Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 8 juillet 2015 à 14h30
Situation de la grèce et enjeux européens — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Laurent Fabius, ministre :

… « les négociations – nous l’avons regretté – et d’organiser un référendum pour permettre à son peuple de s’exprimer souverainement. Ce choix, nous n’avons pas à le discuter. »

Cependant, l’ambivalence du résultat nous place dans une situation nouvelle que je veux décrire en quelques mots.

« Le sommet qui a eu lieu a permis au dialogue de reprendre, de réenclencher un processus et de rétablir le lien dont nous avions tous besoin pour avancer. Ce travail de dialogue doit se poursuivre. »

Ce matin, le premier ministre grec est intervenu devant le Parlement européen. Vous savez que des réunions se tiendront dans les jours qui viennent, mesdames et messieurs les sénateurs, aussi bien entre ministres des finances qu’entre chefs d’État ou de gouvernement. L’accord est à la fois difficile et à portée de main. Voilà le paradoxe !

« La condition d’un accord, le Président de la République l’a souligné, c’est la solidarité. C’est aussi la responsabilité, celle des États-membres, mais aussi celle de la Grèce. La France et ses partenaires européens y sont légitimement attachés, en particulier ceux qui ont, au cours des dernières années, consenti des efforts importants, voire des sacrifices considérables. L’Europe ne peut pas être conçue comme un droit de tirage illimité. Ce sont des règles communes à respecter. Sans cela, il n’y aurait pas d’union possible !

« Compte tenu de ces éléments, la France a décidé de se mobiliser jusqu’au bout pour aider la Grèce, mais il faut aussi que le gouvernement grec veuille s’aider lui-même. C’est donc aussi au gouvernement grec d’être au rendez-vous de son histoire et de l’histoire européenne. C’est donc un moment de vérité.

« En définitive, les bases d’un accord complet, global et durable sont connues.

« Premièrement, des réformes détaillées sont nécessaires pour moderniser et redresser l’économie, bâtir un État solide, réactif, efficace, un État qui fonctionne vraiment, mais aussi pour avancer sur des questions essentielles telles que les retraites – sans toucher aux petites retraites – ou la TVA. Mener ces réformes est une condition essentielle à l’obtention d’un nouveau programme d’aide financière.

« Deuxièmement, il faut des moyens pour financer la croissance en Grèce, car, comme je l’ai dit, c’est d’abord cela que veulent les Grecs. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a proposé un “ paquet ” de 35 milliards d’euros, qui devraient permettre d’apporter à l’économie grecque l’oxygène dont elle a besoin pour redémarrer.

« Troisièmement, une perspective claire sur le traitement de la dette est indispensable. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de sujet tabou : il est donc essentiel d’établir une trajectoire soutenable de la dette grecque pour les prochaines années. C’est indispensable pour avancer vers une solution durable à la crise actuelle.

« Il est aujourd’hui urgent de conclure cet accord sur le fondement de ces trois éléments. Il nous reste très peu de temps, puisque nous avons jusqu’à dimanche pour y parvenir.

« Ce matin, les Grecs ont formellement soumis la demande d’un nouveau programme d’aides dans le cadre du mécanisme européen de stabilité. »

À ce titre, ils ont présenté une lettre – que vous avez certainement lue – qui nous semble équilibrée, positive, et qui fait preuve d’une réelle volonté de réformes. Même s’il manque encore des précisions, des étapes importantes permettront au dialogue de se nouer.

« Ainsi, le gouvernement grec présentera jeudi prochain un programme complet de réformes précises à mener à court et à moyen termes. Samedi, sur le fondement de l’évaluation faite par les institutions, une nouvelle réunion de l’Eurogroupe se tiendra, avant que, dimanche, une nouvelle réunion des chefs d’État ou de gouvernement ne soit organisée.

« Nous disposons donc de très peu de temps puisque nous avons cinq jours. Sans exagérer, c’est en partie la destinée de l’Europe, comme construction politique, qui se joue. Nous devons donc nous engager avec le souci de l’action. Pour cela, nous voulons être très clairs : comme l’a dit le Président de la République, quelle que soit l’issue, l’Assemblée nationale aura à se prononcer.

« L’histoire de la construction européenne est une histoire progressive, faite d’avancées, de reculs, souvent d’à-coups. C’est finalement sa capacité à surmonter les crises qui a permis à l’Europe de grandir.

« Qu’on le veuille ou non, l’Europe politique est mise à l’épreuve dans l’incertitude et, s’agissant du peuple grec, souvent dans la douleur. Toutefois, beaucoup d’entre nous avons réclamé cette Europe politique, déçus que nous étions par une Europe qui se confondait uniquement avec un projet économique, lequel n’était d’ailleurs pas toujours couronné de succès. Or nous y sommes ! Il appartient à la France, au couple franco-allemand dans la mesure du possible, de se saisir de cette crise – qui est rude – pour en faire une chance. »

Je crois d’ailleurs me souvenir que le mot κίνδυνος ( kíndunos) signifie, en grec ancien, à la fois le risque et la chance. Il nous appartient de faire de ce risque, que nous n’avons pas souhaité, une chance que nous devrons bâtir. Nous avons la perspective d’une zone euro renforcée, et donc d’une Europe plus forte.

« Cependant, ce n’est possible que si l’on répond à l’urgence !

« De réels progrès ont été faits au cours des dernières années pour renforcer la zone euro. Elle est plus robuste qu’il y a encore quelque temps. Prenons l’exemple du Mécanisme européen de stabilité ou de l’Union bancaire.

« Pour autant, le travail sur l’approfondissement de la zone euro n’est absolument pas achevé. Au travers de cette crise, toute une série de questions se posent en filigrane : le gouvernement économique de l’Europe, l’agenda de convergence économique et fiscale, les avancées convergentes en matière sociale – qu’il s’agisse des salaires ou de la lutte contre toute forme de concurrence déloyale –, l’utilisation de la monnaie unique au service de la croissance et de l’emploi et, enfin, la représentativité démocratique.

« Tous ces enjeux sont devant nous. Après l’urgence, nous aurons aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, à y répondre ! La France, comme toujours, devra prendre des initiatives pour que l’Europe tienne sa place, avance, et continue de bâtir son histoire. »

Néanmoins, cela suppose d’abord que nous sachions apporter les réponses qui conviennent à la crise grecque et qui tiennent compte, à la fois, du vote intervenu dimanche, du souci exprimé par les autres pays de la zone euro, ainsi que de la nécessité de trouver des solutions qui permettent à tous d’avancer.

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