Intervention de Henri Cabanel

Délégation sénatoriale aux entreprises — Réunion du 21 mai 2015 : 1ère réunion
Compte rendu du déplacement des membres de la délégation dans l'hérault le 11 mai 2015

Photo de Henri CabanelHenri Cabanel :

Je tiens tout d'abord à remercier Madame la Présidente d'avoir accepté ma proposition de déplacement dans l'Hérault. Je me réjouis de l'intérêt que ce dernier a suscité, puisque nous formions une délégation de 9 membres que je remercie individuellement : MM. Aubey, Bouchet, Canevet, Durain, Grand, Jeansannetas et Kennel. En suivant un canevas déjà bien rodé, nous avons organisé la visite d'entreprises locales et l'échange avec des professionnels représentatifs de la diversité de l'économie du département autour d'une table ronde.

La journée a débuté par la visite d'une cave coopérative et de l'entreprise productrice d'huîtres et de moules de l'étang de Thau dont nous venons de voir des images. Cette PME familiale (8,6 millions de chiffre d'affaires au niveau régional) a su résister à la crise grâce à un développement à l'export et à une reconquête des marchés de proximité.

Afin de dresser un rapide panorama de la coopération viticole au niveau national, il faut préciser que celle-ci représente 84 000 vignerons coopérateurs, un chiffre d'affaires de 6 milliards d'euros et emploie environ 17 500 salariés. Le département de l'Hérault a compté jusqu'à 160 caves coopératives pour une production de 25 millions d'hectolitres au niveau régional. Puis, à la suite de crises successives et en particulier après l'arrachage massif de 200 000 hectares de vignes, l'Hérault compte aujourd'hui 90 coopératives pour une production moyenne de 5,5 millions d'hectolitres, sur une production régionale de 12 millions d'hectolitres.

Ce secteur, historiquement essentiel dans le développement de l'Hérault, garde une place centrale, malgré les mutations très rapides et profondes, puisque c'est certainement la région qui a fait le plus d'efforts de reconversion et de restructuration viticole. J'en veux pour preuve mon exemple personnel. Mon grand-père, qui possédait déjà 12 hectares de cépages traditionnels, les a gardés toute sa carrière. Mon père qui possédait, lui, 16 hectares, a dû en arracher environ 4 ou 5. Pour ma part, j'ai actuellement 28 hectares de vignes et j'en ai arrachés 25. Cela illustre parfaitement l'évolution de la qualité de la vigne par la plantation de cépages dit « améliorateurs ».

Par ailleurs, je voulais souligner que la première cave coopérative viticole en France a vu le jour dans l'Hérault. Cette cave coopérative est née dans les années 1900-1905 et a reçu la visite d'un homme politique célèbre : Jean Jaurès. Les autres caves coopératives ont été construites entre les deux guerres. La cave que nous avons visitée, « les Terroirs de la Voie Domitienne », est la dernière-née, issue du regroupement de 8 coopératives. On y accueille et transforme la production de 300 viticulteurs grâce à un nouvel outil de vinification très performant, que le directeur Boris Calmette nous a présenté en détail.

Si la structure permet de mutualiser la production et les ventes de chaque apporteur au niveau de la coopérative, chacun demeure tenu de procéder à une déclaration individuelle de récolte. Ainsi, nous ne sommes pas allés au bout de la logique coopérative et nous en sommes restés administrativement à une juxtaposition de centaines d'exploitants plutôt qu'à la prise en compte d'un collectif. Une piste intéressante de simplification serait la création d'une déclaration de récolte unique pour l'ensemble de la cave coopérative, comme cela se pratique ailleurs en Europe, en Italie notamment.

La seconde difficulté que rencontrent les coopératives réside dans leur exclusion des dispositifs d'aide à l'export : en effet, 97% des vins produits par « les Terroirs de la Voie Domitienne » et des autres caves coopératives de cette région, sont commercialisés en vrac. Or, l'organisation commune de marché prévoit seulement un accompagnement à l'export pour les vins conditionnés. Le choix de positionnement est donc celui de l'agro-industrie et non pas du vin comme produit culturel mais il faut souligner que ce positionnement n'exclut nullement la qualité. En effet, la production est concentrée sur des cépages mondialement connus (Merlot, Syrah, Cabernet pour les rouges et Chardonnay et Sauvignon, pour les blancs) qui ont une forte visibilité à l'extérieur des frontières, comme le prouve le fait que 50 % des échanges de vins internationaux concernent des cépages en vrac. Le bénéfice des aides à l'exportation pour le vrac serait d'autant plus intéressant que les coopératives sont également exclues du champ du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ainsi que du dispositif de suramortissement.

