Intervention de Jacques Grosperrin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 8 juillet 2015 à 9h00

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin, rapporteur :

Le 1er juillet, la commission d'enquête m'a fait l'honneur d'adopter mon rapport. L'embargo de six jours prévu par l'instruction générale du Bureau étant expiré, j'ai maintenant la possibilité, et le plaisir, de vous présenter nos conclusions.

L'idée de cette présentation à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication revient à Mme Laborde, et je l'ai trouvée d'autant mieux fondée qu'à la fin de nos travaux, nous recommandons que le Parlement soit mieux associé aux décisions stratégiques intéressant l'enseignement, notamment par un débat qui serait organisé sous l'autorité de votre commission.

Dans l'avant-propos de mon rapport, j'ai résumé les deux maîtres mots qui m'ont guidé tout au long de ce travail :

- sortir du déni, face à un ensemble de problèmes et de difficultés connus depuis longtemps, mais face auxquels les pouvoirs publics n'ont pas vraiment réagi ;

- libérer la parole, à commencer par celle des personnels de l'éducation nationale qui vivent ces difficultés au quotidien.

Nous avons fait un travail en profondeur, sans exclusive ni esprit partisan.

Dès le départ, plusieurs membres de la commission d'enquête avaient rejeté par principe cette formule, mais cela n'a pas empêché d'avancer les uns et les autres pour, au bout du compte, parvenir à trois constats que mettent clairement en évidence nos auditions, nos visites et le témoignage vécu de la quasi-totalité des personnes entendues.

Premier constat : les incidents de janvier 2015 ont été un nouveau révélateur. Il y a eu des incidents dans de nombreuses écoles lors de la « minute de silence » en janvier, mais les services de l'éducation nationale ont été incapables d'en quantifier le nombre. Le ministère a parlé d'environ 200 incidents. Nos décomptes ont abouti à plus du double, mais sont eux-mêmes sans doute fortement sous-évalués, car une proportion significative d'incidents ne remontent pas. La ministre, lors de son audition du 2 juin, a quant à elle fait part de 816 signalements, mais il s'agit des faits de radicalisation qu'il ne faut pas confondre avec les incidents dont on parle.

Bref, une chose est certaine : cette hésitation sur les chiffres met en évidence la faiblesse de l'appareil statistique du ministère de l'éducation nationale, alors que cette question devrait faire l'objet d'une attention renforcée. C'est d'ailleurs l'objet d'une des propositions du rapport.

Avec le recul, la minute de silence partait sans doute d'une bonne intention, mais elle a souffert d'une totale impréparation. Ce genre d'exercice n'était pas approprié pour traiter de la question : comme l'a dit un de nos interlocuteurs, la compassion ne se décrète pas ! Dans tous les cas, la minute de silence aurait dû être précédée « d'une heure de parole », pour reprendre l'expression de Mme Laborde.

Mais l'essentiel est ailleurs : car si les incidents de janvier n'ont pas affecté de manière grave le service public de l'éducation, ils ont révélé un état d'esprit, et même un malaise profond que le rapport de M. Jean-Pierre Obin, il y a dix ans, avait déjà parfaitement diagnostiqué.

Deuxième constat : le délitement du sentiment d'appartenance. Le malaise de l'école est en bonne part lié au délitement du sentiment d'adhésion de beaucoup de jeunes à des valeurs qu'ils ne connaissent pas bien ou - pour certains - qu'ils rejettent.

De quelles valeurs parle-t-on ? Pour faire simple, j'ai gardé l'expression de « valeurs républicaines » mais il serait plus judicieux de parler des « valeurs de l'école républicaine », sur lesquelles devraient s'accorder tous les membres de la communauté éducative. Elles incluent la laïcité et la neutralité des enseignements, l'égalité de tous sans considération d'origine, de race, de religion ou de croyance, une stricte égalité entre les filles et les garçons, la conviction que l'émancipation de chacun passe par le savoir plutôt que par les dogmes, le respect mutuel entre tous les membres de la communauté éducative, ainsi que le crédit attaché à la parole de l'enseignant. Cette liste n'est bien sûr pas figée, et ces valeurs se déclinent au quotidien à tous les instants de la vie scolaire. La laïcité reste la première de ces valeurs, car c'est par la laïcité que l'école parvient à assurer le vivre ensemble, sans distinction d'origine ou de confession religieuse, et la neutralité des enseignements.

Nos travaux ont aussi montré, chez certains jeunes, une difficulté à se reconnaître membre à part entière de la communauté nationale, au profit d'autres repères identitaires comme le quartier, le « groupe ethnique », la « communauté religieuse », la « nationalité des parents », etc... Le problème est que ces groupes ont leurs propres lois, leurs codes, leurs repères, leur croyances, ce qui place les élèves en porte-à-faux. Mais en tout état de cause, je considère que ces « valeurs particulières » ne doivent pas prendre le pas sur celles de la République, car la République est la seule à garantir à tous l'égalité devant ses lois, sans considération d'origine, de race, de religion ou de croyance.

Méconnaissance des valeurs de la République, voire rejet de ces valeurs : pourquoi ? Parce que, d'avis presque unanime, le mode actuel de transmission de nos valeurs nationales par l'école laisse fortement à désirer... Les enseignants sont les premiers à le déplorer et ont un besoin de soutien dans cette mission essentielle. Mais gardons bien à l'esprit que l'école n'est pas responsable de tout, et ne peut pas tout.

