Le calendrier ne fait pas bien les choses, mais je comprends que la situation grecque préoccupe les sénateurs. Loin de prendre cela comme un désintérêt pour la santé de nos concitoyens, je ne doute pas que les absents sauront s'exprimer le moment venu.
L'Assemblée nationale a adopté mi-avril le texte dont vous entamez l'examen. Ce projet est nécessaire, monsieur le président : le temps de son examen en séance doit venir -j'aurais souhaité qu'il vienne plus vite. Nous disons souvent que l'examen des textes s'étale trop dans la durée, mais il est aussi nécessaire de conclure un processus engagé il y a longtemps par une concertation sur la stratégie nationale de santé, lancée en 2013 ; plus de 200 réunions ont mobilisé des élus, des professionnels de santé et des représentants des patients. Une urgence a été exprimée lors de cette concertation. Celle des Français ayant des difficultés pour accéder aux soins ; celle des professionnels de santé qui ont besoin de cadres nouveaux pour développer une médecine de parcours ; celle de notre système de santé qui doit être modernisé pour rester performant et accessible à tous.
Ce projet de loi est le fruit d'un long travail, d'une forte concertation. Son objectif est de donner la possibilité à notre système de santé de répondre aux défis qu'il affronte, tels que le creusement des inégalités et le développement des maladies chroniques accompagnant le vieillissement de la population. Il a été largement façonné au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Notre société a changé, comme le quotidien de nos concitoyens et leurs besoins. L'exercice des professionnels de santé a évolué. Ce constat est largement partagé, des changements sont nécessaires.
Premier axe du projet, la prévention doit être au coeur de notre action. Beaucoup de maladies pourraient être évitées. L'idée, simple, est de donner à nos concitoyens les moyens d'accéder à plus d'informations afin d'adopter des comportements favorisant une bonne santé. Il ne s'agit pas d'établir des normes d'en haut mais de leur offrir des outils par des mesures concrètes, nombreuses, et de faire une grande place à la jeunesse.
L'éducation à la santé se fera de la maternelle au lycée. Le projet de loi crée de nouvelles armes contre le tabagisme. Je veux faire de la génération qui naît aujourd'hui la première de non-fumeurs ; le paquet neutre, l'interdiction du fumer en voiture en présence des enfants ont pour but de casser l'attrait du tabac. Le projet de loi lutte aussi contre l'alcoolisation massive en créant un délit d'incitation à la consommation excessive d'alcool. Il favorise le dépistage des infections sexuellement transmissibles. Il lutte contre l'obésité par la mise en place d'un étiquetage clair et lisible. Des salles de consommation à moindre risque accompagneront les toxicomanes les plus marginalisés tout en protégeant les riverains.
Deuxième axe, le développement de la médecine de proximité articulée autour du médecin traitant. Les élus que nous sommes connaissent les difficultés des Français à trouver à proximité le bon interlocuteur dans un délai raisonnable, à se soigner quand on ne peut avancer les frais, à s'orienter dans un système complexe. Les barrières sont géographiques, financières, administratives. Beaucoup renoncent à des soins à cause des frais. La généralisation du tiers payant est une mesure de progrès. Elle renforce la place du médecin généraliste. Contrairement à ce qu'on a pu lire, le tiers payant n'est autorisé pour les patients en affection de longue durée (ALD) ni par la loi, ni par convention de l'assurance maladie.
La mise en place de la lettre de liaison, transmise par l'hôpital au médecin traitant le jour-même de la sortie du patient, améliorera la coordination de la prise en charge. Beaucoup de médecins de ville déplorent l'auto-centrisme de l'hôpital. La création d'un numéro d'appel unique pour joindre un médecin de garde simplifie l'accès au bon interlocuteur. Le but est que les patients ne se rendent pas aux urgences lorsque les cabinets médicaux sont fermés. Avec ce projet de loi, on passe d'une organisation hospitalo-centrée à une organisation dont le centre de gravité est le médecin généraliste.
Troisième axe, le renforcement des droits des patients. La loi Kouchner de 2002 a constitué une avancée considérable en matière de démocratie sanitaire. Nous reconnaissons aux patients de nouveaux droits individuels et collectifs. Le rôle des associations d'usagers est renforcé. Des patients seront représentés dans les organes de gouvernance de toutes les agences sanitaires nationales. Ils pourront faire valoir leurs droits collectivement par l'action de groupe en santé. Le droit à l'oubli mettra fin aux discriminations insupportables dont sont victimes d'anciens malades pour obtenir des assurances ou des prêts bancaires.
La France rejoint le mouvement de l'open data. La quantité et la qualité des données collectées par les hôpitaux et l'assurance maladie doivent être valorisées par les chercheurs, les professionnels et les entrepreneurs de start-up. Leur utilisation fera progresser nos connaissances dans le strict respect de la vie privée
L'examen par l'Assemblée nationale a répondu à certaines inquiétudes et enrichi le texte. Faire bouger les lignes entraîne nécessairement des interrogations. J'y ai répondu en réaffirmant que le projet de loi ne remettait pas en cause les principes fondamentaux de la médecine française, dont la libre installation et le libre choix du patient. J'ai clarifié certaines dispositions auprès des médecins libéraux. Le texte identifie plus clairement le médecin généraliste comme pivot du parcours de soin. Il apporte toutes les garanties de fiabilité nécessaires à la mise en place du tiers-payant, un système simple. Le médecin sera payé en sept jours par un flux unique organisé sous le contrôle de l'assurance maladie.
L'Assemblée nationale a aussi ouvert de nouvelles voies, comme la santé environnementale, sur laquelle nous avions d'ailleurs travaillé avec Aline Archimbaud. Nous connaissons les effets de l'environnement, qu'il s'agisse de la pollution de l'air ou des perturbateurs endocriniens. Des mesures fortes telles que l'information du public sur la pollution de l'air et l'expression claire des conséquences sanitaires ont été ajoutées. Un article relatif à la lutte contre le radon, un des polluants de l'air intérieur les plus nocifs, a été adopté. Le concept d'exposome, qui prend en compte l'ensemble des risques, a été introduit. Enfin, le bisphénol A, dont nous connaissons les effets sanitaires, sera interdit dans les jouets.
L'ambition de ce projet est de reconnaître les nouveaux besoins de santé pour y répondre par des mesures concrètes. Les défis sont nombreux, les attentes fortes. Il s'agit de mieux prévenir, de mieux accompagner et de respecter le droit des patients.