Intervention de Jacques Grosperrin

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 1er juillet 2015 à 14h00
Examen du rapport

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin, rapporteur :

Merci pour ce travail durant ces longs mois. Vous avez pu prendre connaissance de ce rapport dès le 25 juin, et un exemplaire papier nominatif vient de vous être confié pour la durée de cette réunion. J'ai pris en compte plusieurs observations formulées le 11 juin, notamment pour préciser le concept de « valeurs de la République » qui, comme l'avait souligné Gérard Longuet, nécessite une explication de texte.

J'ai reformulé certaines des vingt propositions principales du rapport pour leur donner un contenu plus opérationnel. J'ai été sensible à la recommandation de notre présidente de faire des propositions pratiques et applicables.

Deux préoccupations m'ont guidé tout au long de ce travail : sortir du déni de problèmes connus depuis longtemps, mais auxquels les pouvoirs publics n'ont pas vraiment réagi ; libérer la parole, à commencer par celle des personnels de l'éducation nationale qui vivent ces difficultés au quotidien.

Nous avons réalisé un travail en profondeur, sans exclusive ni esprit partisan. Plusieurs d'entre nous avaient rejeté par principe la formule d'une commission d'enquête, mais nous avons tous avancé pour parvenir à trois constats issus de nos auditions et de nos déplacements.

D'abord, les incidents de janvier 2015 ont été un nouveau révélateur. De nombreux incidents sont survenus dans des écoles lors de la minute de silence, sans que les services de l'éducation nationale puissent en quantifier le nombre. Le ministère a évoqué environ deux cents incidents, nous en comptabilisons plus du double - un chiffre fortement sous-évalué puisque nombre d'incidents ne sont pas signalés. Lors de son audition le 2 juin, la ministre a évoqué 816 signalements de radicalisation, à ne pas confondre avec les incidents précédents. Cette querelle de chiffres révèle la faiblesse de l'appareil statistique du ministère, alors que cette question devrait faire l'objet d'une attention renforcée, comme nous le proposons dans le rapport.

La minute de silence, partant d'une bonne intention, souffrait surtout d'une totale impréparation et était inappropriée. Comme l'a dit l'un de nos interlocuteurs, la compassion ne se décrète pas : pour reprendre l'expression de Mme Laborde, la minute de silence aurait dû être précédée d'une heure de parole. Si les incidents de janvier n'ont pas affecté de manière grave le service public de l'éducation, ils ont révélé un état d'esprit, et même un malaise profond que le rapport Obin, il y a dix ans, avait déjà parfaitement diagnostiqué.

Deuxième constat, le sentiment d'appartenance à des valeurs - mal connues voire rejetées - se délite. Quelles valeurs, m'avez-vous demandé le 11 juin ? Les valeurs républicaines, ou, plutôt, les valeurs de l'école républicaine, sur lesquelles devraient s'accorder tous les membres de la communauté éducative. Elles incluent la laïcité et la neutralité des enseignements, l'égalité de tous sans considération d'origine, de race, de religion ou de croyance, une stricte égalité entre les filles et les garçons, la conviction que l'émancipation de chacun passe par le savoir plutôt que par les dogmes, le respect mutuel entre tous les membres de la communauté éducative, ainsi que le crédit attaché à la parole de l'enseignant. Ces valeurs, dont la liste n'est pas figée, se déclinent à tous les instants de la vie scolaire.

C'est par la laïcité, première de ces valeurs, que l'école assure le vivre-ensemble sans distinction d'origine ou de confession religieuse et la neutralité des enseignements.

Certains jeunes peinent à se reconnaître comme membres à part entière de la communauté nationale, au profit d'autres repères identitaires comme le quartier, le groupe ethnique, la communauté religieuse, la nationalité des parents... Or ces groupes ont leurs propres lois, leurs codes, leurs repères, leur croyances, ce qui place les élèves en porte-à-faux. Ces valeurs particulières ne doivent pas l'emporter sur celles de la République, seules à même de garantir à tous l'égalité devant ses lois, sans considération d'origine, de race, de religion ou de croyance.

Pourquoi une méconnaissance voire un rejet des valeurs de la République ? D'avis presque unanime, le mode actuel de transmission de nos valeurs nationales par l'école laisse fortement à désirer. Les enseignants, qui sont les premiers à le déplorer, ont besoin d'être soutenus dans cette mission essentielle. Cependant, gardons bien à l'esprit que l'école n'est pas responsable de tout, et ne peut pas tout.

