Intervention de Stéphane Saussier

Mission commune d'information sur la commande publique — Réunion du 2 juillet 2015 à 10:5
Audition de M. Stéphane Saussier professeur de sciences économiques à l'institut d'administration des entreprises université paris i panthéon sorbonne

Stéphane Saussier, professeur de sciences économiques à l'Institut d'administration des entreprises, Université Paris I Panthéon Sorbonne :

Merci pour votre accueil. Notre rapport part du constat que le montant global de la commande publique est difficile à évaluer.

Si vous avez entendu M. Jean Maïa de la Direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, vous savez que l'OEAP ne procède pas à une collecte exhaustive des informations, puisqu'il ne retient que les marchés de plus de 90 000 euros. Le chiffre de 80 milliards d'euros est donc un minimum : disons que le montant global de la commande publique représente au moins 4 points de PIB, 73 milliards pour 2013. Encore certains marchés publics sont-ils pluriannuels. On trouve parfois des évaluations plus larges de l'achat public, jusqu'à 300 milliards d'euros par an pour certaines institutions. Ce sont les chiffres de la Commission européenne ou de l'OCDE.

Si l'on étend l'analyse aux autres outils de la commande publique, comme les délégations de service public ou les contrats de partenariat, les chiffres manquent. Le rapport que j'ai écrit avec Jean Tirole a été motivé par la transposition imminente des directives. Or même la Commission européenne manquait de chiffres pour réaliser l'étude d'impact de la directive « concessions ». Seul chiffrage disponible : l'Institut de la gestion déléguée a réalisé en 2011 une étude évaluant les délégations de service public à 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour l'année 2009. On sait qu'entre 500 et 800 contrats de délégation de service public sont signés chaque année en France dans le secteur de l'eau, mais on ignore leur montant. Les contrats de partenariat sont recensés, eux, par la mission d'appui aux partenariats public-privé (MAPPP). Ils représentaient, entre 2004 et 2014, 14 milliards d'euros d'investissement.

Notre rapport part donc du constat que les données précises manquent, même si certains exemples sont connus en détail - parfois pour de mauvaises raisons ! Je pense à la Philharmonie de Paris, aux autoroutes, au centre hospitalier sud-francilien... On sait que la Philharmonie a vu son budget multiplié par deux, et pris deux ans de retard. Dans le secteur de l'eau, on constate un retour vers une municipalisation et une régie directe, au détriment de la délégation de service public. Et si la grande majorité des 250 contrats de PPP signés depuis 2004 se passent très bien, on met en avant les quelques dérapages... Des marges d'amélioration existent probablement.

D'inéluctables évolutions s'annoncent, avec la transposition des directives. On va vers plus de simplification de la commande publique. D'ici 2018, elle devra être intégralement dématérialisée, alors qu'elle ne l'est actuellement qu'à hauteur de 11 %. Cela facilitera l'accès à la commande publique des PME, qui sont aujourd'hui freinées par le coût des appels d'offre et manquent d'informations. Les procédures négociées, qui sont à présent l'exception, deviendront la règle. Enfin, l'exécution des contrats comprendra de plus grandes marges de manoeuvre : les contrats complexes de long terme pourront être plus facilement renégociés ou modifiés, comme c'est déjà le cas partout. Pour un économiste, la renégociation n'est pas péjorative : c'est une adaptation à un environnement changeant, qui peut être positive, à condition que les renégociations soient encadrées. Tous ces changements sont bienvenus.

La complexité du droit de la commande publique garantirait une certaine transparence, croit-on. Comme économiste, je n'en suis pas convaincu, faute de statistiques pour le prouver. Ce droit pourrait être simplifié. L'essentiel est d'aller vers plus de transparence, pour limiter le risque de favoritisme, de corruption, de concurrence faible. Mais une transparence totale n'est pas souhaitable car elle permet aux entreprises de s'entendre. Déjà, la Commission européenne détecte des ententes toutes les trois semaines. Il faut donc trouver le niveau de transparence optimal, car l'accroissement des marges de manoeuvre des autorités publiques doit s'accompagner d'une responsabilisation.

