Intervention de Leila Aïchi

Réunion du 9 juillet 2015 à 14h30
Accord france–états-unis d'amérique relatif à l'indemnisation de victimes de la shoah — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Leila AïchiLeila Aïchi :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’accord dont nous discutons aujourd’hui a une résonance particulière, du fait de la gravité du sujet, mais aussi parce que l’année 2015 marque le soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la libération des camps de concentration et d’extermination.

Un sujet aussi grave nous impose de faire preuve de dignité, de retenue, mais aussi de lucidité et de franchise. C’est ainsi que nous remplirons pleinement le devoir de mémoire qui nous incombe en tant que représentants de la nation.

Le Président de la République Jacques Chirac, en reconnaissant, lors de son discours du Vél’ d’Hiv, en 1995, la responsabilité de l’État dans la déportation des juifs de France, a, en son temps, accompli ce devoir de mémoire. Pour autant, si la parole publique est essentielle en la matière, elle ne saurait suffire si elle n’est pas suivie d’actes. L’absence d’indemnisation de certaines victimes de la Shoah et de leurs ayants droit en est la parfaite illustration.

L’indemnisation des victimes de la Shoah, régie par les textes applicables aux victimes civiles de guerre, est subordonnée à une condition de nationalité. Malgré des élargissements, permis en particulier par la signature de conventions de réciprocité avec la France ou encore par l’ouverture de l’indemnisation aux personnes naturalisées postérieurement à leur déportation, certaines victimes ou leurs ayants droit restent donc à l’écart du régime de réparation.

Le principe de l’accord dont le présent projet de loi vise à autoriser l’approbation ne peut donc qu’être salué. Il concernera environ 500 personnes, essentiellement de nationalité américaine ou israélienne.

Cependant, le respect dû aux victimes et l’impérieuse nécessité de les indemniser rapidement ne doivent pas nous conduire à passer sous silence nos réserves quant au contexte et à la méthode de la négociation de cet accord. Ces réserves ne sont certes pas dirimantes, mais elles méritent d’être mentionnées, afin que le débat se déroule en toute franchise.

Comme cela a été souligné, dans sa version initiale, l’accord faisait référence au « Gouvernement de Vichy », formulation malheureuse, en rupture avec le récit républicain. Ce point a été soulevé à l’Assemblée nationale, et il a finalement été décidé d’inscrire dans le texte de l’accord la formulation consacrée par l’ordonnance du 9 août 1944, à savoir « l’autorité de fait se disant “gouvernement de l’État français” ». Le Parlement a ainsi démontré qu’il n’était pas une simple chambre d’enregistrement et qu’il avait bien un rôle crucial.

Mais, au-delà d’une rédaction initiale dérangeante, c’est surtout le contexte même de la négociation de l’accord qui soulève des questions.

En toile de fond figurent, en effet, les risques contentieux et commercial qu’encourt la SNCF.

Le risque contentieux tient notamment aux nombreuses actions en justice qui ont été engagées devant les juridictions américaines à l’encontre de la SNCF, afin que celle-ci dédommage les déportés, ainsi qu’aux initiatives législatives visant à lui retirer son immunité de juridiction.

Le risque commercial tient, quant à lui, aux propositions discutées dans des législatures d’États fédérés, visant à conditionner la participation aux appels d’offres à l’indemnisation des déportés.

On ne peut qu’éprouver un certain malaise, compte tenu de la gravité du sujet, devant les considérations pour le moins commerciales et mercantiles qui ont guidé la signature de cet accord. Celui-ci vise à mettre un terme à ce qui s’apparentait à un chantage préjudiciable aux activités de la SNCF outre-Atlantique, en obtenant la garantie du Gouvernement américain qu’il veille au respect de l’immunité de juridiction de la France et de ses démembrements, dénomination qui inclut les entreprises publiques.

Il convient également de souligner le caractère contestable de la méthode d’indemnisation retenue. En effet, cet accord institue un transfert de 60 millions de dollars du Gouvernement français au Gouvernement des États-Unis, aux fins de mise en place d’un fonds qui sera géré par les autorités américaines. Hormis la remise d’un rapport au Gouvernement français, la France se voit donc totalement dépossédée de la gestion de ce fonds.

Dès lors, il convient de s’interroger sur les raisons qui nous ont conduits à refuser, de manière surréaliste, d’adopter des dispositions nationales pertinentes. Par exemple, nous aurions pu supprimer la condition de nationalité pour l’octroi d’une indemnisation aux victimes ou à leurs ayants droit.

Certes, j’entends les arguments avancés en faveur de la création de ce fonds, qui permettra une indemnisation rapide et équitable, mais pourquoi ne pas avoir institué un fonds placé sous le contrôle des autorités françaises ?

Quelle qu’ait été la solution retenue, la France aurait pu assurer elle-même la publicité de ce mécanisme à travers le monde, ainsi que l’instruction des demandes, grâce, notamment, à son réseau consulaire, le deuxième au monde.

Certes, le principe de réalité peut justifier une telle transaction. Le risque qu’une procédure aboutisse aux États-Unis faisait peser une épée de Damoclès sur la SNCF, avec les incertitudes propres au système judiciaire américain en matière de délais et d’indemnisations accordées pour réparer les préjudices subis.

À vrai dire – et c’est là un point essentiel –, cet accord laisse le sentiment que la France a plié face aux pressions de la partie américaine et fait droit à ses exigences, en contrepartie d’une garantie d’immunité de juridiction pour la SNCF.

Pourtant, la justice française – en l’occurrence, le Conseil d’État – a exonéré la SNCF de toute responsabilité, estimant que celle-ci, réquisitionnée par les autorités allemandes, ne disposait d’aucune marge de manœuvre.

En conclusion, la question qui se pose en filigrane au sujet de cet accord, au demeurant largement abordée dans les débats parlementaires, est celle de l’imperium américain, notamment juridique.

Malgré les réserves formulées, par décence et par respect pour la souffrance des victimes et de leurs ayants droit, le groupe écologiste votera en faveur de l’autorisation de cet accord.

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