La marginalisation économique et sociale des quartiers, le chômage et les phénomènes de ghetto ne facilitent pas l'adhésion aux valeurs traditionnelles prônées par l'école. Les enseignants eux-mêmes subissent une dégradation constante de leur statut, à la fois matériel et social. La parole du professeur est de plus en plus concurrencée : généralisation du relativisme, bruit numérique ambiant, travail de sape des théories du complot... Si le temps des fameux hussards noirs de la République est derrière nous, leur mission de transmission des valeurs demeure pleinement légitime.

Pour contrer les dérives et restaurer la transmission du sentiment d'appartenance, l'école doit redonner à ses enseignants confiance en eux-mêmes, première priorité afin qu'à leur tour, ils puissent à nouveau transmettre des valeurs qui soient perçues non pas comme des contraintes imposées mais comme des facteurs d'émancipation et de libre-arbitre.

Enfin, la perte des repères résulte de plusieurs fragilités structurelles auxquelles nous devons apporter des solutions ambitieuses. La plus grave tient au manque de maîtrise du socle de connaissances et de compétences requises à leur niveau par un pourcentage considérable d'élèves, en particulier en français. De très nombreux enseignants nous l'ont signalé, et il apparaît clairement dans les grandes enquêtes internationales. Je suggère d'agir à la fois auprès des élèves et des enseignants. Trop de jeunes arrivent en sixième sans maîtriser les français. Comment leur transmettre ces valeurs, dans une langue qu'ils ne comprennent même pas ? Je propose d'investir massivement dans l'apprentissage du français dès la maternelle ; une maîtrise suffisante du français en fin de CM2 doit devenir une condition pour accéder en sixième. Quant aux enseignants, leur formation doit être revue, car ils ne sont pas correctement préparés à transmettre les valeurs. La formation initiale est inappropriée et la formation continue, en totale déshérence.

L'école républicaine doit pratiquer de manière tangible et au quotidien les valeurs qu'elle est en charge de transmettre, notamment en favorisant certains rites républicains. Il s'agit, sans imposer une sorte de catéchisme laïc, de marquer un certain nombre de repères bien visibles favorisant l'émergence du sentiment d'adhésion. Enfin, il est indispensable d'associer et de responsabiliser les parents à cet effort : l'éducation ne s'arrête pas à la sortie de l'école, et les familles sont à 100 % partie prenante de ce processus.

Je ne propose pas de réforme institutionnelle majeure ; je ne suggère pas de revenir sur la loi d'orientation du 8 juillet 2013 sur la refondation de l'école de la République, mais de mieux appliquer cette loi afin qu'elle favorise une authentique transmission des valeurs de la République, d'où le titre de mon rapport, Faire revenir la République à l'école.

Le Parlement n'est pas assez associé à la définition des choix stratégiques qui déterminent la formation des citoyens de demain. Certes, nous votons des lois comme celle de juillet 2013, et débattons sur les crédits de l'enseignement... Est-ce suffisant ? Sur un thème aussi fondamental, les représentants de la Nation devraient débattre plus régulièrement et dans un cadre mieux adapté ; ce sera l'une de mes principales propositions.

Mon rapport est organisé en quatre axes prioritaires : favoriser le sentiment d'appartenance et l'adhésion de tous aux valeurs de la citoyenneté ; restaurer l'autorité des enseignants et mettre en place une vraie formation à la transmission des valeurs ; mettre l'accent sur la maîtrise du français et veiller à une meilleure concentration des élèves ; mieux responsabiliser tous les acteurs. La liste des propositions figure au début du rapport. D'autres mesures d'accompagnement sont proposées, comme encourager, si possible, l'accueil des enfants de moins de trois ans dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé.

Merci à tous ceux qui m'ont soutenu dans ce difficile parcours, dont je retire au moins deux certitudes : même faute d'accord sur les solutions, notre constat général objectif ne peut qu'être partagé par tous ceux qui ont participé à nos travaux ; notre travail était attendu, et il ne restera pas vain. La défense de l'école républicaine et la promotion des valeurs de la République sont un combat de tous les instants, auquel j'ai été fier de participer à vos côtés.

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