Intervention de Catherine Morin-Desailly

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 8 juillet 2015 à 9h00
Deuxième dividende numérique et poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly, rapporteure :

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a une apparence, celle d'un texte essentiellement technique destiné à accompagner une évolution technologique qui nécessite de mettre à disposition des opérateurs de téléphonie mobile davantage de fréquences pour répondre à l'accroissement de l'usage de l'Internet mobile et de regrouper les chaînes de télévision sur une partie plus restreinte du spectre grâce aux progrès réalisés dans la compression des données.

Mais, comme souvent, il convient de ne pas s'attarder uniquement sur les apparences pour rechercher la vérité des choses. Quelle est-elle cette vérité ?

Oui, les opérateurs de télécommunication auront besoin de fréquences nouvelles pour répondre à l'accroissement du trafic sur Internet... mais pas avant plusieurs années.

Oui, il est possible de regrouper les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT) sur une partie plus restreinte du spectre mais outre le fait que toutes les chaînes, si elles passent à la haute définition, risquent d'être un peu à l'étroit sur six multiplex, des doutes existent sur la possibilité de développer la ultra haute définition (UHD) sur une zone de fréquences toujours plus réduite à l'avenir.

La modernisation de la diffusion audiovisuelle constitue un objectif auquel notre commission est attachée, voilà pourquoi on ne peut que regretter qu'une étape aussi importante pour son avenir que l'arrêt de la norme de compression MPEG-2 couplé à la généralisation du MPEG-4 et à une réorganisation des multiplex soit réalisée dans la précipitation, sans s'entourer de toutes les précautions tant en ce qui concerne le débat parlementaire que le calendrier de mise en oeuvre. Nous nous sommes à plusieurs reprises émus de ce problème sur lequel nous avons alerté, avec la commission de l'économie, le Gouvernement.

Pourquoi cette précipitation ? Alors qu'une très grande majorité de pays a décidé de ne procéder au transfert de la bande des 700 MHz aux opérateurs de télécommunication qu'entre 2018 et 2022 selon les recommandations du rapport de M. Pascal Lamy à la Commission européenne, que nous avons entendu la semaine dernière, la France est le seul parmi les pays qui recourent à la TNT par voie hertzienne pour une part significative de la réception télévisée à engager ce transfert dès 2016 en Île-de-France. L'Allemagne ne recourt que très marginalement à la TNT hertzienne qui plus est pour un nombre limité de chaînes, la situation entre les deux pays est donc différente.

La raison en est simple et tient essentiellement à des considérations budgétaires. Alors que de nombreuses études économiques démontrent que le prix des fréquences de la bande des 700 MHz devrait être plus élevé en 2020 lorsque les opérateurs en auront besoin, le Gouvernement français s'apprête à les céder en 2015 à un moindre prix afin de boucler le financement de la loi de programmation militaire.

On ne peut que regretter que la cession d'un actif public ne fasse pas l'objet d'une étude objective pour déterminer la date la plus opportune pour procéder à la vente. Mais, comme me l'a indiqué le président de la commission des participations et des transferts, que nous avons également entendu la semaine dernière, celle-ci n'est pas compétente pour se prononcer sur le meilleur moment pour vendre un actif mais seulement sur le fait de savoir ce qu'on peut en attendre à un moment donné. C'est pourquoi elle a préconisé un prix de réserve de 416 millions d'euros pour chacun des six lots qui seront mis aux enchères.

Le Gouvernement vend donc « un bijou de famille ». Et il le fait au plus vite en voulant absolument procéder aux enchères cette année. Voilà pourquoi la date de l'extinction du MPEG-2 a été fixée au 5 avril 2016 ainsi que le transfert de la bande des 700 MHz en Île-de-France. Tout report en 2017 ou au-delà aurait, certes, eu pour conséquence d'arranger les différents acteurs qu'il s'agisse des diffuseurs, des éditeurs de programmes ou des opérateurs de télécommunication, que nous avons également entendus, et qui auraient pu s'organiser de façon plus efficiente mais il aurait surtout eu pour effet de faire encore diminuer le prix des fréquences en introduisant un délai entre la date des enchères et la mise à disposition des fréquences. Il faut donc aller vite et les différents acteurs sont invités à presser le pas pour que tout soit prêt dans sept mois.