Notre deuxième visite a concerné l'entreprise « Médithau », implantée sur les rives de l'étang de Thau, comme vous avez pu le voir dans le reportage. Cette entreprise familiale depuis trois générations est spécialisée dans la production, la purification et l'expédition des coquillages. Elle a su combiner la poursuite d'une activité traditionnelle et d'une forte capacité d'innovation et d'adaptation au marché.

Son succès est dû en particulier à l'invention d'un nouveau procédé d'élevage des huîtres permettant de reproduire artificiellement le phénomène des marées, absent en Méditerranée. La majeure partie de son chiffre d'affaires (11 millions d'euros) provient de la purification de moules. De plus, « Médithau » a initié une diversification avec le lancement d'une activité touristique sur une barge alimentée par des panneaux photovoltaïques.

Interrogé sur les freins au développement, son dirigeant, M. Tarbouriech, a évoqué des échanges difficiles avec les services de l'État en charge du domaine public maritime, en particulier pour faire respecter ses droits de propriété intellectuelle relatifs aux brevets déposés sur ses inventions. En outre, il a pointé combien le processus d'innovation était difficile, hasardeux et risqué pour une PME, ne disposant pas d'une trésorerie assez importante pour financer pendant 3 ou 4 années les essais et tentatives infructueux qui précèdent nécessairement tout succès. De ce point de vue, il a estimé que, même si le Crédit Impôt Recherche (CIR) était un outil très utile, les délais avant la mise à disposition effective des fonds étaient encore trop longs. Enfin, M. Tarbouriech a été directement confronté aux inquiétudes liées au franchissement du seuil de 50 salariés et a choisi la contorsion : les effectifs de « Médithau » restent à 49 salariés, tandis qu'une deuxième structure embauche 20 salariés supplémentaires pour exercer des fonctions supports.

En visitant « Les Brasérades », notre délégation est allée à la rencontre d'une autre PME familiale d'agroalimentaire qui a su mener à bien une opération ambitieuse de croissance externe pour diversifier sa gamme de produits et sa zone de chalandise. La société distribue ses produits de charcuterie exclusivement dans la grande distribution sur l'ensemble du territoire national, sans se lancer encore dans le marché à l'export.

Pour obtenir une telle couverture, le président directeur général, Guy Dupuis, a racheté en 2007 une entreprise dont le positionnement était très complémentaire de la sienne, d'un point de vue tant géographique que de marché. Il a ainsi doublé ses capacités de production, son chiffre d'affaires -qui s'établit aujourd'hui à 28 millions d'euros- ainsi que son effectif, passé à 160 salariés.

Néanmoins, cette belle opération a été un temps menacée par la conjonction d'un aléa de marché (augmentation de 300 % du prix de la matière première, les boyaux de porc), de la pression exercée par la grande distribution (refusant la répercussion de cette augmentation sur son prix d'achat) et de la frilosité des banques à accorder un prêt. Finalement, ce n'est qu'en engageant ses biens personnels que M. Dupuy est parvenu à faire passer cette étape difficile à son entreprise.

Outre les difficultés d'accès au crédit bancaire, la distorsion de concurrence entre pays de l'Union européenne (UE) affecte directement cette société. En effet, les pays membres de l'UE appliquent avec plus ou moins de souplesse le cadre commun et la France a pour sa part tendance à durcir la réglementation communautaire en y ajoutant des obligations qui n'existent nulle part en Europe. Pour ce qui concerne « les Brasérades », les cahiers des charges en termes de taux de sel ou de présence de bisulfites -composants qui allongent la durée de conservation des produits- sont considérablement plus stricts que dans les pays voisins et les producteurs espagnols ou belges écoulent largement leurs produits en France.

