Je ne partage en aucun cas les conclusions de ce rapport que je considère comme un rapport idéologique, ne reflétant pas fidèlement la réalité du Royaume-Uni.
Tout d'abord, vous évoquez un taux de chômage de 5,4% mais il diffère de ce qui est annoncé dans l'ouvrage du cercle d'outre-Manche relatif à la France et au Royaume-Uni face à la crise, que vous nous avez communiqué. Il y est précisé que le chiffre britannique de 2,5 millions de chômeurs en 2013 ne tient pas compte des chômeurs qui ont travaillé à temps partiel, de ceux qui ont abandonné toute recherche d'emploi ni de ceux qui ont reçu une formation. Le congrès des syndicats britanniques -TUC- estime pour sa part que le chômage au Royaume-Uni, toutes catégories confondues, touche au total 4,7 millions de personnes. Toute comparaison appelle donc une grande prudence.
Ensuite, il me semble nécessaire d'évoquer sous tous ses aspects le modèle britannique que vous présentez comme porteur d'effets positifs et de dispositifs utiles aux entreprises, et, selon vous, plus efficace que le modèle français. Je voudrais donc apporter des précisions sur les conséquences tout d'abord sociales, puis économiques de ce modèle britannique.
Du point de vue social, je m'attacherai simplement à rappeler certaines données que je tire directement de l'étude comparative du cercle d'outre-Manche précitée. Cette dernière nous apprend notamment qu'il existe au Royaume-Uni des « sous-SMIC jeunes ». Ainsi, en 2014, pour les moins de 18 ans, le salaire minimum est de 4,5 euros de l'heure, pour les 18-21 ans, de 6 euros de l'heure et pour les 22 ans et plus, le salaire minimum est de 7,5 euros de l'heure, alors qu'en France le SMIC s'établit à 9,6 euros de l'heure pour tous les travailleurs. Si telle est la voie que nous voulons prendre, il s'agit de le dire clairement et distinctement.
Par ailleurs, je m'inscris en faux contre l'affirmation selon laquelle les « contrats zéro heure » n'auraient pas créé de précarité. Sans dire que ces derniers sont l'unique cause de l'explosion de la précarité en Grande-Bretagne, il me semble qu'ils en sont probablement une. Les salariés sous contrat « zéro heure » expriment le fait qu'ils vivent « au jour le jour » sans aucune perspective. Ce modèle ne me paraît pas nécessairement transposable en France.
Je souligne également qu'au Royaume-Uni, parallèlement au développement des « contrats zéro heure », les aides sociales ont été attaquées de toutes parts -ce qui a valu au Premier ministre britannique un surnom de « boucher des allocations ». Un exemple frappant est celui de la bedroom tax qui frappe les plus personnes les plus vulnérables, en leur retirant des aides au logement ; elle a notamment touché les personnes handicapées utilisant une pièce pour y stocker leur matériel médical.
Le bilan social de ce modèle se traduit par 13 millions de britanniques vivant aujourd'hui sous le seuil de pauvreté et 1 million de personnes - contre quelques dizaines de milliers auparavant - ayant recours au Trussell Trust, la principale banque alimentaire britannique.
J'entends bien que vous souhaitez surtout vous inspirer du système britannique d'un point de vue économique, et non pas social, mais de ce point de vue aussi, un certain nombre d'éléments me permettent de nuancer fortement, voire de contredire, le tableau que vous faites des réussites économiques découlant de ce modèle. Tout d'abord, la Grande-Bretagne vient seulement de retrouver son niveau de PIB d'avant-crise, quand la France l'a retrouvé bien avant. Les lois sociales et le code du travail sont autant d'amortisseurs sociaux qui nous ont préservés. De ce point de vue, notre modèle est plus efficace.
D'autres indicateurs économiques, à contre-courant de l'apparence de réussite économique du Royaume-Uni, peuvent être mis en avant. Le niveau de déficit public s'établit à 6,5% -je reprends ici les chiffres de l'ouvrage du cercle d'outre-Manche-, l'endettement des ménages britanniques est deux fois plus important que celui des ménages français. Enfin, vous avez souvent mis l'accent, à juste titre, sur la croissance de l'investissement productif, de 8,5% en 2014. Toutefois cette hausse intervient après une chute de 20% entre 2008 et 2013.
Pour conclure et à l'aune de l'ensemble de ces paramètres, je ne vois dans le système britannique ni l'efficacité économique que vous défendez, ni l'efficacité sociale et encore moins un modèle.