Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 9 juillet 2015 à 14h30
Accord france–états-unis d'amérique relatif à l'indemnisation de victimes de la shoah — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Matthias Fekl :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée examine aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et les États-Unis visant à indemniser certaines victimes de la Shoah, déportées depuis la France pendant l’Occupation.

Cet accord signé le 8 décembre 2014 par les gouvernements français et américain répond à deux impératifs essentiels, qui se situent évidemment sur des plans différents.

Tout d’abord, il met en œuvre une mesure de justice au bénéfice des victimes de la déportation depuis la France qui sont exclues du régime d’indemnisation mis en place par notre pays.

Ensuite, il prévient à la fois de sérieux risques contentieux, auxquels la SNCF faisait face devant des tribunaux américains, et des initiatives législatives de nature à nuire à ses activités aux États-Unis et, plus largement, à sa réputation à l’étranger.

Cet accord est, de ce fait, de nature technique et juridique et vise concrètement à atteindre ces deux objectifs, sur lesquels je voudrais revenir.

Il importe de rappeler que l’indemnisation des victimes de la déportation repose sur le régime des pensions d’invalidité établi en 1948, lequel est ouvert à nos compatriotes et aux ressortissants de quatre pays en application d’accords bilatéraux conclus après-guerre. Toutefois, un nombre important de survivants de la déportation, du fait de leur nationalité, ne pouvaient en demander le bénéfice.

Les contentieux engagés aux États-Unis ont révélé une situation depuis l’origine inéquitable, à laquelle il appartenait à la France de remédier. L’accord soumis à votre approbation aujourd’hui vise ainsi à répondre à cet impératif d’équité à l’égard de ces survivants de la déportation depuis la France, qu’ils soient de nationalité américaine ou d’une autre nationalité.

Cet accord, comme l’a souligné le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, Harlem Désir, à l’Assemblée nationale, ne relève ni dans son esprit ni dans sa lettre d’un accord portant « réparation de guerre ».

Il a été négocié, à notre initiative, avec l’intention de parachever l’édifice français d’indemnisation des victimes de la Shoah, pris en charge par le Gouvernement français depuis la fin de la guerre.

Il s’agit d’un accord visant à mettre en œuvre des réparations individuelles répondant à une inégalité de traitement de certaines victimes de la déportation au regard du régime français de pensions d’invalidité des victimes civiles de guerre.

Les bénéficiaires exclusifs du futur fonds d’indemnisation qui devrait être créé en application de cet accord seront des survivants de la déportation, de nationalité américaine ou d’une autre nationalité, non couverts par notre régime, ou leurs ayants droit pour ceux qui sont décédés après-guerre.

Le choix de la création d’un fonds d’indemnisation, plutôt que d’une extension du régime de pensions d’invalidité, s’est imposé notamment afin de garantir un accès facilité à l’indemnisation pour les victimes, compte tenu de leur âge.

J’insiste sur le fait que ce fonds sera intégralement et exclusivement dédié aux victimes de la déportation, et constitue une réponse définitive à toute demande d’indemnisation.

Je précise que ce fonds de 60 millions de dollars sera versé depuis le programme 158 « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale », faisant partie de la mission interministérielle « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », qui est un budget des services du Premier ministre.

Cette démarche d’équité engagée par la France et le résultat obtenu ont été salués par les organisations représentatives des institutions juives de France comme étant le meilleur compromis possible, soixante-dix ans après la fin de la guerre.

Le second impératif auquel répond cet accord est d’ordre juridique et judiciaire. En raison d’un défaut d’indemnisation, des recours ont été introduits devant des tribunaux américains contre la SNCF au titre de son rôle dans les déportations. Il convenait donc, pour le Gouvernement français, d’obtenir, par cet accord, des garanties permettant de clore définitivement tous différends et contentieux relatifs à la déportation depuis la France.

Cet accord institue, dans ce cadre, des garanties juridiques qui vont au-delà des clauses généralement consenties par nos partenaires.

Ces garanties s’appliqueront, en effet, non seulement aux recours devant les juridictions américaines, mais aussi à toute initiative législative, qu’elle soit issue du Gouvernement fédéral, des États fédérés ou des autorités locales.

Cette dernière garantie représente une innovation majeure obtenue par la France.

Aux termes de l’obligation internationale posée par cet accord, les autorités américaines s’engagent à s’opposer, par tout moyen, à tout recours introduit devant la justice américaine et à toute initiative législative, nationale ou locale, visant la France à ce titre. Je rappelle que nos partenaires ont toujours respecté les engagements pris en termes de garanties juridiques dans des accords internationaux.

Je veux dire ici clairement, en réponse aux doutes qui ont pu être exprimés sur l’effectivité des garanties juridiques prévues par cet accord, qu’aucun traité ou convention internationale ne saurait empêcher des plaignants de saisir des tribunaux, aux États-Unis ou ailleurs.

Il en va autrement des garanties obtenues par le Gouvernement dans le cadre de cet accord : elles seules permettront d’assurer le rejet de tout recours introduit devant la justice américaine et de toute initiative législative visant la France ou ses entreprises.

Mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre de cet accord, c’est l’édifice progressivement mis en place en France depuis la fin de la guerre pour l’indemnisation des victimes de la Shoah que le Gouvernement a souhaité compléter, en réparant une injustice et en prévenant une insécurité juridique. Cet accord ne vient en aucune manière mettre en cause ou récrire l’histoire. Par-delà sa portée fortement symbolique, il s’agit donc d’un accord très technique et concret.

Le Gouvernement a néanmoins conscience que ce sujet très grave est extrêmement sensible. Le ministre des affaires étrangères et du développement international, M. Laurent Fabius, a de ce fait souhaité répondre aux objections soulevées lors de l’examen de cet accord en commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, s’agissant des références au « Gouvernement de Vichy ».

Le ministre, comme il s’y était engagé, a fait saisir les autorités américaines d’une demande de suppression de cette mention dans le texte pour lui substituer les termes de l’ordonnance de 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine, qui visent, comme l’exposé des motifs, « l’autorité de fait se disant “gouvernement de l’État français” ». Il a présenté cette solution à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le 11 juin dernier.

Cette demande, qui a été mise en œuvre sous forme d’échange de notes diplomatiques entre les deux gouvernements français et américain, en application de l’article 79 de la convention de Vienne sur le droit des traités, vous a été transmise. Cela confirme l’engagement du Gouvernement de procéder à la rectification des termes de l’accord sur ce point. Le texte publié au Journal officiel sera, par conséquent, celui de l’accord ainsi modifié.

Cette démarche de nature exceptionnelle tend à répondre aux objections soulevées au cours des discussions parlementaires qui ne mettaient pas en cause le principe de l’indemnisation ou les objectifs de l’accord.

Parce que cet accord répond à un double impératif de justice comme de garantie juridique, le Gouvernement souhaite que cette démarche suscite un large consensus et puisse être mise en œuvre rapidement.

Telles sont, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français, qui fait l’objet du projet de loi que le Gouvernement vous demande d’approuver aujourd’hui.

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