Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis revenu spécialement d’Autriche, où je participais à la négociation sur le nucléaire iranien, pour assister au conseil des ministres ce matin et à votre débat cet après-midi. Je repartirai ensuite pour Vienne et ne pourrai donc être présent, demain matin, à l’important colloque qui se tiendra au Sénat. Je vous prie, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir excuser mon absence.
J’ai toutefois tenu, aujourd’hui, comme le veut la tradition, à vous lire le discours que M. le Premier ministre Manuel Valls prononce au même instant devant les députés.
« Depuis soixante-dix ans, l’Europe, ce “vieux rêve”, est devenue une réalité pour nos pays et pour nos peuples. Ensemble, à force de volonté, nous avons su transformer notre histoire, sceller une paix durable et faire que, du sud à l’est, la démocratie s’enracine.
« C’est une magnifique construction, par des nations qui ont uni leurs forces et leurs destins pour peser davantage, économiquement, mais aussi politiquement et diplomatiquement.
« Bien sûr, l’Europe a ses insuffisances : des vides démocratiques qui restent à combler, des faiblesses diplomatiques, des difficultés économiques. Mais une chose est presque certaine : sans l’Europe, nous perdrions beaucoup de nous-mêmes. Dans un monde qui change extraordinairement vite, nos nations se trouveraient finalement assez esseulées. Affaiblies, elles risqueraient de perdre progressivement pied.
« Nous avons souhaité que le débat d’aujourd’hui ait lieu pour que le Parlement soit pleinement associé, car nous sommes à un moment crucial, pour la Grèce et le peuple grec, assurément, mais aussi pour nous et pour la construction européenne.
« Nous devons refuser une Europe du ressentiment, de la punition et de l’humiliation, une Europe où monteraient, ici, les sentiments antigrecs, et là, les sentiments antiallemands, où s’installeraient plutôt les égoïsmes et les populismes ; une Europe où les plus faibles risqueraient d’être livrés à eux-mêmes.
« L’Europe fait l’objet de nombreuses définitions, mais elle se caractérise par le respect des peuples et des individus.
« Il y a entre la Grèce et la France un lien historique extrêmement fort. La Grèce, c’est le berceau de l’Europe, par son histoire, sa culture et ce qu’elle nous a apporté : la démocratie. Au début du XIXe siècle, le chant de liberté du peuple grec prenant son indépendance a été entonné par plusieurs grands poètes, écrivains et artistes français.
« La Grèce est aussi dans l’Union européenne depuis 1981, grâce notamment à la France et, à l’époque, au président Valéry Giscard d’Estaing. Elle sortait alors de la dictature des colonels.
« On peut citer aujourd’hui quelques personnages incontournables de cette culture commune que nous nous sommes forgée, dans plusieurs domaines. Je pense notamment à Costa-Gavras et à son film Z, sur l’histoire de son pays, ou à Jacqueline de Romilly, cette académicienne française qui a dévoué sa vie à la langue grecque, si bien qu’elle a reçu, à titre honorifique, la nationalité grecque.
« La Grèce est donc une véritable passion française, mais elle entretient aussi des liens forts avec l’Europe. Nous devons être fidèles au passé de cette relation et tenter de construire son avenir. La Grèce a aussi conscience de ce que l’Europe lui a apporté.
« Sachons donc entendre les messages. Par leur vote, les Grecs n’ont pas voulu couper les ponts avec l’Europe et n’ont pas dit non à l’euro » J’ajoute, à titre personnel, que, si la réponse était claire, la question posée l’était moins ! « Car, au fond, beaucoup de Grecs savent combien les conséquences d’une éventuelle sortie de la monnaie unique seraient lourdes ; quand on prétend que l’on peut en sortir “ calmement ” ou “ sans drame ”, ce sont des formules qui masquent une réalité bien différente.
« Une sortie de l’euro, si elle devait advenir, se traduirait certainement par un affaiblissement des revenus et une explosion du prix des importations, y compris pour les biens de première nécessité, sans que celle-ci puisse être compensée par une augmentation des exportations, la Grèce exportant très peu. Il faudrait aussi vraisemblablement s’attendre à des conséquences politiques, sociales et d’ordre public que personne n’est finalement capable de prévoir. Ce n’est pas ce que nous voulons pour le peuple grec et ce n’est certainement pas l’image que nous voulons donner de l’Europe aux yeux du monde. En tout cas, telle n’est pas la position de la France !
« L’Europe a besoin de solidarité, mais aussi d’unité et de stabilité. Le maintien de la Grèce dans l’euro et dans l’Union européenne représente également un enjeu géostratégique et géopolitique de très haute importance. » Ce matin, je me suis d’ailleurs permis, en conseil des ministres, de revenir sur cet aspect.
« Je pense, bien sûr, à nos relations avec la Turquie, aux regains de tensions possibles dans les Balkans et à la frontière est de l’Europe. La Grèce, en raison de ses liens avec la Russie et le monde orthodoxe, est un acteur majeur du partenariat oriental. Je pense, également, aux enjeux migratoires. La Grèce est aujourd’hui, avec l’Italie, l’un des pays les plus exposés aux arrivées massives de migrants. La Grèce, membre de l’OTAN, est aussi l’avant-poste européen face à un Proche-Orient en plein embrasement.
« Affaiblir la Grèce, c’est donc affaiblir collectivement l’Europe, avec des répercussions notamment économiques – revenant d’une discussion avec les membres permanents du Conseil de sécurité, je puis vous assurer personnellement que cette inquiétude est partagée par les dirigeants des grands pays du monde.