La question de la distorsion de concurrence a également été soulevée lors de la table ronde organisée en dernière partie du déplacement. Elle a réuni 13 chefs d'entreprises ainsi que le préfet de région, le président de la chambre de commerce et d'industrie de Montpellier, la trésorière de la chambre des métiers et de l'artisanat du Languedoc-Roussillon et le président de la chambre d'agriculture de l'Hérault.

Il était particulièrement intéressant de noter que, ce qui est qualifié de « concurrence déloyale » par les entrepreneurs, intervient à deux niveaux : entre pays de l'UE d'une part, comme l'illustre la situation des « Brasérades », mais également entre nos territoires. Ainsi, un entrepreneur nous a alertés au sujet du pouvoir d'interprétation des normes des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Il nous expliquait qu'en fonction des régions concernées et selon le fonctionnaire en charge du dossier, les DREAL n'imposaient pas les mêmes contraintes aux entreprises. Ces divergences d'interprétation de la même règle ont également été déplorées lors de notre visite de l'entreprise « Médithau ». Les entrepreneurs ne comprennent pas que l'on fasse le choix d'une règlementation qui les désavantage par rapport à leurs voisins européens ; mais ils acceptent encore moins que la règlementation ne soit pas appliquée de façon uniforme d'une région à l'autre.

Sans surprise pour notre délégation qui rencontre depuis maintenant cinq mois les entreprises, la normalisation excessive a également été critiquée, avec des illustrations très différentes, reflétant la diversité des symptômes observés. À titre d'exemple, une start up ayant créé le « chèque santé » voit l'émission de ses titres bloquée par le ministère de la Santé, en raison d'une question d'interprétation de normes sur la dimension sociale du dispositif. Une seconde illustration en lien avec la situation géographique de l'Hérault, est la dénonciation par plusieurs entreprises du caractère sclérosant de la « loi littoral ». Ils estiment que cette dernière empêche la modernisation des équipements, condition d'une meilleure attractivité de la région et d'une dynamique économique locale essentielle, en particulier pour le secteur agricole. D'aucuns évoquent même une « paupérisation du littoral » en raison d'une application trop stricte de cette loi.

En outre, la question du foncier est également revenue dans les débats. Conserver une surface agricole utile est un véritable enjeu pour le département. D'ailleurs, des sociétés comme « les Terroirs de la Voie Domitienne » misent sur le portage foncier pour encourager l'installation de jeunes agriculteurs. La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 a d'ailleurs été saluée : elle a permis aux coopératives agricoles d'acquérir des parts sociales de groupements fonciers agricoles (GFA), quelle que soit la localisation du groupement. Le GFA est une société civile adaptée à la transmission de l'exploitation, ce qui est particulièrement important dans un département où 65% de la population a plus de 55 ans et s'interroge sur le sort qui sera réservé aux terres, notamment lors de la transmission.

Le thème de l'apprentissage a également été abordé de façon récurrente. L'impossibilité de faire effectuer des gestes qualifiés de « pénibles » aux apprentis nous a une fois de plus été rappelée. De même que le constat de l'absence de lien entre école et entreprise, le manque de valorisation des métiers de l'artisanat ou encore la rigidité de l'organisation du temps de travail des apprentis en entreprise. Ces témoignages viennent donc confirmer ce qui a été souvent exprimé par les entrepreneurs au cours des déplacements précédents.

Un autre sujet faisant partie du socle commun à tous les entrepreneurs est celui du financement du capital risque. Les entreprises déplorent le manque de structures spécialisées, dans un contexte où les banques cherchent à minimiser leur risque et ne peuvent donc pas soutenir leur croissance.

Enfin, je me contenterai de citer quelques autres sujets de préoccupations pour les entrepreneurs, parmi lesquels : la complexité du bulletin de salaire, la fiscalité pesant sur le travail et les effets de seuils, notamment en matière d'assurance chômage, qui poussent des salariés saisonniers à plein temps à quitter un emploi pour ne pas perdre leurs indemnités.

Je conclurai en observant que ce déplacement a été utile à double titre : tout d'abord parce qu'il a permis de confirmer les freins à la croissance que les entrepreneurs décrivent à chacune de nos visites, mais aussi parce la particularité de l'Hérault nous a permis d'aborder de nouveaux sujets très importants pour bon nombre de nos entreprises, tels que le foncier ou la distorsion de concurrence normative.

Je suis certain que ces sujets enrichiront nos prochains travaux. Je vous remercie.

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