Intervention de Philippe Dallier

Réunion du 9 juillet 2015 à 14h30
Orientation des finances publiques et règlement du budget de l'année 2014 — Débat puis rejet d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Philippe DallierPhilippe Dallier :

… remplir leurs carnets de commandes et finalement embaucher.

Pourtant, depuis le 31 décembre 2013, jour du fameux tournant social-libéral du Président de la République, nous sommes à peu près tous d’accord – à l’exception de nos collègues du groupe CRC – sur le constat. Encore faudrait-il en tirer les conséquences avant qu’il ne soit trop tard.

Le véritable matraquage fiscal des années 2012 et 2013 qu’ont subi nos entreprises et les Français a étouffé la croissance. Or, sans croissance, nous le savons, nous ne résorberons pas notre déficit, nous ne réduirons pas notre dette et la courbe du chômage ne s’inversera pas. Le taux des prélèvements obligatoires n’a d’ailleurs pas diminué en 2014. Il est resté stable, à 44, 7 % du PIB, ce qui nous vaut d’occuper la deuxième place sur le podium mondial, après le Danemark. Et il ne diminuera quasiment pas d’ici à la fin du quinquennat, puisqu’il devrait s’établir à 44, 5 % en 2017, contre 42, 6 % en 2011.

Dans ces conditions, mes chers collègues, comment espérer que la croissance reparte ?

Nous le savons bien, la croissance ne se décrète pas, pas plus que la confiance des acteurs économiques, à qui il ne suffit pas d’adresser des déclarations d’amour enflammées, comme l’a fait l’an dernier le Premier ministre, Manuel Valls. Il faut des actes. Mais où sont-ils ? Il faut de véritables réformes structurelles. Où sont-elles ? Ce n’est pas la loi Macron, même améliorée par le Sénat, qui permettra sérieusement de relancer la croissance.

Tant que nous n’allégerons pas très significativement les charges pesant sur les entreprises, tant que nous ne réformerons pas sérieusement le marché du travail pour lui donner plus de flexibilité, la croissance ne repartira pas, ou alors très mollement, sous l’effet d’une reprise qui viendrait d’ailleurs, ce que semble espérer le Gouvernement.

Et quand bien même elle repartirait, nous savons que ce n’est pas avec 1, 5 % ou 2 % de croissance dans les années à venir, si tant est que nous les atteignions, que nous réglerons dans la durée nos problèmes.

Avec 0, 2 % de croissance en 2014, nous ne pouvons que constater les dégâts, parmi lesquels figure la baisse des recettes fiscales liée à l’érosion des bases taxables.

De ce point de vue, 2013 avait été une très mauvaise année. Eh bien, malheureusement, 2014 ne fut guère meilleure. Par rapport à la loi de finances initiale, les recettes furent en retrait de près de 12 milliards d’euros, notamment celles qui proviennent de la TVA et de l’impôt sur les sociétés. Malgré les beaux discours, nous ne pouvons nous affranchir de la fameuse courbe de Laffer, qui démontre que trop d’impôt tue l’impôt, comme nous ne cessons de le répéter.

Du reste, en surévaluant imprudemment les recettes en loi de finances initiale, ce qui évite aussi de devoir trop travailler sur la réduction de la dépense, au bout de l’exercice, on creuse le déficit. C’est ce qui s’est produit en 2014, dans des proportions très importantes.

Je dirai maintenant un mot sur la dépense publique.

Le Gouvernement se targue en ce domaine de bons résultats : il aurait maîtrisé les choses au plus près.

Rappelons d’abord que la dépense publique, au sens large, ne diminue pas : elle progresse moins vite que les années antérieures, la hausse en volume se chiffrant à 0, 4 %, contre 1, 1 % en moyenne entre 2012 et 2013. C’est effectivement mieux. Toutefois, cette modération est d’abord due à la réduction des dépenses des collectivités locales, de 0, 3 % en 2014, et à l’effet conjoncturel de la baisse des taux d’intérêt, qui pourrait bien ne pas durer.

Malgré cela, la France est devenue l’an dernier, avec un montant de dépenses publiques représentant 57, 5 % du PIB, le pays le plus dépensier du monde, après la Finlande et ex aequoavec le Danemark.

Pourtant, le Gouvernement se décerne un satisfecit en annonçant que les dépenses de l’État ont diminué de 3, 3 milliards d’euros par rapport à 2013. Or la Cour des comptes – encore elle ! – remet en cause ce résultat, affirmant que les dépenses n’ont été au final que « stabilisées » grâce à des artifices. Ce n’est pas moi qui le dis, mais la Cour des comptes qui les pointe ! En l’occurrence, le Gouvernement a sciemment procédé à des débudgétisations et à des reports de crédits sur 2015.

Les débudgétisations passent par le recours au programme d’investissements d’avenir, ou PIA, qui se situe en dehors du budget de l’État. On a parlé des 2 milliards d’euros qui ont été alloués au budget de la défense en utilisant ce PIA en lieu et place des ressources prévues initialement, qui devaient être tirées de la fameuse vente de fréquences hertziennes, mais elle n’a pas été réalisée, comme nous l’avions annoncé.