« C’est pourquoi la France – et, au premier rang, le Président de la République –, tout à fait consciente de ce qui se joue, ne ménage pas ses efforts pour tenter de trouver des solutions et faire converger les points de vue.
« Nous agissons sans relâche pour que la Grèce tienne ses engagements, pour écouter le choix fait par ce pays tout en assurant la cohésion de l’Europe. C’est à cette condition seulement que nous parviendrons à un accord satisfaisant pour toutes les parties.
« Telle est, après tout, l’histoire de l’Europe : trouver des solutions communes, bâtir ensemble, dans le respect de gouvernements élus démocratiquement – le gouvernement grec tout comme celui des autres pays – et des sensibilités de chacun, qui ne sont pas les mêmes quand on est à Athènes, à Dublin ou à Lisbonne.
« Rien n’est facile, bien sûr. Les débats sont réels, les risques sérieux. C’est pour cela que la France, membre fondateur de l’Union européenne, puise en elle-même cette force qui en a toujours fait un garant du destin européen. C’est notre vocation. Nous ne pouvons pas nous dérober à nos responsabilités et c’est, bien entendu, au Président de la République d’assumer ce rôle en priorité.
« La France – c’est ce que l’on attend d’elle – essaye de tout faire, aux côtés de ses partenaires, en s’appuyant sur sa propre force, mais aussi, si c’est possible, sur la force du couple franco-allemand. Notre rôle n’est pas d’exclure, de casser ou de renverser la table, mais d’essayer de trouver des compromis, c’est-à-dire des solutions qui puissent rassembler les uns et les autres.
« Quand l’essentiel est en jeu – en l’occurrence, tel est le cas –, la France et l’Allemagne ont le devoir de se hisser à la hauteur de l’événement. Bien sûr, chacun peut avoir sa sensibilité – c’est surtout vrai de nos opinions publiques –, mais la force de cette relation, c’est de savoir avancer ensemble.
« Cette relation n’est pas exclusive, mais elle est tout de même singulière, car, ensemble, nous avons une capacité à entraîner. Nous sommes deux pays souverains, conscients de leurs responsabilités et c’est dans cet esprit que s’est tenue à l’Élysée, lundi soir, la réunion dont il a été rendu compte.
« Rien n’est facile, mais c’est à nous d’essayer de nous élever à la hauteur du moment. C’est ce que fait le Président de la République aux côtés de la chancelière allemande, lundi dernier, et encore hier soir, à Bruxelles, avec le ministre des finances et des comptes publics.
« Je veux d’ailleurs saluer l’action déterminée de Michel Sapin, qui n’a eu de cesse, depuis le début des négociations, dans des circonstances très difficiles, de multiplier les échanges et de tout mettre en œuvre pour faire partager la vision française et soutenir la Grèce.
« Et si nous nous mobilisons autant, ce n’est pas, comme j’ai pu l’entendre de la part de certains, parce que nous serions à la remorque de l’Allemagne, ou parce que nous serions indulgents vis-à-vis du gouvernement grec, mais parce que c’est aussi notre intérêt, parce que notre intérêt, c’est l’Europe !
« Mesdames, messieurs, pour bien comprendre la situation actuelle, nous devons revenir, en peu de mots, sur les dix dernières années.
« La Grèce a connu une forte croissance économique durant les années 2000, en partie d’ailleurs grâce à la stabilité offerte par l’appartenance à la zone euro, mais, disons-le clairement, elle n’a pas su moderniser son économie ni mener les réformes nécessaires, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé. Ainsi, au moment où a éclaté la crise économique, l’économie grecque était déjà très fragile, avec une dette publique et un déficit de la balance commerciale extrêmement élevés.
« Les mécanismes de prévention permettant d’anticiper une crise dans la zone euro n’ont pas fonctionné et il a été nécessaire d’inventer en urgence des mécanismes de gestion de crise. Sans la solidarité de ses partenaires européens, la Grèce aurait été en faillite en 2010. Nous avons évité cela, en lui apportant une assistance financière massive proche de 240 milliards d’euros et en mettant en place un programme de réformes pour le redressement de son économie, qui n’a pas été exécuté.
« La France, avec la majorité précédente, a soutenu ce plan. Si, aujourd’hui, nous acceptions ou proposions une sortie de la Grèce de la zone euro, nous serions en contradiction avec les orientations que la France a voulues pour l’Europe. Ce serait un aveu d’impuissance et, pour notre part, nous ne le voulons pas.
« Au prix de réels efforts, souvent douloureux pour la population – on parle d’une diminution de la production intérieure brute de 25 %, ce que personne ne doit sous-estimer –, l’économie grecque n’était certes pas guérie à la fin de 2014, mais la croissance était de retour et le budget public était en excédent primaire. Pour autant, le problème de la dette restait entier et les Grecs ne voyaient pas arriver concrètement le fruit de leurs efforts.
« Au début de l’année 2015, le gouvernement grec nouvellement élu a souhaité revoir les modalités du programme d’assistance, en particulier le détail des réformes nécessaires pour que la Grèce puisse recevoir le reste de l’aide financière prévue.
« Les discussions ont alors été longues et difficiles – je n’y reviendrai pas –, mais il y a deux semaines, vous savez sans doute que nous étions tout près d’un accord. Les institutions, que ce soit la Commission européenne, la Banque centrale européenne ou le Fonds monétaire international, avaient fait des propositions nouvelles, en fixant notamment des cibles budgétaires revues à la baisse. L’objectif était de permettre à la Grèce d’honorer ses engagements passés, mais aussi de renouer avec la croissance.
« Cependant, disons les choses telles qu’elles sont : le gouvernement grec a décidé d’interrompre de manière unilatérale…