Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au seuil d’une nouvelle échéance majeure pour notre défense, j’ai l’honneur de vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense. Le texte qui vous est soumis résulte des travaux de l’Assemblée nationale et de ceux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Il revêt une importance de premier ordre pour la sécurité de la France, dans les circonstances où nous sommes.
Certes, cette échéance était prévue par l’article 6 de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019. Il était ainsi convenu que nous nous retrouvions avant la fin de l’année 2015 pour faire le point sur l’avancement de la programmation. Cependant, les développements internationaux et le très grand engagement de nos forces depuis 2013 ont motivé l’accélération de notre calendrier. Si le Gouvernement a jugé nécessaire de déclarer l’urgence, c’est avant tout parce que nos armées ont besoin de pouvoir disposer sans attendre d’un cadre et d’une perspective à moyen terme rénovés. Le projet de loi de finances pour 2016, en cours de préparation, intégrera ainsi les premiers effets de l’actualisation de la programmation militaire.
Depuis les attentats de janvier 2015 et la décision – très largement consensuelle, je crois – du Président de la République de doter la France d’une capacité de déployer, sur la longue durée, de 7 000 à 10 000 hommes sur son territoire, les missions combinées à l’intérieur et à l’extérieur du pays se déroulent selon un rythme qui menace la qualité de l’entraînement et de la préparation des hommes. Ce risque doit être conjuré le plus rapidement possible, car les tensions actuelles ne peuvent être maintenues plus longtemps sans mettre en péril la qualité et la sécurité dans l’action de notre armée professionnelle. Il fallait donc agir très vite.
J’ajoute que la démarche qui nous rassemble aujourd’hui n’a pas pour objet de redéfinir entièrement une nouvelle programmation. Il s’agit bien d’une actualisation : aucun des fondements stratégiques de la loi relative à la programmation militaire votée en 2013 n’est remis en cause ; j’y reviendrai. Cette actualisation se traduit par un accroissement de nos moyens et de nos ressources par rapport à la prévision initiale. C’était indispensable. Ce projet de loi est crucial pour adapter au mieux notre défense aux défis de sécurité présents et à venir.
Je commencerai par décrire les évolutions de notre environnement stratégique depuis le vote de la loi relative à la programmation militaire en décembre 2013.
Les crises récentes concourent toutes à une dégradation notable de la situation internationale et à l’augmentation durable des risques et des menaces qui pèsent sur l’Europe et sur la France. Les attaques terroristes de janvier 2015 à Paris, les tentatives déjouées, l’acte perpétré dans l’Isère ont montré que la France était, comme d’autres États européens, directement exposée à la menace terroriste, qui a pris une ampleur et des formes sans précédent.
Cette menace se joue des frontières. L’imbrication croissante entre la sécurité de la population sur le territoire national et la défense de notre pays à l’extérieur de ses frontières s’est brutalement matérialisée. Face à des groupes terroristes d’inspiration djihadiste qui sont militairement armés, qui conquièrent des territoires, qui disposent de ressources puissantes, nos forces sont engagées depuis 2013 à grande échelle dans des opérations militaires de contre-terrorisme particulièrement exigeantes, sur terre, dans les airs et sur mer. À dire vrai, c’est une bonne part de notre appareil de défense qui est mobilisée autour de cet enjeu ; il s’agit d’une nouveauté dans notre histoire militaire.
Au même moment, la crise ukrainienne a reposé, d’une façon inédite depuis de nombreuses années, la question de la sécurité internationale et de la stabilité des frontières sur le continent européen lui-même. Elle ravive le spectre de conflits interétatiques en Europe. C’est pourquoi les forces françaises doivent maintenir à un haut niveau leurs capacités à faire face à la résurgence de « menaces de la force », quelles qu’en soient les formes, y compris en Europe même. C’est pour cette raison aussi que les choix fondamentaux de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 doivent être confortés.