Quant aux reports de crédits, la Cour les chiffre à la somme record, depuis cinq ans, de 2, 35 milliards d’euros sur 2015.

Enfin, cette toute relative baisse des dépenses repose très largement sur un contexte macroéconomique très favorable, notamment la baisse des taux d’intérêt et la diminution consécutive de la charge de la dette, qui a permis à elle seule d’économiser 1, 7 milliard d’euros l’an dernier.

Je dirai un mot également sur la sous-budgétisation chronique de certains postes, qui n’est certes pas une nouveauté, mais qui n’est pas non plus un signe de bonne gestion. Ainsi, pour les opérations extérieures, les OPEX, on a atteint un record l’an dernier, puisque les dépenses se sont élevées à 1, 1 milliard d’euros, alors que 450 millions d’euros seulement étaient inscrits au budget : l’écart entre les dépenses prévues et les dépenses constatées s’élève donc à 650 millions d’euros.

On pourrait parler des aides personnelles au logement, dont la charge est sous-évaluée de manière récurrente. Cela conduit – ce n’est pas normal, monsieur le secrétaire d’État – à une reconstitution de dettes vis-à-vis du Fonds national d'aide au logement, le FNAL, qu’il faudra bien payer un jour ! En fonction de ce que nous avons inscrit au budget 2015 et de la conjoncture, qui n’est pas bonne, ce n’est manifestement pas cette année que ce rattrapage sera effectué.

C’est aussi le cas pour l’hébergement d’urgence qui, de dégel en décret d’avances, jusqu’à la loi de finances rectificative, n’a jamais bénéficié de crédits à la hauteur des besoins, lesquels pourraient être, à l’évidence, mieux anticipés. On sait bien que c’est un sujet difficile, toutefois la sous-budgétisation est manifeste chaque année.

Enfin, je ne peux pas terminer mon propos sans évoquer le poids de la dette publique. Elle a, en 2014, franchi le seuil symbolique des 2 000 milliards d’euros, ce qui a représenté 95, 6 % du PIB.

Malheureusement, la situation empire ces derniers mois, comme en témoignent les chiffres du premier trimestre de cette année publiés mardi dernier par l’INSEE. La dette a augmenté de 51, 6 milliards d’euros pour atteindre quasiment 2 100 milliards d’euros et 97, 5 % du PIB. C’est la plus forte hausse constatée depuis le début du quinquennat !

Pourtant, cette hausse continue de notre stock de dette – il ne date pas d’hier, je vous l’accorde – ne nous a coûté en 2014 que 44, 3 milliards d’euros, c’est-à-dire exactement la même somme qu’en 2008. En effet, en 2008, la dette de l’État était de 1 016 milliards d’euros ; en 2012, elle s’élevait à 1 386 milliards d’euros ; en 2014, elle a atteint 1 602 milliards d’euros. Or, pour une somme qui a augmenté de 60 %, nous payons les mêmes intérêts. C’est la fameuse insoutenable légèreté de la dette, laquelle dure encore un peu, mais pour combien de temps ? Ces taux historiquement bas sont une aubaine budgétaire, mais ils sont aussi un puissant anesthésiant : il ne faudrait pas s’y laisser prendre.

Les chiffres donnés très récemment par le directeur de l’Agence France Trésor lors d’une audition par la commission des finances font froid dans le dos, mes chers collègues.

En fonction de la structure actuelle de notre dette, dont la maturité moyenne est de sept ans, une simple augmentation de 100 points de base des taux d’intérêt coûterait 2, 4 milliards d’euros la première année, 5, 3 milliards d’euros la seconde, 7, 4 milliards d’euros la troisième, etc. Pourtant, 100 points de base, ce n’est rien ! Dans le passé, nous avons connu des volatilités de taux beaucoup plus importantes. Puisque l’actualité nous amène à beaucoup parler de la Grèce, je crois que nous avons une terrible épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.

L’incertitude qui règne en Europe sur l’avenir de notre monnaie commune, la chute de la bourse de Shanghai et les inquiétudes sur la croissance en Asie, où les bulles immobilière et financière viennent d’exploser, la crise au Moyen-Orient, où se situent les plus grandes réserves de pétrole et de gaz, tout cela n’est pas pour nous rassurer. Cela devrait nous conduire à prendre d’urgence des mesures fortes pour diminuer nos dépenses, abaisser les charges pesant sur nos entreprises et relancer la croissance, seule manière de réduire notre endettement.

Rappelons également, parce qu’il est bon de le faire ici, au Sénat, et parce qu’elles sont trop souvent pointées du doigt, que la dette des collectivités locales ne représente que 9 % de la dette publique, contre 80, 5 % pour l’État et 10, 5 % pour les autres administrations.

Oui, mes chers collègues, le piège de la dette est peut-être en train de se refermer sur nous lentement, silencieusement, sournoisement. Il est temps que nous en prenions véritablement conscience et que nous agissions en conséquence ! De ce point de vue, nous ne pouvons pas dire que 2014 ait été une année rassurante.

C’est pourquoi, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera contre ce projet de loi de règlement des comptes de l’année 2014, qui retrace les résultats de la politique budgétaire du gouvernement, que nous désapprouvons en grande partie, pour toutes les raisons que j’ai évoquées.

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