Intervention de Albéric de Montgolfier

Réunion du 9 juillet 2015 à 14h30
Orientation des finances publiques et règlement du budget de l'année 2014 — Débat puis rejet d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances :

… mais ceux-ci ne résistent pas à une étude approfondie. En 2014, la réduction du déficit public a été modeste. Ce dernier n’a reculé que de 0, 1 point, passant de 4, 1 % à 4 % du PIB entre 2013 et 2014, même si la « surestimation » du déficit à 4, 4 % par le Gouvernement à la fin de l’année passée lui permet de présenter aujourd’hui ses résultats sous un jour plus avantageux.

Le Gouvernement attribue ce redressement des comptes publics, malgré tout limité, à un ralentissement sans précédent de la dépense publique. Toutefois, cette évolution est en grande partie imputable à un effet d’aubaine lié à la réduction des dépenses des collectivités territoriales et à un nouveau recul de la charge de la dette.

Quoi qu’il en soit, le ralentissement de la dépense publique n’a pas permis de compenser le faible dynamisme des recettes. En effet, leur progression a été limitée du fait d’une croissance quasi nulle et d’une inflation atone. Dès lors que le déficit observé en 2014 était supérieur au déficit stabilisant, la part de la dette publique dans la richesse nationale a continué de croître, pour atteindre 95, 6 % du PIB. Le montant de l’endettement a quant à lui dépassé le fameux seuil des 2 000 milliards d’euros.

De même, s’agissant du budget de l’État, l’apparente maîtrise des dépenses affichée par le Gouvernement s’est révélée insuffisante face à la moins-value constatée en matière de recettes. Les recettes nettes de l’État ont été inférieures de près de 9 milliards d’euros à l’exécution 2013 ; la Cour des comptes l’a souligné dans son rapport. Cette diminution résulte principalement de la révision à la baisse du produit de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu, dont le rendement avait été surestimé de plus de 6 milliards d’euros.

La faiblesse des recettes fiscales n’a pas été intégralement compensée par une réduction des dépenses. Le déficit budgétaire a donc augmenté : il a atteint 85, 6 milliards d’euros en 2014. Cette augmentation du déficit budgétaire ne s’explique pas seulement par les dépenses « exceptionnelles », qui intègrent notamment le programme d’investissements d’avenir, le PIA. En effet, même en retirant ces dépenses, le déficit observé en 2014 reste supérieur à celui de l’année précédente.

En tout état de cause, la maîtrise des dépenses de l’État est non seulement insuffisante, mais aussi largement artificielle. Le Gouvernement se félicite d’avoir réduit la dépense de 3, 3 milliards d’euros sur la norme de dépenses « en valeur » et qualifie cette diminution de « baisse historique […] des dépenses “pilotables” de l’État ». Néanmoins, nous devons constater que plus du tiers de cette réduction provient d’une contrainte accrue sur les dépenses des collectivités territoriales, à travers la baisse des dotations qui leur sont destinées. De même, la norme « zéro volume » est respectée grâce à la baisse de la charge de la dette. Dans un cas comme dans l’autre, les baisses de dépenses ne correspondent ni à des réformes pérennes ni même à un effort budgétaire véritable du Gouvernement.

À ces économies que l’on peut qualifier d’économies de constatation s’ajoutent des opérations plus ou moins régulières sur la norme de dépenses. Le programme d’investissements d’avenir a ainsi été utilisé pour débudgétiser des sommes importantes, en particulier au sein de la mission « Défense ». Au total, plus de 2, 5 milliards d’euros, soit 20 % des crédits du PIA, ont été substitués à des crédits budgétaires.

En outre, les reports de charges se sont accrus. Pour afficher des économies cette année, le Gouvernement repousse sur les années suivantes des dépenses inéluctables. Les dettes de fonctionnement ont augmenté de 30 % en 2014 ; elles atteignent un montant supérieur aux crédits alloués aux missions « Logement » et « Justice ». Les charges à payer sont elles aussi en hausse : elles s’élèvent désormais à 11 milliards d’euros. Cette hausse considérable des reports de charges de l’État confirme le caractère un peu artificiel de la maîtrise des dépenses affichée par l’exécutif. En tout état de cause, elle fait peser un risque budgétaire significatif pour les années à venir.

La reprise de l’augmentation des dépenses de personnel montre que, en l’absence de véritable réforme, la masse salariale ne peut être durablement maîtrisée. Cette augmentation est d’autant plus inquiétante que la tendance à la hausse pourrait s’amplifier, puisque le Gouvernement prévoit la création de 8 300 postes l’année prochaine ; j’expliquerai pourquoi dans la suite de mon propos. L’exécutif compte sur la modération des mesures salariales pour stabiliser les dépenses de personnel, mais cette stratégie n’a pas, jusqu’à présent, prouvé son efficacité.

Venons-en maintenant au débat sur l’orientation des finances publiques. Les informations contenues dans le rapport transmis par le Gouvernement en vue de ce débat suscitent également la déception. Le principal objectif budgétaire du Gouvernement réside désormais dans le retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017. Pourtant, il continue de fonder sa trajectoire sur la perspective d’un retour de la croissance et sur de simples économies de constatation.

Le Gouvernement maintient, en dépit des modifications de la conjoncture et des orientations des finances publiques, son programme de 50 milliards d’euros d’économies sur la période 2015-2017, mais ces économies restent peu documentées ; elles n’ont d’ailleurs pas pleinement convaincu la Commission européenne, qui n’identifiait, en février dernier, que 25 milliards d’euros sur les 50 milliards d'euros annoncés.

Les mesures prises dans ce cadre ont vu leurs effets amoindris par la faiblesse de l’inflation. Afin de tenir ses engagements envers les autorités européennes, le Gouvernement a donc prévu des économies additionnelles pour l’ensemble des administrations publiques, à hauteur de 4 milliards d’euros en 2015 et de 5 milliards d’euros en 2016.

À titre d’exemple, le Gouvernement prévoit – M. le secrétaire d’État vient de nous l’indiquer – des économies supplémentaires de 1, 6 milliard d’euros pour l’État et ses opérateurs, de 2, 2 milliards d’euros au titre des dépenses sociales et de 1, 2 milliard d’euros en raison du ralentissement des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales. L’effort sur les dépenses de l’État en 2016, annoncé à hauteur de 1, 2 milliard d’euros par le Gouvernement, repose pour 85 % sur la seule baisse de la contribution française au budget de l’Union européenne : celle-ci diminuera en effet de 1, 1 milliard d’euros en 2016.

Ces différentes « économies », qui donnent parfois une impression de déjà-vu, restent très imprécises. Encore une fois, les « efforts » gouvernementaux reposent sur des économies de constatation ou des mesures peu documentées.

Le Gouvernement prévoit un recul du déficit structurel de 2 % en 2014 à 0, 1 % en 2018, ce qui correspond à un ajustement structurel de 0, 5 point de PIB par an entre 2015 et 2018. Cet ajustement serait supérieur à celui que prévoyait la loi de programmation des finances publiques. Toutefois, les données ne sont pas comparables dans la mesure où le Gouvernement a fait le choix, dans le programme de stabilité 2015-2018, de modifier les hypothèses relatives au PIB potentiel. Cet artifice permet d’accroître fictivement l’effort structurel au cours de la période.

De toute évidence, le Gouvernement a opportunément décidé de ne considérer désormais que le déficit effectif. Il présentait pourtant, il y a peu, le déficit structurel comme le pilier de sa politique budgétaire. D’ailleurs, la notion d’objectif à moyen terme de solde structurel, clef de voûte du dispositif issu de la loi organique de 2012, ne figure même pas dans le rapport transmis par le Gouvernement en vue du débat d’aujourd'hui.

Les plafonds de crédits arrêtés pour chaque ministère, présentés dans le tiré à part transmis par le Gouvernement, laissent craindre un relâchement de la discipline budgétaire en 2016. Les dépenses des ministères augmenteraient de plus de 150 millions d’euros par rapport à la loi de finances pour 2015 et de 295 millions d’euros par rapport aux prévisions de la loi de programmation des finances publiques. Ces écarts s’expliquent certes, pour partie, par la réorientation des priorités du Gouvernement en faveur de la sécurité intervenue à la suite des attentats de janvier 2015 ; nous approuvons bien évidemment cette décision, monsieur le secrétaire d’État. Néanmoins, les motifs de certaines augmentations ou diminutions de crédits suscitent des interrogations.

Les crédits alloués au logement diminuent par exemple de 425 millions d’euros par rapport à la loi de programmation ; vous avez annoncé à l’instant, monsieur le secrétaire d’État, que vous comptiez procéder à des réformes, peut-être structurelles, dans ce secteur. En attendant, la mission « Logement » connaît une sous-budgétisation chronique. En 2014, deux décrets d’avance ont ouvert des crédits supplémentaires au profit du logement. Dès lors, si les plafonds annoncés devaient être confirmés par la loi de finances pour l’année à venir, on pourrait craindre un dépassement significatif de l’enveloppe dédiée au logement au cours de l’exécution 2016, à moins que le Gouvernement ne réalise l’une des réformes de structure que nous attendons.

Compte tenu des observations qui viennent d’être faites, j’indique que la commission des finances a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014.

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