Par leur soudaineté, leur simultanéité et leur gravité, les évolutions récentes ont mobilisé à un degré très élevé les moyens tant de connaissance et d’anticipation que d’action de notre pays. Elles ont mis sous tension notre système de forces, souvent au-delà des contrats opérationnels retenus en 2013 : nous avons régulièrement jusqu’à plus de 9 000 hommes déployés en opérations extérieures et notre engagement sur le territoire national va bien au-delà des « 10 000 hommes pour un temps court » prévus par le contrat Protection de 2013, comme par celui de 2008. Des ajustements sont donc indispensables. C’est tout le sens de la clause de rendez-vous qui avait été fixée, très sagement, par la loi relative à la programmation militaire, la LPM.
J’observe que les transformations en cours ne concernent pas seulement la France : douze autres pays de l’Union européenne ont engagé une augmentation de leur budget de défense. Dans ce domaine, la France demeure au premier rang européen.
Cependant, je le redis, pour importantes qu’elles soient, ces évolutions ne remettent pas en cause les grands principes de la stratégie de défense et de sécurité nationale énoncés dans le Livre blanc. Par voie de conséquence, les grands équilibres définis par la loi relative à la programmation militaire sont confortés par le présent projet de loi. Le triptyque permanent « protection-dissuasion-intervention » doit impérativement continuer à structurer notre stratégie de défense et les missions de nos forces armées. Il ne peut être question d’abandonner l’une de ses composantes, comme certains le suggèrent, ouvertement ou de façon subreptice.
Cette exigence de maintenir le triptyque dans les conditions actuelles, que je crois partagée par une grande majorité d’entre nous, a un coût. Le Président de la République et le Premier ministre ont décidé de l’assumer pleinement, malgré le contexte très contraint de nos finances publiques, car la défense du pays doit primer lorsque sa sécurité est clairement en jeu.
L’analyse de notre situation de sécurité appelait un accroissement de notre dépense de défense ; c’est ce qui a été décidé.
Je voudrais maintenant mettre en relief les neuf orientations majeures qui caractérisent l’actualisation de la programmation militaire pour les années 2015 à 2019.
Premièrement, dans le contexte que je viens de rappeler, le Président de la République a fait le choix de définir un nouveau contrat de protection sur le territoire. L’objectif est que nos armées soient capables de déployer sur la durée – donc en intégrant les relèves – 7 000 soldats sur le territoire national, avec la faculté de monter presque instantanément jusqu’à 10 000 hommes pour un mois, comme nous l’avons fait en trois jours après les attentats de janvier.
À cet effet, les effectifs de la force opérationnelle terrestre, la FOT, seront portés à 77 000 hommes, au lieu des 66 000 prévus initialement par la LPM. La contribution de la réserve opérationnelle sera également accrue. Cette augmentation de capacité de notre armée de terre représente bien un tournant majeur dans notre histoire militaire récente. Elle profitera à l’ensemble de notre armée professionnelle et de nos missions.
Vous l’aurez en effet observé, dans la foulée des attentats de janvier et au regard de l’analyse des menaces qui a suivi, nous n’avons pas retenu les idées de « garde nationale » ni de réserve territoriale massive, qui avaient pourtant leurs mérites. Il s’agit bien d’un renforcement de nos unités de combat professionnelles. En effet, pour ce genre de mission, il faut des professionnels, un commandement, du renseignement, des capacités appropriées et renforcées.
J’entends d’ailleurs conduire une ample réflexion – je le dis en particulier au président Raffarin, qui m’avait interrogé sur ce point –, avec le chef d’état-major des armées et le général Bosser, sur le concept d’emploi, sur les capacités adaptées et les moyens de nos unités lorsqu’elles ont à être ainsi engagées sur le territoire national.
Ces forces ne sont pas des auxiliaires supplétifs de l’ordre public. Elles ont une mission de protection exigeante. Un tel déploiement doit permettre de contribuer, en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile, à la protection non seulement de points d’importance vitale, mais aussi, le cas échéant, des flux essentiels pour la vie du pays, ainsi qu’au contrôle des accès terrestres, maritimes et aériens du territoire et à la sauvegarde des populations face à des menaces de tous ordres. Ces forces devront s’articuler avec la cyberdéfense, en pleine expansion.
Bien entendu, il sera rendu compte au Parlement. C’est pourquoi le Gouvernement est favorable à la remise d’un rapport sur les conditions d’emploi des forces armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population, comme le prévoit l’article 4 ter inséré par votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je vous proposerai simplement, tout à l’heure, de décaler au 31 mars 2016 la livraison du premier rapport, afin de disposer d’un recul suffisant pour effectuer un retour d’expérience complet.
