Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 9 juillet 2015 à 14h30
Accord france–états-unis d'amérique relatif à l'indemnisation de victimes de la shoah — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, chers collègues, le projet de loi autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement français et le Gouvernement des États-Unis qui nous est soumis aujourd'hui répond à des considérations historiques et économiques. L’accord comporte des aspects financiers, avec une contrepartie : lever certains obstacles de nature juridique qui freinent le développement d'une grande entreprise publique.

L’objet de ce texte n'est pas de rouvrir le débat sur certains aspects de notre histoire, ni d'ailleurs de clore un chapitre de celle-ci. L’accord porte sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France et non couvertes par des programmes français. Il est en cohérence avec les dispositifs existants, qu'il vient compléter.

Comme cela a été rappelé, l’obstacle à l’indemnisation des survivants ou des ayants droit est principalement la condition de nationalité. Sur ce seul point, la jurisprudence a connu une évolution récente tendant à l’ouverture du droit à réversion pour les ayants droit de nationalité étrangère lorsque l’ouvrant droit était pensionné et remplissait donc nécessairement lui-même la condition de nationalité requise. Cela a fait naître un risque contentieux outre-Atlantique.

Aussi, à partir des années 2000, des déportés survivants, non couverts par le régime en vigueur en France, ont tenté d’obtenir des réparations devant les juridictions américaines. Devant les obstacles juridiques liés à l’immunité reconnue aux États étrangers et à leurs démembrements, des tentatives ont été menées pour faire évoluer la législation américaine et lever ces obstacles.

Les personnes concernées par cet accord sont en effet –vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État – exclues du régime de pensions d’invalidité et ne relèvent pas davantage de divers accords que nous avons conclus avec différents pays européens par le passé.

Rappelons ainsi que, sur la recommandation formulée, en 1999, par la mission Mattéoli, notre pays a mis en place une commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations. En 2000, un régime d’indemnisation a été institué, portant réparation pour les orphelins. Par ailleurs, il convient de noter que, en 2001, Français et Américains ont signé, à Washington, un accord relatif à l’indemnisation de certaines spoliations.

Conclu à notre initiative, l’accord que nous examinons aujourd'hui donne un sens supplémentaire aux engagements de notre pays. En outre, il vise à protéger certaines entreprises contre tout différend lié à la déportation.

En effet, la SNCF encourt bien un risque juridique lié aux recours émanant de particuliers. Vous n’êtes pas sans savoir que la SNCF a, depuis les années 2000, maille à partir avec la justice américaine. Ainsi, en 2000, un recours à son encontre a été introduit devant un tribunal de New York par des survivants et des ayants droit, pour complicité de crime contre l’humanité. Il lui était reproché d’avoir collaboré à la déportation des Juifs de France et d’en avoir tiré bénéfice. L’entreprise fut condamnée en première instance, mais, en appel, le bénéfice de l’immunité de juridiction lui a été reconnu.

Plus récemment, en 2006, un nouveau recours a été introduit, toujours contre la SNCF, mais aussi contre la Caisse des dépôts et consignations et contre l’État, sur un grief pour lequel l’immunité de juridiction n’est pas opposable – en l’occurrence, la spoliation. Ce recours a été introduit à New York. Les mêmes avocats ont engagé une nouvelle procédure. Ce procès s’est clos en 2011, lorsque la cour d’appel a estimé que les plaignants n’avaient pas fourni de preuves à l’appui de leurs accusations.

Ces deux procès témoignent d’une insécurité juridique potentielle pour la SNCF et d’autres entreprises. À ce titre, je rappelle que, en avril 2015, la SNCF a fait l’objet d’une nouvelle attaque devant une cour fédérale de Chicago, sur la base d’un recours très similaire à celui de 2006.

Outre ce risque de procès permanent, la SNCF et les démembrements de l’État encourent un autre risque, de nature législative : depuis 2005, après chaque renouvellement du Congrès, un projet de loi bipartisan est déposé par des membres du Sénat et de la Chambre des représentants, visant à retirer à la SNCF le bénéfice de l’immunité de juridiction des États, ce qui aurait pour conséquence d’autoriser un nouveau recours devant une juridiction américaine. Ces projets de loi n’ont, pour l’heure, jamais été soumis à l’adoption, mais les parlementaires que nous sommes savent bien qu’un cavalier législatif est toujours possible.

Dernier risque, et non des moindres : certains États fédérés tendent à vouloir introduire dans leur législation des dispositions visant à contraindre la SNCF à mener des actions en matière de transparence et d’archives, et même à indemniser les victimes de la déportation pour qu’elle puisse concourir à des appels d’offres.

