Intervention de Jacques Gautier

Réunion du 9 juillet 2015 à 14h30
Accord france–états-unis d'amérique relatif à l'indemnisation de victimes de la shoah — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jacques GautierJacques Gautier :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, l’accord entre la France et les États-Unis en vue de l’indemnisation des victimes de la Shoah déportées depuis la France et non couvertes par des programmes français intervient, cela a été dit, dans un contexte difficile et sensible.

Au nom du groupe Les Républicains du Sénat, je tiens à rappeler que la France, dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a mis en place des régimes d’indemnisation en faveur des victimes de la guerre, parmi lesquelles les victimes de la déportation. Depuis lors, ces régimes d’indemnisation ont évolué et ont été progressivement étendus, notamment par le biais du décret du 13 juillet 2000 concernant les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites ou de celui du 27 juillet 2004 visant à reconnaître les souffrances endurées par les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale.

En outre, la France a signé des conventions de réciprocité permettant l’indemnisation de victimes étrangères de faits de guerre survenus en France entre 1939 et 1945, ayant la nationalité du pays cosignataire.

Cet après-midi, nous souhaitons réaffirmer que, sur le sujet, la France n’a pas fui ses responsabilités ; le discours prononcé en 1995 par le président Jacques Chirac lors de la commémoration de la rafle du Vél’ d’Hiv en témoigne.

Toutefois, il nous faut reconnaître que, dans la législation actuelle, il n’existe pas de régime spécifique pour les victimes de la Shoah, surtout avec cette dénomination. Il est également vrai que des victimes sont exclues des dispositifs d’indemnisation parce qu’elles n’ont pas la nationalité française.

Un accord spécifique avec les États-Unis existe bien, mais ses modalités concernent des organismes privés, et non les entités publiques de l’État français. L’accord s’est appliqué en effet aux banques et aux institutions financières ayant exercé une activité en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, les avoirs bancaires bloqués à la suite de la mise en œuvre de législations antisémites par le gouvernement de Vichy et les autorités allemandes ont été restitués à leurs détenteurs ou aux ayants droit de ceux-ci.

Alors, pourquoi conclure un tel accord aujourd'hui ?

Depuis les années 2000, la France a dû faire face à une multiplication des contentieux relatifs à sa responsabilité à l’égard des victimes de la Shoah déportées depuis son territoire, notamment par le biais d’entités françaises publiques ou privées ayant pu jouer un rôle dans le transport des déportés. Les différentes tentatives de poursuites contre la SNCF constituent un élément capital motivant pour partie la conclusion de cet accord. Il est clair que ces contentieux nuisent à la mise en œuvre de la stratégie de développement de la SNCF aux États-Unis, où cette entreprise réalise un chiffre d’affaires de 850 millions d’euros.

Le risque financier lié à ces conflits judiciaires est d’autant plus important que les plaintes peuvent prendre la forme de class actions et que les coûts des procédures sont très élevés.

Cet accord répond donc, reconnaissons-le, à un double objectif : indemniser des victimes n’ayant pu l’être auparavant et instaurer une paix juridique durable entre les deux pays.

Rappelons que la loi américaine ne fait pas de distinction entre les gouvernements étrangers, leurs administrations et leurs entreprises, actuelles ou passées, qui sont désignées sous le terme de « démembrements ». Toutefois, les entreprises étrangères bénéficient d’une immunité de juridiction grâce au Foreign Sovereign Immunities Act de 1976, le FSIA.

Nous savons que c’est la rédaction de cet accord, en particulier celle de son article 1er, désignant les parties, qui a suscité de vives réactions de tous les groupes lors de son examen, tant à l’Assemblée nationale qu’en commission au Sénat. La mention du « Gouvernement de Vichy » sera donc remplacée, comme l’ont indiqué M. le secrétaire d’État et Mme le rapporteur, par celle de l’« autorité de fait se disant “gouvernement de l’État français” », formulation reprise de l’ordonnance du 9 août 1944. Cette modification est rendue possible par l’article 79 de la convention de Vienne relative au droit des traités.

Je voudrais maintenant appeler votre attention, mes chers collègues, sur les points de l’accord qui constituent des garanties importantes pour la France.

Il s’agit, tout d’abord, de la mise en place d’un mécanisme exclusif d’indemnisation pour les survivants de la déportation ou pour leurs ayants droit, sous réserve qu’ils n’aient déjà bénéficié de programmes d’indemnisation en lien avec la déportation.

Il s’agit, ensuite, de l’instauration d’une obligation contraignante pour les autorités américaines, visant à protéger l’immunité de juridiction dont bénéficient la France et ses démembrements au titre du FSIA. Cet engagement est réaffirmé à l’article 5 de l’accord ; c’est une bonne chose, car cela implique que le Gouvernement américain s’engage à s’opposer à tout recours devant les tribunaux, à toute initiative juridique ou législative prise à tout niveau de gouvernement. Cela mettra un terme aux procédures législatives récurrentes depuis 2005 : après chaque renouvellement du Congrès, un projet de loi bipartisan est déposé au Sénat et à la Chambre des représentants, tendant à retirer à la SNCF le bénéfice de l’immunité de juridiction des États, pour que les recours contre elle puissent aboutir devant une juridiction américaine.

Enfin, en ce qui concerne les modalités d’indemnisation, il sera créé un fonds d’indemnisation doté de 60 millions de dollars, abondé par la France et géré unilatéralement par le Gouvernement des États-Unis. En réalité, ce fonds constituera le moyen définitif, global et exclusif de répondre à toute demande formulée au titre de la déportation liée à la Shoah. Son bénéfice sera assorti de clauses très précises. Ainsi, les victimes qui auront été indemnisées devront renoncer à toute procédure contre la France ou ses démembrements. En outre, l’accord prévoit un suivi dans le temps, permettant qu’aucun demandeur ne reçoive de paiement indu.

Cet accord représente une avancée sincère à l’égard des victimes. En outre, il nous semble que le temps est venu de clôturer, dans l’apaisement, un cycle de contentieux qui altèrent les relations entre nos deux pays.

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