Deuxièmement, le Président de la République a décidé un allégement des déflations d’effectifs, dans le but, principalement, de renforcer nos capacités opérationnelles, ainsi que nos services de renseignement et de cyberdéfense.
Considérée globalement, cette réduction de la déflation permettra de gager les postes nécessaires pour la force opérationnelle terrestre, d’accompagner cette montée en puissance par les soutiens indispensables, de gager les besoins de créations de postes additionnels dans le domaine du renseignement – 650 postes de plus pour les services par rapport aux engagements de la LPM votée en 2013 – et de la cyberdéfense – au moins 500 postes de plus, pour un total supérieur à 1 000 postes sur la durée de la programmation –, enfin de poursuivre la transformation des armées et des services à l’horizon 2020. Je précise que ces postes permettront également d’accompagner les exportations d’armement. En effet, il ne suffit pas de signer des contrats : il faut accompagner la montée en puissance de leur exécution, ce qui nécessite que nos armées mobilisent et mettent à disposition des ressources à cette fin.
Troisièmement, le Président de la République a décidé d’accroître la dépense de défense de 3, 8 milliards d’euros par rapport à la trajectoire initiale de la LPM.
Ces crédits additionnels profiteront tout d’abord au nouveau contrat Protection, avec 2, 8 milliards d’euros affectés. En parallèle, des ressources supplémentaires seront consacrées à l’équipement des forces.
À cet égard, je pense d’abord à la régénération des matériels. L’effort financier en faveur de l’entretien des équipements était déjà inscrit dans la loi votée en 2013. Ainsi, l’entretien programmé des matériels bénéficiait d’une augmentation de 4, 3 % par an en moyenne. Cet effort sera accru au profit des matériels les plus sollicités en opération, avec une dotation supplémentaire de 500 millions d’euros sur la période, soit à peu près 100 millions d’euros par an.
Je pense aussi à l’accentuation de notre effort sur les équipements critiques : 500 millions d’euros en crédits budgétaires nouveaux y seront consacrés, ainsi que 1 milliard d’euros issus de redéploiements internes, rendus possibles par la réaffectation des gains de pouvoir d’achat qui découlent de l’évolution favorable des indices économiques depuis le vote de la LPM en décembre 2013.
C’est donc au total 1, 5 milliard d’euros – 500 millions d’euros de crédits budgétaires nouveaux et 1 milliard d’euros de gain de pouvoir d’achat – qui vont être dégagés et affectés à l’équipement des forces. Cela permettra en particulier d’adapter notre composante « hélicoptères » aux exigences des opérations sur tous les théâtres par l’acquisition de sept Tigre et de six NH 90 supplémentaires, de renforcer nos capacités de transport aérien tactique, très sollicitées – nous étudions et avons provisionné à cette fin la mise à disposition de quatre nouveaux appareils C 130 –, de confirmer, monsieur de Legge, les livraisons de frégates multimissions FREMM sur la période de programmation, malgré le prélèvement d’un bâtiment pour l’exportation vers l’Égypte, et d’avancer le lancement du programme des futures frégates de taille intermédiaire, lesquelles assureront le relais des FREMM à moyenne échéance. Par ailleurs, grâce à ces capacités budgétaires nouvelles, nous pourrons équiper nos drones de surveillance d’une charge d’écoute électromagnétique, ce qui est tout à fait indispensable. Enfin, j’y insiste particulièrement, nous allons pouvoir boucler le financement du troisième satellite CSO, réalisé en coopération avec l’Allemagne, qui devrait assumer la majeure partie de son coût.
S’agissant de ces satellites, je rappelle qu’ils sont appelés à prendre progressivement la relève d’Hélios II à partir de 2018. Deux satellites ont été commandés par la France ; les discussions avec l’Allemagne portaient sur la commande d’un troisième satellite, pour un lancement prévu en 2021, ce qui permettra une complémentarité de l’ensemble de la constellation. Je vous informe que le Parlement allemand a donné un avis favorable à cette coopération voilà trois jours. Je pense que nous serons en mesure de conclure un accord définitif dès la rentrée.