Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, c’est clair, il fallait actualiser la loi de programmation militaire de 2013 ! Cela était prévu, mais les circonstances imposent de le faire ici et maintenant.
Les crises extérieures se sont gravement accentuées. L’émergence de Daech marque une vraie rupture au regard du traitement habituel des menaces et représente un risque d’une extrême gravité pour notre sécurité. On a du mal, monsieur le ministre, à croire que la réponse militaire actuelle sera suffisante face à ce que l’on peut considérer comme un véritable fléau.
Par ailleurs, les « menaces de la force » ont fait leur retour avec l’annexion de la Crimée et les actes de guerre dans le Donbass, que peinent à contenir l’édifice utile de « Minsk 2 » et le dialogue sous « format Normandie », qui a ouvert une perspective mais laisse subsister bien des incertitudes.
Enfin, la menace intérieure, qui avait été pressentie et, d’une certaine manière, anticipée par les auteurs du Livre blanc de 2013, auxquels je veux rendre hommage, a pris corps avec les attentats de janvier et celui de l’Isère, au point que l’on peut dire que notre pays est aujourd’hui en guerre. Cela nous impose d’agir dans un esprit de rassemblement.
En 2013, certains paris avaient été faits. Ils sont aujourd’hui en partie « débouclés » : en positif avec la prise de risque récompensée s’agissant de l’exportation du Rafale, en négatif avec l’absence de cession des fréquences hertziennes, qui conduit aujourd’hui le Gouvernement à – enfin ! – budgétiser les ressources de la défense.
Permettez-moi de revenir un instant sur le rôle qu’a joué en la matière la commission des affaires étrangères, de la défense et des armées. En 2013, Jacques Gautier, Daniel Reiner et Xavier Pintat avaient conduit sa réflexion sur la trajectoire et sur la question des équipements. Robert del Picchia et Gilbert Roger avaient travaillé sur les ressources humaines, Jeanny Lorgeoux et André Trillard sur le renseignement et les études amont. Yves Pozzo di Borgo et Michelle Demessine s’étaient penchés, quant à eux, sur le sujet de l’entraînement des forces.
Je citerai encore les travaux de Jean-Marie Bockel sur la cyberdéfense et l’Afrique, ainsi que ceux d’Alain Gournac et de Michel Boutant.
J’ai pu constater que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées réalisait dans la durée un travail de grande qualité, en étant capable de dépasser un certain nombre de conflits de circonstance pour essayer de penser l’avenir dans un esprit de responsabilité. Je suis heureux de m’inscrire dans cette perspective, que les présidents Carrère et de Rohan ont dessinée avant moi.
En 2013, c’est notre commission qui, par le biais d’un amendement cosigné de tous ses rapporteurs, avait introduit la clause de sauvegarde budgétaire en cas de défaut de ressources exceptionnelles. C’est une disposition très importante que nous réutilisons à propos de ce texte.
Nous avons pu constater, dans les arbitrages récents, un alignement sur la doctrine de notre commission, qui, je n’en doute pas, monsieur le ministre, a été une carte d’atout dans votre jeu, notamment dans le cadre des négociations avec certains de vos collègues du Gouvernement que je ne citerai pas ici, même si nous avons effectué un contrôle sur pièces et sur place dans leur ministère. Ce travail a d’ailleurs été très utile, tout comme le débat qui a eu lieu au Sénat le 2 avril dernier afin de préparer l’actualisation de la LPM. Nous avons ainsi pu démontrer qu’il manquait 3 milliards d’euros au budget de la défense, somme que nous avons fini, ensemble, par obtenir, monsieur le ministre ! Nous avons mis en lumière, ensemble, la nécessité de faire face à l’exigence de sécurité. Les arbitrages rendus ont été les bienvenus, mais nous ne devons pas pour autant relâcher nos efforts, les mêmes causes pouvant produire, demain, les mêmes effets. Nous souhaitons donc toujours que nous soit soumis un collectif budgétaire afin de donner une traduction concrète à ces annonces.
