Intervention de Jacques Toubon

Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes — Réunion du 1er juillet 2015 à 14h40
Audition de M. Jacques Toubon défenseur des droits

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

D'abord, la question des moyens. Avant même ma nomination, lors de mon audition le 9 juillet 2014 par les commissions des lois dans le cadre de la procédure de l'article 13 de la Constitution, j'ai annoncé mes deux priorités. La première est de développer l'accès au droit pour ceux, très nombreux, qui ne savent pas qu'ils ont des droits ni comment les faire valoir et ne connaissent pas l'existence du Défenseur des droits - ceux que j'appelle le « non-public de l'action publique », dont l'existence n'est pas confinée à mon champ d'activité. Dans cette perspective, je dois me préparer à traiter non plus 110 000 demandes, dont 73 000 sont instruites, mais 150, 200 voire 300 000.

De plus, notre action doit être plus forte, sur les sujets qui préoccupent la société. Un exemple : en octobre 2014, nous avons lancé une plate-forme de l'égalité contre le racisme, à titre de contre-offensive face au mouvement de rejet, d'exclusion et de haine de l'autre qui se développe depuis dix ans dans le monde réel et virtuel, tragiquement illustré par les événements de janvier dernier. Cette plate-forme promeut des attitudes et des discours de tolérance et de respect, en s'appuyant sur le principe de l'égale dignité des huit milliards d'habitants de notre planète.

Tout cela exige des effectifs supplémentaires - dans le respect, naturellement, des principes de rigueur budgétaire. Nous en avons fait la demande dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016. Les efforts de redéploiement des fonctions support vers l'instruction des dossiers et la production se poursuivent. L'emménagement à Fontenoy autorisera des mutualisations plus poussées : j'entends qu'une partie des économies ainsi réalisées nous reviennent.

Vous l'avez souligné : nous pourrions aller plus loin dans les fusions et les regroupements. Concernant un rapprochement avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, je n'ai aucune revendication : aux autorités politiques et législatives d'en décider. Adeline Hazan et moi-même travaillons côte à côte : les détenus saisissent plutôt le Contrôleur général des questions relatives aux conditions de détention et le Défenseur des droits pour les demandes touchant aux droits sociaux et familiaux. Les délégués territoriaux assurent une permanence dans 160 lieux de détention.

Bien qu'à la fin du mandat de Jean-Marie Delarue, une fusion ait été envisagée, une proposition de loi d'origine sénatoriale, devenue la loi du 24 mai 2014, a conforté les compétences du contrôle général en tant qu'entité distincte.

Plus généralement, vous m'avez interrogé sur l'éventualité que d'autres institutions rejoignent le même giron. La question se pose pour l'Institution nationale des droits de l'Homme (INDH) qui est, en France contrairement à d'autres pays, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), instance consultative aujourd'hui présidée par Christine Lazerges, et dont le mandat de membres arrive à échéance cet été. On pourrait envisager que la CNCDH et notre institution qui fait office de mécanisme de suivi des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme fassent pot commun : la fonction tribunitienne de la première serait complétée par le travail effectif de réalisation des droits conduit par la seconde.

Les mêmes questions émergent pour des instances qui ne sont pas des AAI, comme le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes créé par la loi de 2013 et qui traite d'un sujet que nous traitons. On peut songer aussi à une AAI plus récente, comme la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) qui, aux termes de la loi sur le renseignement, remplace la Commission nationale des interceptions de sécurité. Je suis prêt à faire oeuvre d'imagination ! Ce paysage peut être rationalisé.

Vous m'avez interrogé sur nos moyens d'action. Lorsque nous sommes confrontés à un refus d'appliquer nos préconisations, nous publions un rapport spécial au Journal officiel, mais aussi, opportunément, dans un titre de presse du territoire où réside le récalcitrant. C'est un bon système de dissuasion. Au contraire de certaines autres AAI, nous n'avons pas de pouvoir de sanction. Ne faudrait-il pas nous en doter, en particulier pour sanctionner les discriminations ? Sans compter que nous pourrions, ce faisant, nous constituer des ressources propres.

Les propos de Jean-Louis Tourenne et du président Trillard sur les mineurs isolés étrangers sont frappés au coin du bon sens. Je n'ignore pas que les conseils départementaux sont pris dans un dilemme administratif, financier et humain entre l'enfance en danger et les mineurs étrangers... Comment choisir ! Sur ce sujet, j'ai porté un grand nombre des dispositions aujourd'hui inscrite dans la proposition de loi Meunier sur la protection de l'enfance. La question me tient à coeur. Ce matin même, j'ai réuni le collège des droits des enfants pour explorer les possibilités d'amélioration du suivi des enfants en danger et victimes de maltraitance qui échappent aux services sociaux. Les droits des enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant, sont un fondement de notre action. Pour répondre à André Trillard, j'ajoute qu'en cas de soupçon de fraude organisée par des passeurs, la loi doit être appliquée, y compris en plaçant les intéressés en zone d'attente.

Je n'ignore pas non plus les problèmes liés à la mise en oeuvre de la circulaire Taubira de mai 2013, qui prévoyait une meilleure répartition des mineurs étrangers dans les différents départements. Avant un examen général de la question prévu pour la fin de l'année, je m'exprimerai très bientôt, dans un avis sur le projet de loi immigration qui sera présenté au Parlement en juillet.

Pour répondre à Jean-Yves Leconte, je n'agis pas différemment selon qu'il s'agit d'une saisine extérieure ou d'une auto-saisine. La nécessité de favoriser l'accès au droit de ceux qui en sont privés, parfois dans des circonstances tragiques, figure dans la loi. Il faut en tirer les conclusions. Un exemple : à la fin de l'année dernière, un maire de l'Essonne a refusé d'inhumer un bébé parce qu'il était Rom. Je me suis auto-saisi et, en dix jours, j'ai dit le droit. Les choses, ensuite, se sont calmées.

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