Intervention de Jacques Grosperrin

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 11 juin 2015 à 9h00
Échange de vues

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin, rapporteur :

Oui, nous avons beaucoup et bien travaillé. Mon rapport n'est pas finalisé, il était logique d'attendre cette réunion d'orientation avant de formuler mes propositions.

De nos auditions et rencontres, je dégage trois constats. D'abord, les incidents de janvier lors de la minute de silence révèlent un malaise. Leur nombre n'a pas été précisément quantifié par les services de l'éducation nationale. Ils n'ont pas affecté de manière grave le service public de l'éducation, mais ont révélé un malaise profond que le rapport Obin, il y a dix ans, avait déjà parfaitement diagnostiqué. Le ministère évoquait environ deux cents incidents, nous en comptabilisons plus du double - au moins, car nombre d'incidents ne sont pas signalés par les chefs d'établissement.

Cette querelle des chiffres révèle la faiblesse de l'appareil statistique du ministère ; surtout, nous avons pris conscience de l'impréparation de cette minute de silence. Comme le disait l'un de nos interlocuteurs, la compassion ne se décrète pas ! Pour reprendre l'expression de Mme Laborde, la minute de silence aurait dû être précédée d'une heure de parole.

Deuxième constat, le sentiment d'appartenance se délite. Ces incidents, qui ont pris les enseignants au dépourvu, l'ont révélé : beaucoup de jeunes n'adhèrent pas à des valeurs qu'ils connaissent mal ou qu'ils rejettent. Ces valeurs républicaines sont en réalité plutôt des valeurs démocratiques de tolérance et de respect de l'autre ainsi que de laïcité, gage d'un vivre ensemble harmonieux et d'une neutralité des enseignements.

Certains jeunes ne se reconnaissent pas membres à part entière de la communauté nationale ; leurs repères identitaires sont le quartier, le groupe ethnique, la communauté religieuse ou la nationalité des parents. Ces groupes ont leurs lois, leurs codes, leur croyances, mais leurs valeurs ne sauraient prendre le pas sur celles de la République, seules à garantir à tous l'égalité devant ses lois, sans considération d'origine, de race, de religion ou de croyance.

Pourquoi cette méconnaissance ou ce rejet ? D'avis presque unanime, le mode de transmission de nos valeurs nationales par l'école laisse fortement à désirer... Les enseignants sont les premiers à le regretter et ont besoin de soutien dans cette mission essentielle. L'école n'est pas responsable de tout, et ne peut pas tout. La marginalisation économique et sociale des quartiers, le chômage et les phénomènes de ghetto ne facilitent pas l'adhésion aux valeurs traditionnelles prônées par l'école. Les enseignants eux-mêmes subissent une dégradation constante de leur statut, à la fois matériel et social. Aujourd'hui, la parole du professeur est de plus en plus concurrencée : généralisation du relativisme, bruit numérique ambiant, travail de sape des théories du complot ...

Nous devons redonner aux enseignants confiance en eux-mêmes, pour qu'ils présentent les valeurs de la République non comme des contraintes imposées, mais comme des facteurs d'émancipation et de libre arbitre.

La perte des repères résulte d'un certain nombre de fragilités structurelles, mises en évidence par nos travaux, auxquelles nous devons apporter des solutions ambitieuses. Les grandes enquêtes internationales nous renvoient une image inquiétante. Un pourcentage considérable d'élèves ne maîtrise pas le socle de connaissances et de compétences requis à leur niveau. Trop de jeunes arrivent en sixième sans maîtriser le français. Comment leur transmettre ces valeurs dans une langue qu'ils ne comprennent même pas ? Je propose d'investir massivement dans l'apprentissage du français dès la maternelle. Quant aux enseignants, leur formation devra être revue, car ils ne sont pas correctement préparés à transmettre les valeurs. La formation initiale est inappropriée et la formation continue, en totale déshérence.

L'école républicaine doit aussi pratiquer de manière tangible et au quotidien les valeurs qu'elle est en charge de transmettre, notamment en favorisant certains rites républicains. Il ne s'agit pas d'imposer un nouveau catéchisme, mais de marquer un certain nombre de repères bien visibles favorisant l'émergence du sentiment d'adhésion. Enfin, je crois indispensable d'associer et de responsabiliser les parents à cet effort : l'éducation ne s'arrête pas à la sortie de l'école, et les familles sont à 100 % partie prenante de ce processus.

Je ne sais pas si nous parviendrons à nous entendre sur les solutions, mais je suis convaincu que ce constat sera partagé par tous ceux qui ont participé à nos travaux depuis cinq mois.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion