Intervention de Philippe Esnol

Réunion du 8 juillet 2015 à 14h30
Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 — Demande générale

Photo de Philippe EsnolPhilippe Esnol :

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en avril dernier, alors que nous évoquions déjà la nécessité d’actualiser la programmation militaire à la suite des événements tragiques du début de l’année, j’avais émis le souhait que s’arrête là la comptabilité macabre.

La liste des victimes s’est, hélas ! encore allongée et plus rien ne semble arrêter la barbarie djihadiste. Tout espoir d’un retour à la normale sur notre territoire national – si tant est qu’il ait existé – s’est évanoui. La pérennisation de l’opération Sentinelle est désormais perçue comme inéluctable. Le niveau d’engagement de nos troupes sur les théâtres extérieurs est également plus élevé que prévu, plongeant nos forces armées dans une situation de « surchauffe opérationnelle ». En outre, l’« arc de crises » se dessinant au sud de l’Europe, du Sahel à l’Afghanistan, se consolide pendant que l’État islamique poursuit sa progression, obtenant dans le même temps le ralliement de différents groupes terroristes.

Face à ce constat, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui tente d’adapter notre outil de défense à ces besoins accrus de sécurité.

Tout d’abord, il abonde le budget de la défense de quelque 3, 8 milliards d’euros supplémentaires entre 2016 et 2019, mais surtout – et c’était une revendication de longue date – il sécurise ce budget par la limitation des ressources exceptionnelles, ou REX.

On retiendra surtout de ces fameuses « ressources exceptionnelles », issues du produit de cessions de biens immobiliers, de matériel militaire ou de fréquences hertziennes, qu’elles ont manqué en 2015 et ont conduit à imaginer des solutions pour le moins surprenantes, à l’image des sociétés de projet. Ces REX ne représentent plus que 930 millions d’euros pour la période 2015-2019, soit 0, 6 % du budget contre 3, 5 % dans la programmation initiale. Cette « rebudgétisation » représente, monsieur le ministre, un progrès notable qui ne manquera pas d’être souligné, je n’en doute pas, par l’ensemble de mes collègues.

Une part notable de ces 3, 8 milliards d’euros, soit 2, 8 milliards d’euros, servira à financer la révision de la trajectoire des effectifs. Le rythme des déflations d’effectifs ralentit et nous accueillons cette décision avec soulagement. Ainsi, 18 750 postes seront sauvegardés afin de pouvoir continuer à mobiliser, dans la durée, 7 000 hommes dans le cadre de l’opération Sentinelle, tout en assurant la relève sur les théâtres extérieurs et sans que la préparation, essentielle à l’efficacité et à la sécurité de nos soldats, soit pour autant négligée.

Il est encore prévu que les secteurs stratégiques du renseignement et de la cyberdéfense bénéficient de la création de 900 postes de spécialistes, ce que nous appelions aussi de nos vœux.

Sur cet effort financier, un milliard d’euros sera consacré pour moitié à l’achat d’équipements, l’autre moitié étant réservée à l’entretien programmé du matériel.

Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, on ne peut que se réjouir que quelque 500 millions d’euros, dégagés par une évolution favorable de certains indices économiques, viennent compléter cette somme. Celle-ci sera destinée, pour l’essentiel, à la mise à jour capacitaire des moyens dédiés aux forces aériennes et au renseignement.

Dans l’aérien, la programmation est substantielle et, de fait, satisfaisante. Une dizaine d’hélicoptères supplémentaires, d’attaque mais aussi de transport, seront livrés en 2017 et 2018 ; un second escadron de Rafale viendra remplacer les Mirage ; trois avions ravitailleurs MRTT seront commandés de façon anticipée. Ce renouvellement de matériel sera par ailleurs accompagné – c’était indispensable – d’un plan de réorganisation générale du maintien en condition opérationnelle. Nous saluons cette initiative, car le matériel, sursollicité en OPEX, se détériore rapidement.

En ce qui concerne le renseignement, nos capacités d’observation spatiale seront renforcées par l’acquisition d’un troisième satellite de la composante spatiale optique, ou CSO, en coopération avec l’Allemagne. Pour les drones, les livraisons déjà prévues seront complétées par l’acquisition d’appareils embarqués de renseignement d’origine électromagnétique. Nous approuvons l’effort de recherche consenti pour rattraper notre retard en la matière. Ce retard nous contraint à nous fournir chez nos alliés américains et à chercher en urgence des mesures pour régler, notamment, la problématique du survol de sites sensibles par des mini-drones.

Les forces terrestres et spéciales, ainsi que la marine, ne seront pas en reste pour autant, comme en témoignent la régénération du parc de véhicules blindés, l’acquisition d’un quatrième bâtiment multimissions et de quatre bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers, etc.Personne n’a été oublié.

Ce projet de loi prévoit également quelques dispositions nouvelles, telles que l’expérimentation d’un service militaire volontaire. Si nous pouvions réserver à cette mesure un accueil plutôt favorable, considérant qu’il est essentiel de retisser un lien entre l’armée et la nation qui n’a cessé de s’étioler, permettez-nous, monsieur le ministre, d’être quelque peu déçus par la façon dont le dispositif est conçu, à savoir avant tout comme un dispositif d’insertion professionnelle destiné aux jeunes en difficulté auxquels il s’agirait de donner une seconde chance. Tant mieux si cette nouvelle version du service militaire permet de remplir cette fonction, mais lui assigner cette unique mission me paraît manquer d’ambition ! Est-ce bien là la vocation de nos forces armées que d’inculquer la ponctualité ? Nous nous contentons d’un décalque de ce qui existe outre-mer dans le cadre du service militaire adapté, alors que le dispositif mériterait d’être ouvert à d’autres profils et, également, d’être relié à l’objectif de montée en puissance de la réserve opérationnelle.

Sur la question inédite de la création d’associations professionnelles de militaires, décidée afin de nous mettre en conformité avec le droit européen à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, le texte, en permettant d’instaurer un dialogue strictement restreint à la « condition militaire », me semble être équilibré.

Enfin, il me faut encore dire un mot sur l’Europe de la défense, sujet sur lequel on ne peut que déplorer l’absence d’avancées concrètes ! Nous attendions beaucoup du Conseil européen des 25 et 26 juin dernier, mais les questions de sécurité et de défense ont été mises de côté, au profit d’autres préoccupations telles que celles liées à la crise grecque. Les déclarations d’intention doivent désormais se traduire par des actes.

L’Union européenne a besoin d’agir de façon autonome en s’appuyant sur des capacités militaires crédibles. Le scandale de la mise sur écoute de l’Élysée opérée par l’agence de sécurité des États-Unis a mis en évidence ce besoin d’une coopération étroite au niveau européen, à la fois pour exister parmi les grands et pour établir une protection réellement efficace.

Aussi, comment ne pas s’inquiéter quand le Conseil européen demande qu’une stratégie de défense européenne lui soit soumise d’ici à juin 2016 ? La situation exige que nous accélérions. La France, grande puissance militaire, doit jouer un rôle de premier plan dans cette relance.

Bien que cet attentisme européen dangereux nous alerte, nous constatons que le Gouvernement confirme qu’il a pris la mesure de la situation en présentant ce projet de loi et les ajustements importants qu’il contient. Les crédits budgétaires repartent à la hausse, la tendance s’inverse en ce qui concerne les coupes dans les effectifs et des priorités nouvelles sont affirmées. C’est pourquoi le groupe du RDSE est favorable à l’adoption de ce texte.

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