Il est évident que la précarité économique et sociale des quartiers, le chômage et les phénomènes de ghetto ne facilitent pas l'adhésion aux valeurs traditionnelles prônées par l'école. Les enseignants eux-mêmes subissent une dégradation constante de leur statut, à la fois matériel et social. Aujourd'hui, la parole du professeur est de plus en plus concurrencée : généralisation du relativisme, envahissement du « bruit numérique », travail de sape des théories du complot...

Certes, le temps des fameux « hussards noirs de la République » est derrière nous, mais leur mission de transmission des valeurs demeure pleinement légitime. Si elle veut contrer les dérives et restaurer les canaux de transmission du sentiment d'appartenance, l'école doit redonner à ses enseignants confiance en eux-mêmes ; c'est la première des priorités pour qu'à leur tour, les professeurs soient à nouveau en mesure de transmettre des valeurs qui soient perçues, non pas comme des contraintes imposées, mais comme des facteurs d'émancipation et de libre-arbitre.

Troisième constat : la « perte des repères » résulte d'un certain nombre de fragilités structurelles. Nos travaux ont mis en évidence un certain nombre de fragilités structurelles largement détaillées dans mon rapport écrit, et auxquelles nous devons apporter des solutions ambitieuses. Sans les énumérer toutes, je crois indispensable de pointer celle qui me paraît la plus grave : aujourd'hui, nombre d'élèves ne maîtrisent pas le socle commun requis à leur niveau, en particulier en ce qui concerne le français. Ce problème a été soulevé par de très nombreux enseignants lors des auditions, et il apparaît clairement dans les grandes enquêtes internationales sur les résultats de notre système d'enseignement.

Pour y remédier, la commission d'enquête suggère de travailler dans deux directions, vers les élèves d'un côté, vers les enseignants de l'autre. Concernant les élèves, trop de jeunes arrivent en 6ème sans maîtriser les français : comment, dans ces conditions, leur faire passer utilement le message des valeurs, dans une langue qu'ils ne comprennent même pas ? C'est pourquoi une de nos propositions fortes consiste en un investissement massif sur l'apprentissage du français au primaire et au collège, et ceci dès la maternelle. Dans mon esprit, une maîtrise suffisante du français en fin de CM2 doit devenir une condition pour l'accès en 6ème.

Concernant les enseignants et l'institution scolaire, la priorité la plus flagrante est de revoir la formation, car les professeurs ne sont pas correctement préparés à transmettre les valeurs : formation initiale inappropriée, et formation continue en totale déshérence. Par ailleurs, il faut permettre à l'école républicaine de pratiquer de manière tangible et au quotidien les valeurs qu'elle est en charge de transmettre, notamment en favorisant certains « rites républicains ».

Loin de moi l'idée d'imposer une sorte de catéchisme laïc ! Il s'agit simplement de marquer un certain nombre de repères bien visibles favorisant l'émergence du sentiment d'adhésion. Je crois indispensable d'associer et de responsabiliser les parents à cet effort, car l'éducation ne s'arrête pas à la sortie de l'école, et les familles sont entièrement partie prenante de ce processus.

Vous noterez que nous ne proposons pas de réforme institutionnelle majeure : l'idée n'est pas de revenir sur la loi d'orientation du 8 juillet 2013 sur la refondation de l'école de la République, mais simplement de faire en sorte que cette loi s'applique mieux et qu'elle favorise une authentique transmission des valeurs de la République.

En revanche, il a semblé à beaucoup d'entre nous que le Parlement n'est pas assez associé à la définition des choix stratégiques qui organisent l'école et qui, comme tels, déterminent la formation des citoyens de demain. Certes, les assemblées votent des lois comme celle de juillet 2013, et chaque année, nous avons un débats sur les crédits de l'enseignement, mais est-ce suffisant ? Sur un thème aussi fondamental, nous avons jugé souhaitable que les représentants de la nation puissent débattre plus régulièrement et dans un cadre mieux adopté : c'est l'objet d'une de nos principales propositions.

Mes chers collègues, je ne veux pas allonger cette présentation. Vous trouverez la liste de nos propositions dans le document qui vous a été distribué, organisées en quatre axes prioritaires : favoriser le sentiment d'appartenance et l'adhésion de tous aux valeurs de la citoyenneté ; restaurer l'autorité des enseignants et mettre en place une vraie formation à la transmission des valeurs ; mettre l'accent sur la maîtrise du français et veiller à une meilleure concentration des élèves ; mieux responsabiliser tous les acteurs.

Dans mon rapport écrit, figure un certain nombre d'autres propositions et recommandations que je qualifie de « mesures d'accompagnement », comme par exemple encourager, là où c'est possible, l'accueil des enfants de moins de trois ans dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé.

Telles sont les orientations générales du rapport de notre commission d'enquête. J'en retire au moins deux certitudes :

- la première est que nous avons dressé un constat général objectif qui, à mon avis, ne peut qu'être partagé par tous ceux qui ont participé à nos travaux ;

- la deuxième est que notre travail était attendu, et qu'il ne restera pas vain.

La défense de l'école républicaine et la promotion des valeurs de la République sont un combat de tous les instants. Votre commission de la culture et de l'éducation y est en première ligne, et en tant que rapporteur de la commission d'enquête, j'ai été fier d'y participer.

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