Nous faisons des propositions pour renforcer la transparence, la concurrence et le niveau de compétence des acteurs publics. En tant qu'économistes, nous analysons les contrats, qui ne sont pas optimaux : asymétrie d'information à l'avantage de la partie privée, incomplétude...

Pour renforcer la concurrence, la dématérialisation à 100 % facilitera l'accès des PME à la commande publique. Déjà, des plateformes électroniques existent. Depuis la publication de notre note au Premier ministre, nous avons appris que certaines de ces plateformes, privées, recensent exhaustivement les 300 000 marchés publics du pays, mais elles sont trop mal connues. Inspirons-nous de ce qui fonctionne, pour faire remonter l'information au niveau national, et que les PME en profitent.

Une meilleure information sur la qualité des candidatures des entreprises renforcerait aussi la concurrence. Certaines ont mauvaise réputation : après avoir remporté le marché par des offres agressives, elles se comportent mal. Un service centralisé doit recenser de telles défaillances, afin que ces entreprises puissent être disqualifiées sans risque juridique pour l'autorité publique. Cela désavantagera-t-il les PME, qui sont souvent nouvelles sur un marché ? Comme dans d'autres pays, on pourrait prévoir qu'un entrant se voit attribuer un niveau de réputation maximal. En Corée du Sud ou aux États-Unis, un service centralisé note les entreprises.

Le développement de la négociation renforcera également la concurrence. Cela réduira l'asymétrie d'information et permettra d'ultimes ajustements. L'inconvénient pourrait être que le dernier round de négociation ne porte que sur les prix. Cela pourrait dans un premier temps conduire les entreprises plus fragiles à faire des concessions excessives, au risque de faire faillite, puis, ultérieurement, les amener à intégrer ce rabais final dans leur proposition initiale. Il faut donc que la négociation porte à la fois sur l'offre technique et sur le prix. Nous proposons de rendre obligatoire la fourniture et la publication en ligne de deux rapports synthétiques sur l'analyse des offres avant et après la clôture des négociations. Actuellement, la négociation est la règle dans les délégations de service public : c'est la procédure dite « Sapin ». Nous ne demandons qu'un contrôle léger, pour rassurer les concurrents.

Pour accroître la transparence, nous proposons que les services publics gérés en régie directe respectent les mêmes normes que les délégations de service public - même si cela ne sera pas facile à mettre en oeuvre. Actuellement, l'appréciation de la performance des régies directes est délicate. Je pense au secteur de l'eau, où l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) a du mal à collecter l'information auprès des collectivités territoriales, faute d'incitations adéquates.

Pour les marchés publics comme pour les concessions, les directives européennes permettent de renégocier largement les contrats, avec une marge de variation du prix qui peut aller jusqu'à 50 %, tant que la nature de la transaction n'est pas modifiée - et ce à chaque renégociation, même si les directives comportent un garde-fou. Elles prévoient aussi une publication au Journal officiel de l'Union européenne des avenants significatifs, ce qui n'existe pas en droit français, malgré l'obligation de publicité. Nous proposons en sus de prévoir une procédure de référé avenant d'une durée de 30 jours, pendant laquelle l'avenant n'est pas appliqué et pourra être attaqué. Une procédure de référé précontractuel existe déjà en France : en moyenne, le juge met 21 jours à statuer. Sans cette procédure, il faut aller au contentieux - qui prend trois ans. Cette proposition a suscité des réactions surprenantes. Nous proposons une procédure rapide, qui ne porte sur les avenants significatifs, sachant que, bien sûr, ces propositions ne concernent que les contrats supérieurs au seuil communautaire.

Pour renforcer les compétences des autorités publiques, celles-ci doivent sans doute être professionnalisées, surtout dans les petites collectivités territoriales.

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