Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, les discussions du sommet de l’Eurogroupe d’hier soir auraient pu déboucher sur un nouveau départ décisif dans la résolution de la crise de la dette grecque. Il n’en a rien été.
Quarante-huit heures après le référendum grec, chacun a campé sur ses positions, alors même que l’initiateur de ce référendum nous affirmait qu’il déboucherait sur un changement. Il faudra donc attendre que se tienne, dimanche prochain, une énième « réunion de la dernière chance ».
Pourtant, nous allons devoir sortir rapidement du jeu des postures et du renvoi systématique aux responsabilités respectives, tant passées que présentes. En effet, l’Union européenne se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins.
Oui, l’Union européenne porte aujourd’hui, avec la troïka, de lourdes responsabilités dans la situation actuelle de la Grèce.
Oui, son programme d’austérité et de réduction de la dette imposé aux différents gouvernements grecs a rendu le pays exsangue. Loin de porter ses fruits, il a même obéré l’économie du pays, laissant les Grecs dans une situation de détresse sans nom.
Oui, l’attitude intransigeante de l’Allemagne complique la situation. Même si l’agacement des uns et des autres est compréhensible, je ne pense pas que l’Allemagne, qui doit tant à l’Europe, serve le projet européen en se comportant ainsi. Toutefois, et il faut le souligner, la Grèce a aussi de lourdes responsabilités par rapport à sa situation actuelle.
Ses gouvernements successifs ont, en effet, brillé par leur incapacité à mener des réformes structurelles sérieuses, laissant un État sans pouvoir, gangrené par la corruption, miné par le clientélisme et débordé par une économie informelle et souterraine.
Pour autant, la seule question qui vaille aujourd’hui est la suivante : peut-on se permettre une sortie de la Grèce de la zone euro ?
Hier, la question a été évoquée ouvertement par l’Eurogroupe. Une sortie de la Grèce de la zone euro est peut-être économiquement, institutionnellement et monétairement envisageable, mais elle est politiquement insoutenable, voire tout simplement impensable !
Hier, on a également évoqué, en cas de sortie de la Grèce de la zone euro, la mise en place d'une aide humanitaire. La belle affaire ! C’est tout simplement surréel !
Disons-le clairement, abandonner la Grèce au bord du chemin européen, ce serait un aveu d’échec de la solidarité entre États membres de l’Union européenne, mais ce serait surtout un coup d’arrêt définitif à la construction européenne.
Tout d’abord, ce serait une aberration économique. Une sortie de la Grèce de la zone euro et un défaut de paiement général coûteraient bien plus cher à l’Union européenne qu’une restructuration de la dette.
Ensuite, une sortie de la Grèce serait aussi une aberration géopolitique. En effet, plutôt que de sacrifier le dogme de l’austérité, on préfèrerait jeter la Grèce dans les bras de la Chine et de la Russie au lieu de lui garder sa place au sein de l’Union ?
Enfin, laisser partir la Grèce serait également une aberration politique. Ceux qui sont aujourd’hui favorables à une sortie de la Grèce de la zone euro ont-ils seulement pensé que la Grèce est aussi, avec l’Italie, un des points de passage les plus sensibles de l’immigration clandestine vers l’Europe ? Que se passera-t-il demain en Grèce en termes de migrations, si l’État est exsangue et ne peut plus payer ses fonctionnaires ? Ce n’est pas uniquement un problème grec, mais un problème européen. Nous ne pouvons laisser un pays faire banqueroute en disant : « Après moi, le déluge » ! Non, la solution n’est pas là !
Bien entendu, la Grèce ne doit pas sortir de l’euro. Cependant, une fois ce principe posé, reste la question centrale : quelles sont les bases d’un compromis juste permettant de parvenir à une solution durable ? Aucun compromis viable ne sera possible sans une restructuration préalable de la dette grecque. Tous les économistes s’accordent à dire que celle-ci n’est pas soutenable. Il n’est pas responsable de continuer à étouffer la possible renaissance de l’économie grecque par le versement de traites démesurées.
Cependant, l’effort le plus important doit provenir de la Grèce elle-même. Elle se doit d’engager de profondes et sérieuses réformes structurelles, mais ces réformes ne sont pas celles proposées par la troïka, qui ont été si destructrices pour le pays et pour les plus fragiles socialement.
Il s’agit maintenant de lutter contre les véritables maux du pays et de prendre enfin des mesures à l’encontre des différentes oligarchies bien ancrées qui jouissent de privilèges fiscaux injustifiés. Certains de ces privilèges sont parfois même inscrits dans la Constitution grecque de 1975, qui, je le rappelle, a été révisée trois fois, sans que soit jamais abolie la toute-puissance de l’Église orthodoxe, qui ne paie pas d’impôts et dont les popes sont salariés par l’État. N’oublions pas non plus les armateurs qui menacent de quitter la Grèce à tout instant ni les possesseurs de grands comptes à l’étranger.
Je m’étonne que le Premier ministre grec, M. Alexis Tsipras, qui a organisé un référendum auprès de sa population en une semaine, n’ait pas saisi également cette occasion pour interroger le peuple sur une réforme de ce système archaïque et féodal.