Or, comme l'ont reconnu les acteurs du monde de l'audiovisuel que j'ai auditionnés lors d'une table ronde le 30 juin dernier, le risque que des millions de Français se retrouvent avec un écran noir lors d'une des nombreuses étapes de cette transition ne peut plus être écarté car le travail de préparation n'a toujours pas commencé : il dépend, en particulier, du vote de cette proposition de loi.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), par exemple, a besoin de pouvoir disposer d'un certain nombre de nouveaux pouvoirs pour pouvoir engager la recomposition des multiplex. L'article 3 de la proposition de loi doit ainsi lui permettre de recomposer les chaînes de la TNT sur six multiplex au lieu de huit au moment de la généralisation du MPEG-4, le 5 avril 2016. L'article 4 supprime l'obligation pour les services de télévision en clair qui diffusaient en MPEG-2 avant 2007 de maintenir une diffusion au niveau standard. Sans le vote de cette proposition de loi, impossible donc d'arrêter la double diffusion standard et haute définition qui est très coûteuse pour les chaînes.

Le temps est donc compté d'ici au 5 avril 2016 et on peut déplorer que le Gouvernement n'ait pas présenté ce texte au Parlement l'année dernière s'il était si pressé d'engager le transfert de la bande des 700 MHz aux opérateurs de télécommunication. Le choix du recours à une proposition de loi doit également nous interroger puisqu'il fait peu de doute que celle-ci a été inspirée par le ministère de la culture et de la communication. Avec quels résultats ? L'absence d'avis du Conseil d'État et d'étude d'impact rendent incertaine la compréhension de certaines dispositions, qui n'ont fait l'objet que d'un examen sommaire à l'Assemblée nationale.

J'en veux pour preuve l'article 7 de la proposition de loi qui propose de supprimer cinq articles de la loi du 30 septembre 1986 au motif qu'ils seraient obsolètes, sans plus de précisions. Est-ce bien le cas ? L'article 96-2 de la loi de 1986, dont on nous propose la suppression, prévoit par exemple que « les éditeurs de services nationaux de télévision en clair diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique assurent la diffusion de leurs services par voie hertzienne terrestre en mode numérique auprès de 95 % de la population française selon des modalités et un calendrier établis par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ». Le même alinéa prévoit aussi que « le Conseil supérieur de l'audiovisuel a compétence pour assurer une couverture minimale de la population de chaque département par voie hertzienne terrestre en mode numérique ». En quoi ces deux dispositions seraient-elle obsolètes ? Ces suppressions « à la hussarde » n'ont-elles pas plutôt pour effet de fragiliser la couverture du territoire par la TNT ? Faute de véritable débat à l'Assemblée nationale, nous n'en savons rien.

Face à une telle situation, quelle doit être la ligne de conduite du Sénat ? Bien sûr, nous ne pouvons que déplorer cette précipitation et le préjudice financier qui ne manquera pas d'en résulter pour les comptes de l'État. Mais nous savons également qu'une fois qu'une décision est prise, il est important de l'accompagner et c'est aussi la responsabilité du Sénat que d'essayer d'améliorer un texte dont nous partageons au moins l'un des objectifs : moderniser la plateforme de la TNT.

Aujourd'hui, les acteurs de l'audiovisuel sont inquiets.

L'absence de dispositions dans la proposition de loi prévoyant la possibilité d'une indemnisation des sociétés de diffusion du fait des ruptures à venir des contrats qui les lient aux éditeurs de programmes est aujourd'hui devenue un facteur de blocage dans le processus de préparation au basculement de la bande des 700 MHz puisque deux des trois sociétés de diffusion (Towercast et Itas-Tim) ont décidé de ne plus participer aux réunions de travail du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), mettant ainsi en péril le bon déroulement de l'opération. Le choix du Gouvernement de confier une mission d'expertise à l'Inspection générale des finances (IGF), qui devra rendre son rapport d'ici un mois, apparaît, certes, utile pour expertiser le montant des préjudices encourus mais trop tardif pour rassurer les diffuseurs et les convaincre de participer à la préparation de la généralisation du MPEG-4 et à la réorganisation des multiplex. Le calendrier est donc extrêmement tendu.

