grand nombre (plus d'un millier de milliards de milliards chaque seconde) par les réacteurs nucléaires en activité, tout comme par de nombreuses autres sources (soleil, supernovas, etc.)

Dans le cadre de ce projet, deux détecteurs ont été installés, l'un à proximité de ces réacteurs en activité et l'autre à une distance de l'ordre du kilomètre, dans l'une des galeries d'accès au réacteur Chooz A, sous 150 mètres de roche. Ces recherches pourraient conduire à diverses applications pratiques, comme la lutte contre la prolifération nucléaire. Un détecteur de neutrinos pourrait être installé près d'un réacteur, afin de caractériser à distance le combustible brûlé, à visée civile ou militaire, évitant ainsi les inspections sur site de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

J'en viens maintenant à la station de transfert d'énergie par pompage (STEP) de Revin. Cette centrale hydroélectrique a été mise en service en 1976. Elle comprend deux bassins d'environ neuf millions de mètre cubes, séparés par un dénivelé de 230 mètres. Les équipements sont installés dans une caverne d'une longueur de 115 mètres. En heures creuses, quatre gigantesques turbines pompent l'eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur. Pour vous donner une idée du poids de ces machines, sachez que le rotor pèse à lui seul environ 300 tonnes. Aux heures de pointe, l'eau est relâchée au travers d'une chute de neuf mètres, à raison d'un débit maximal de 400 mètres cubes par seconde, pour actionner ces mêmes turbines (400 mètres cubes, c'est presque le double du débit moyen de la Seine). Deux minutes seulement après leur démarrage, les turbines développent une puissance totale de 800 mégawatts, équivalente à celle d'un réacteur nucléaire. Je vous rappelle que la majorité des réacteurs du parc nucléaire ont une puissance de 900 mégawatts et qu'il leur faut plusieurs jours après un démarrage pour atteindre cette puissance.

EDF dispose à ce jour de quatre stations de ce type. La plus importante est celle de Grand'Maison, en Isère, d'une puissance supérieure à 1 100 mégawatts. Au-delà de leur rôle premier de report de la production, ces centrales assurent de multiples services, comme le réglage de la tension et de la fréquence sur le réseau, la garantie de puissance en heure de pointe, le secours en cas d'incident majeur sur le réseau et, après un éventuel blackout de ce dernier, l'aide au redémarrage des centrales électriques.

Le directeur de la centrale m'a d'ailleurs indiqué que le développement des énergies renouvelables variables a profondément modifié les conditions d'exploitation de la STEP de Revin. Cette centrale était à l'origine simplement destinée à reporter la production d'énergie des périodes nocturnes de faible demande vers les périodes diurnes de demande plus conséquente. Aujourd'hui, elle est sollicitée de façon constante. En 2014, elle a connu 4 476 démarrages, soit plus de douze fois par période de vingt-quatre heures, pour 6 800 heures de fonctionnement, soit plus de dix-huit heures quotidiennement.

Je tiens à souligner que l'importance croissante de ces installations pour la résilience du réseau électrique pose la question délicate de leur rentabilité. Le rendement global - c'est à dire le rapport entre l'énergie restituée par turbinage et celle consommée lors de la phase de pompage - de la centrale hydroélectrique de Revin s'établit à 74 %. Compte tenu des charges d'amortissement des investissements, de maintenance et d'exploitation, le rapport entre le prix de l'électricité en heure creuse et celui en heure pleine devrait être significativement inférieur à ce pourcentage pour atteindre l'équilibre financier. Or, ce ratio a tendance à se réduire en Europe, du fait de la production d'électricité d'origine renouvelable. À ce problème financier, s'ajoute, pour les nouveaux projets, celui de l'acceptabilité sociale. Il n'est donc pas surprenant qu'un certain nombre de projet de création ou d'extension de STEP se trouvent retardés en Europe.

L'existence d'un opérateur national tel qu'EDF permet, indépendamment du seul critère de rentabilité financière, une prise en compte plus globale des gains procurés par une station de transfert d'énergie par pompage, notamment en termes de sécurisation du réseau et des systèmes électriques. Par exemple, j'ai appris que, en cas de blackout sur le réseau - un événement heureusement hautement improbable -, c'est la centrale de Revin qui permettrait d'assurer le rétablissement de la fréquence de 60 hertz sur le réseau électrique et le redémarrage des centrales nucléaires de Chooz, Cattenom, Fessenheim et Gravelines.

Le directeur de la centrale de Revin a expliqué que la direction d'EDF a décidé de privilégier la rénovation des STEP existantes plutôt que la création de nouvelles installations. Par exemple, à Revin, EDF a engagé, sur la période 2014-2019, une rénovation représentant un investissement de l'ordre de 100 millions d'euros. Cette opération doit permettre un gain de rendement de l'ordre de 3 % et la prolongation d'une quarantaine d'années de la vie de l'installation. Durant ces travaux, la centrale hydraulique continuera de fonctionner normalement avec trois groupes en exploitation, à l'exception de deux périodes de trois mois en 2016 et 2019.

Pour conclure, je veux souligner que, à Revin, j'ai été frappée par l'attention portée à la sécurité par l'équipe d'EDF qui comprend une trentaine de salariés. Même les personnels des sous-traitants bénéficient d'une formation rapide à la sécurité (actuellement, Alstom et la société autrichienne Andritz sont impliqués dans les travaux de rénovation). A contrario, la direction du site de Chooz A, où interviennent pourtant trois niveaux de sous-traitance, m'avait indiqué que leurs seuls interlocuteurs sur cette question cruciale étaient les responsables des entreprises contractantes.

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