Intervention de Jacques Toubon

Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes — Réunion du 1er juillet 2015 à 14h40
Audition de M. Jacques Toubon défenseur des droits

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Les auditions précédentes nous ont orientés sur les préoccupations majeures de votre commission d'enquête. Nul besoin de vous présenter davantage notre institution : notre rapport d'activité pour 2014 est disponible depuis janvier. Patrice Gélard avait qualifié le Défenseur des droits d' « élément constitutif de la démocratie ». On n'en dirait pas autant d'autres AAI. La nôtre est issue de quatre AAI préexistantes : nous avons déjà pratiqué la manoeuvre que vous envisagez pour d'autres. Le Défenseur, en l'occurrence Dominique Baudis, qui est resté 33 mois seulement dans ces fonctions, a instauré des relations fructueuses avec le Parlement.

Après avoir examiné la loi organique du 29 mars 2011, le Conseil constitutionnel a conclu que le Défenseur des droits était une autorité constitutionnelle indépendante qui ne recevait dans l'exercice de ses attributions aucune instruction. Au vu du premier alinéa de l'article 2, il a considéré que le Défenseur des droits ne figurait pas au nombre des pouvoirs publics constitutionnels, c'est-à-dire des autorités bénéficiant du principe de l'autonomie financière au nom de la séparation des pouvoirs : assemblées parlementaires, présidence de la République, Conseil constitutionnel, Haute Cour et Cour de justice de la République. Ne sont pas des pouvoirs publics constitutionnels le Conseil de la magistrature, la Cour des comptes, ou encore le Conseil social, économique et environnemental. Le fait que nous émargions sur le programme 308 des services du Premier ministre ne me pose aucun problème. Notre directeur général des services, Luc Machard, travaille en confiance avec la direction des services administratifs et financiers. De manière générale, je ne crois pas que le statut du Défenseur des droits ait une influence sur son efficacité.

Comme les autres AAI, Patrice Gélard nous a également qualifiés d' « objet administratif non identifié », ce qui n'est pas tout à fait exact. L'institution est unique. Et d'abord en ce qu'elle résulte de la fusion de quatre institutions. La Cour des comptes, saisie par la commission des finances de l'Assemblée nationale, en application de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, nous a donnés un satisfecit. Nous avons réduit de 30 % les fonctions supports de gestion, grâce à une mutualisation efficace. Contrairement à d'autres fusions, la nôtre s'est opérée sans aucun crédit supplémentaire et dans un délai bref, alors que les défis étaient considérables. De quatre locaux, nous sommes passés à deux en 2011. Alors que les écarts de salaires entre les agents des différentes institutions pouvaient aller jusqu'à 40 %, nous avons homogénéisé notre masse salariale, qui a été laminée dans le cadre du plan triennal. Nous n'avons pas négligé les crédits consacrés à la formation, malgré la pression, et nous développons des actions de communication et de promotion de notre institution. Nous avons également optimisé nos appels d'offre en recourant aux marchés interministériels. Bref, nous avons réussi notre fusion, et les chiffres montrent que nous avons gagné en productivité.

Notre palmarès témoigne d'une efficacité remarquable. Entre 2010 et 2014, et malgré la particularité de l'exercice 2014, marqué par la maladie puis le décès de Dominique Baudis, et la vacance de son poste, le nombre de réclamations concernant la déontologie de la sécurité a augmenté de 210 %, et de 23 % entre 2013 et 2014. Le nombre de dossiers sur les droits de l'enfant a augmenté de 80 % et 10 %, sur les mêmes périodes. Quant aux cas de discrimination portés devant nous, ils ont augmenté de 25 % en quatre ans, et diminué de 5 % la dernière année. Sans doute est-ce là l'effet du développement de médiations privées, venues prendre le relais du Défenseur des droits. En revanche, la part des dossiers liés aux régimes sociaux (retraites ou assurance chômage) augmente, au fur et à mesure que la réglementation se complique, l'accès au droit prenant la forme d'un labyrinthe antique. La protection sociale et la santé représentent 40 % des 73 000 dossiers traités depuis 2014. Dans 70 % des cas, nos interventions sont couronnées de succès. Enfin, le regroupement a donné lieu à la création d'un réseau territorial de 400 délégués, présents dans tous les départements y compris outre-mer, et qui traitent 80 % des réclamations que nous recevons.

Quelques détails sur la petite histoire de nos locaux : nous avons d'emblée réduit nos baux de location de quatre à deux en dénonçant ceux qui pouvant l'être et en ne conservant ainsi que ceux de la rue Saint-Georges et la rue Saint-Florentin, dont l'échéance courait jusqu'en novembre 2014. Dominique Baudis a bataillé pendant deux ans pour trouver une localisation unique, afin d'éviter de renouveler ces deux derniers baux, onéreux : en vain. Nous nous sommes inscrits dans le projet de rénovation de l'ensemble immobilier Ségur-Fontenoy, sans pouvoir y entrer avant la fin de 2014, comme l'a confirmé M. Ayrault lui-même dans un courrier en réponse à une demande de Dominique Baudis en avril 2013. Cela nous a contraints à renouveler nos contrats de location pour des sommes importantes. Nous devrions emménager dans les locaux rénovés à la fin de l'été 2016. Dès ma prise de fonction, j'ai tenu à rencontrer le secrétaire général du gouvernement, Serge Lasvignes, et je travaille à présent avec son successeur, Marc Guillaume, pour concilier les bénéfices de la mutualisation avec l'indépendance de notre institution.

Quant à notre guide des procédures, qui a été établi de manière très complète par Richard Senghor, il s'appesantit sur l'exigence - fondamentale pour le Défenseur des droits ! - du contradictoire. Les délais de nos décisions s'expliquent par le fait que nous allons toujours voir la partie adverse et que nous prenons le temps d'organiser des auditions contradictoires. La Cour de cassation et le Conseil d'État ont reconnu à plusieurs reprises que la Halde mettait en oeuvre les principes du procès équitable et du contradictoire. Il suffit de citer l'arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 2010, ou celui du 2 février 2011, à propos de BNP Paribas. Le Conseil d'État a confirmé cette position, dans une affaire de harcèlement sexuel où il intervenait en qualité de juge de cassation, et l'assemblée du contentieux du Conseil d'État a rendu un jugement identique, le 11 avril 2012, dans une affaire de recours en excès de pouvoir. Nous facilitons l'accès au droit, tout en nous montrant parfaitement respectueux du droit. C'est naturel et légitime, malgré l'adage bien connu : « les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés ».

Enfin, le Défenseur des droits tient à entretenir des relations fréquentes et approfondies avec le Parlement, au rythme de deux rencontres par an avec la commission des lois de chaque assemblée. Je remets régulièrement des rapports aux présidents des assemblées pour attirer leur attention sur des sujets importants. En comptant l'audition de ce matin, organisée par la mission d'information de la commission des lois du Sénat consacrée au droit français en matière de PMA et GPA face aux évolutions jurisprudentielles, j'aurai participé depuis le 1er janvier à 17 auditions au Parlement, et cela à la demande des organes parlementaires plutôt que de ma propre initiative. Le Défenseur des droits n'a aucune prétention politique. Son action a pour but et pour effet de répondre à une demande sociale, exactement comme le font les députés, les sénateurs, les maires, ou les conseillers départementaux, mais à partir d'analyses juridiques différentes. Nous disposons des services de 230 experts juridiques, soit une véritable machine à produire de la ressource juridique. Elle mérite d'être encore mieux utilisée par le Parlement.

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