Le plan d'accompagnement des foyers préparé par le Gouvernement prévoit, certes, une aide à l'équipement pour les foyers dépendant exclusivement de la télévision numérique terrestre (TNT) et non encore équipés, une aide à la réception versée sans condition de ressources ainsi qu'une assistance technique pour les téléspectateurs âgés ou handicapés. Mais il ne prévoit cependant aucune aide pour le million de foyers qui reçoit la TNT par satellite et qui va être impacté par le passage au MPEG-4. Alors que ces foyers, souvent situés en zone rurale ou de montagne, ont été incités à recourir à la réception satellitaire en MPEG-2, ils risquent d'être pénalisés au seul motif que le basculement vers le MPEG-4 a été décidé par leur opérateur satellite et non par la puissance publique, ce qui constitue, à l'évidence, une rupture d'égalité entre les Français selon leur mode de réception de la TNT qui est le plus souvent déterminé par des contraintes techniques.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, le contexte dans lequel s'inscrit le projet de transfert de la bande des 700 MHz manque de sérénité. Des clarifications sont nécessaires. Au-delà des réserves sérieuses que m'inspire cette proposition de loi, l'esprit de responsabilité qui nous anime doit nous amener à rechercher le moyen de réussir cette transition dans l'intérêt tant du secteur audiovisuel que du secteur des télécommunications.

Voilà pourquoi j'ai engagé un dialogue avec la ministre de la culture et de la communication, Mme Fleur Pellerin, pour lui indiquer que la recherche d'une voie de compromis lors du débat au Sénat nécessitait au moins trois évolutions.

Le choix de la date du 5 avril 2016 pour l'arrêt du MPEG-2, tout d'abord, apparaît trop incertain pour ne pas faire l'objet, le cas échéant, de perspectives d'aménagement. Il serait dans ces conditions plus raisonnable de prévoir que l'arrêt du MPEG 2 aura lieu entre les mois d'avril et de septembre 2016 à l'issue d'une véritable concertation, qui doit notamment associer les parlementaires dans le cadre de la Commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle (CMDA).

Ensuite, le principe d'une indemnisation des sociétés de diffusion doit être établi non seulement parce qu'il est équitable que les acteurs économiques ne supportent pas seuls le poids de décisions prises par l'État mais également parce qu'il est indispensable de rétablir la confiance entre ces acteurs et l'État. Compte tenu du fait que le rapport de l'IGF ne sera disponible que dans un mois et que le montant des crédits dévolus à cette indemnisation aura vocation à figurer seulement en loi de finances, j'ai proposé que le Gouvernement s'engage sur un calendrier précis vis-à-vis des sociétés de diffusion ainsi que sur des principes d'indemnisation de nature à les rassurer ;

Enfin, le principe d'une aide sociale aux foyers qui reçoivent la TNT par satellite me semble correspondre également à un principe d'équité sachant que le montant de 25 euros prévu pour les foyers recevant la TNT hertzienne ne couvrira que partiellement l'effort que devront réaliser les foyers concernés, qui s'élève plutôt à 90 euros. Là encore, il me semblait judicieux que le Gouvernement s'engage à étendre son plan d'aide à ces foyers qui ne doivent pas être victimes d'un changement de norme dont ils ne sont pas responsables.

Comme je l'ai indiqué à la ministre de la culture et de la communication, des avancées sur ces trois sujets me semblaient de nature à permettre la recherche d'un accord au Sénat.

Compte tenu du délai limite de dépôt des amendements lundi dernier, j'ai néanmoins déposé plusieurs amendements qui reprennent ces trois préoccupations.

L'amendement COM-1 prévoit que dans un délai d'un mois, la CMDA rend son avis sur la date choisie pour procéder à tout changement de standard de diffusion des services de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique. Cette consultation de la CMDA sur la date d'arrêt du MPEG-2 doit permettre de s'assurer que le délai retenu par le Gouvernement est bien tenable compte tenu des contraintes techniques et de l'état d'avancée des travaux.

Les amendements COM-2 et COM-5 prévoient le principe d'une indemnisation des éditeurs de programmes télévisés et des sociétés de diffusion suite à la rupture des contrats qui les lient dans le cadre de la réorganisation des multiplex.

L'amendement COM-4 prévoit, pour sa part, que le Gouvernement remettra au Parlement dans les trois mois qui suivront la promulgation de la loi un rapport sur l'éligibilité à l'aide à l'équipement des foyers dégrevés de la contribution à l'audiovisuel public.

Enfin, un cinquième amendement, COM-3, complète le dispositif en supprimant l'abrogation de deux articles qui semblent comporter encore des dispositions nécessaires concernant la couverture territoriale par la TNT.

Vous aurez compris que le dépôt de ces amendements constituait une mesure de précaution dans l'attention de la réponse de la ministre et du débat qui va s'engager dans les jours à venir. Au final, nos positions ne sont pas si éloignées. Mais une distance subsiste qui est la même que constatent les acteurs de l'audiovisuel et qui explique leur inquiétude à l'égard du processus de transfert de la bande des 700 MHz.

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