Ainsi, en 2010, en Californie, une loi sur la transparence a été votée, qui contenait des dispositions en ce sens. Fort heureusement, elle a fait l’objet d’un veto du gouverneur. En Floride, un projet de loi de même nature a été déposé avant d’être abandonné. En 2014, des dispositifs similaires étaient à l’étude dans le Maryland et dans l’État de New York.

Cette situation est préjudiciable à l’image d’une entreprise au savoir-faire reconnu, qui fait l’objet de mesures discriminatoires.

De plus, l’entreprise SNCF doit faire face à une augmentation du nombre des procès à son encontre et doit certainement inscrire dans sa comptabilité des provisions importantes pour frais juridiques et risques : risque juridique lié aux procédures pouvant être engagées par des particuliers et, pourquoi pas, à la mise en œuvre d’une class action ; risque législatif à l’échelon du Congrès ; risque législatif à l’échelon de chacun des États fédérés.

Pourtant, le rôle d’outil involontaire de la puissance occupante de la SNCF a été clairement mis en évidence par les écrits lumineux de Serge Klarsfeld, comme cela a été rappelé par notre rapporteur. De surcroît, au travers notamment des actions du groupe Résistance-Fer, créé par Louis Armand en 1943, mais aussi de nombreuses actions individuelles, la SNCF a activement participé à la Résistance. Rappelons que 1 500 cheminots furent déportés et 600 autres fusillés. Enfin, en 2007, un arrêt du Conseil d’État a exonéré la SNCF et tous les démembrements de l’État de toute responsabilité dans la déportation.

Pourtant, eu égard aux trois risques que j’ai évoqués, il a semblé important de protéger nos intérêts économiques, ainsi que l’image et le développement de la SNCF et de ses filiales aux États-Unis. C’est l’objet même de cet accord. En effet, aux termes de celui-ci, le Gouvernement américain sera amené à intervenir dans le cadre des procédures, qu’elles soient judiciaires ou législatives et à tout niveau, pour y mettre un terme et à faire respecter l’immunité de juridiction de la France et de ses démembrements.

L’article 2 vise ainsi à assurer à la France et à l’ensemble de ses démembrements une garantie juridique durable aux États-Unis s’agissant de toute demande ou action qui pourrait être engagée au titre de la déportation liée à la Shoah.

L’article 4 prévoit le transfert d’une somme de 60 millions de dollars du Gouvernement français au Gouvernement des États-Unis pour la mise en place d’un fonds ad hoc unique.

Dans ces conditions, il nous a paru nécessaire de soutenir cet accord, qui nous assurera une sécurité juridique durable.

Il ne s’agit nullement de réparations de guerre destinées à notre allié américain, contrairement à ce qui a pu être dit à l’Assemblée nationale, mais bien d’indemnisations individuelles. Cet accord ne met aucunement à mal la souveraineté française ; il est bien à considérer comme un arbitrage pragmatique et comme la simple conclusion d’un contentieux financier et juridique. Il assurera la sécurité juridique nécessaire à la SNCF pour qu’elle puisse, avec ses filiales, mener à bien ses activités de développement, notamment aux États-Unis.

Je veux souligner que nous avons pris acte avec plaisir de la modification apportée, sur demande de l’Assemblée nationale, à la rédaction de l’article 1er. Initialement, cet article faisait mention du « Gouvernement de Vichy », faisant ainsi fi de la position française qui consiste à ne reconnaître aucune légitimité à cette autorité. Un échange de lettres diplomatiques a permis une heureuse modification, puisque l’expression traditionnellement en usage en France, « l’autorité de fait “se disant gouvernement de l’État français” » a été préférée et figurera dans la publication officielle. Je me réjouis que le Parlement ait été entendu sur ce point important.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’avais fait le choix de tenir un propos neutre et technique sur ce texte. Cependant, m’étant rendue à Auschwitz, avec 250 jeunes Français musulmans, dans le cadre du projet Aladin, je ne peux m’empêcher, pour conclure, de souligner que l’enseignement et les débats sur la Seconde Guerre mondiale et sur le rôle des différents acteurs doivent toujours se poursuivre. Accomplir le devoir de mémoire n’est pas un rite ; c’est une nécessité pour que nous restions toujours en alerte devant les égarements du monde, de plus en plus nombreux.

Le groupe socialiste et républicain appelle évidemment à adopter ce texte.

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