Nous avons plusieurs motifs de satisfaction. Le plus important d’entre eux est peut-être l’inversion de la tendance globale : pour la première fois depuis longtemps, la baisse des crédits est enrayée. Nous sommes également d’accord avec les priorités fixées par ce texte : la protection du territoire national, la cyberdéfense, le renseignement, l’aéromobilité, l’attention portée à l’entraînement, le rôle citoyen des armées, l’accent mis sur la réserve. Ces priorités nous paraissent pertinentes.
Cependant, des motifs d’inquiétude subsistent.
Ils concernent tout d’abord les ressources, et ce dès l’exécution 2015, puisqu’il faudra attendre les crédits budgétaires jusqu’à fin décembre. Ce calendrier va contraindre à poser des « rustines » : dégel des réserves, décrets d’avance, remboursements divers demandés à des tiers. La Direction générale de l’armement, la DGA, va devoir dépenser 2 milliards d’euros entre le 30 et le 31 décembre ! C’est de l’équilibrisme ! Les conséquences risquent d’être importantes pour les industriels. Cette situation nous amène à réclamer ici solennellement la présentation d’un collectif budgétaire anticipé. Nous avons confiance dans les choix qui ont été annoncés, mais plus tôt ce collectif interviendra, plus nous serons rassurés.
Nos préoccupations portent également sur les ressources exceptionnelles, notamment celles qui sont liées aux cessions immobilières et aux ventes de matériels. Ces ressources considérables, qui s’établissent à 930 millions d’euros, pourraient être menacées si un certain nombre de paramètres venaient à évoluer dans le mauvais sens. Nous en reparlerons, puisque nous appelons à faire jouer, en l’occurrence, la procédure des clauses de sauvegarde.
Le calendrier nous préoccupe aussi. Le profilage dans le temps des crédits conduit à une concentration sur la fin de la programmation : la majeure partie de l’effort est concentrée sur 2018 et 2019, pour un engagement total de 3, 8 milliards d’euros supplémentaires, sans qu’un seul euro de plus ne soit sorti en 2015…
Nous disposons d’une vision d’ensemble, mais cette actualisation n’est qu’une étape pour ceux qui entendent défendre les moyens mobilisés afin d’atteindre les objectifs fixés par la loi de programmation militaire. Il nous faudra rester vigilants, compte tenu de l’ampleur des crédits nécessaires en fin de programmation. À cet égard, notre commission coopère dans les meilleurs termes avec la commission des finances. Je tiens à saluer, à cet instant, le travail de Dominique de Legge, avec lequel nous avons pu trouver, dans un climat de compréhension mutuelle, les bons équilibres.
Ce sujet est extrêmement important pour notre pays. La France est tout de même l’un des rares pays, en Europe et dans le monde, capables de protéger de manière autonome leurs ressortissants et leur territoire, y compris en intervenant militairement hors de celui-ci, de dissuader, grâce à leur force de dissuasion, tout agresseur qui menacerait leurs intérêts vitaux et de se faire entendre sur la scène internationale.
Vous pouvez compter sur nous, monsieur le ministre, pour maintenir cette vigilance. Nous saluons les arbitrages interministériels et présidentiels que vous avez pu obtenir. Il apparaît clairement, aujourd’hui, que le secteur de la défense est pour notre pays non pas une charge, mais une force d’avenir. Il dispose de grandes capacités technologiques, techniques et humaines. Notre organisation militaire reflète l’évolution sophistiquée de la gestion de l’autorité dans les sociétés modernes. La France est l’un des rares pays au monde où l’excellence se rassemble autour du dispositif de défense.
Il nous faut renforcer notre défense pour nous protéger, mais aussi pour assumer notre place au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et pouvoir parler en étant écoutés. Il est clair que ce secteur peut contribuer fortement à faire respecter la France dans le monde.
Monsieur le président, pour une meilleure organisation de nos travaux, je demande, au nom de la commission, la réserve de l’examen de l’article 1er jusqu’à la fin de la discussion des articles.