Intervention de Jean-François Longeot

Réunion du 9 juillet 2015 à 14h30
Accord france–états-unis d'amérique relatif à l'indemnisation de victimes de la shoah — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-François LongeotJean-François Longeot :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous célébrons cette année le soixante-dixième anniversaire de la Libération, de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de celle de l’abjecte entreprise d’extermination perpétrée par le régime nazi.

Au-delà de sa dimension juridique, notre débat de ce jour revêt une portée politique, symbolique et morale qui fait l’honneur des débats parlementaires.

Comme l’a indiqué notre rapporteur, Nathalie Goulet, on estime à 76 000 le nombre des personnes déportées depuis la France pour des motifs racistes entre 1940 et 1944. Parmi elles, on compte plus de 10 000 jeunes de moins de 18 ans ; seuls 2 564 d’entre eux ont survécu, soit 3 %... Tous les autres ont disparu dans les camps d’extermination, victimes de la plus atroce des barbaries.

Longtemps la République a estimé qu’elle n’était en aucune mesure responsable de ces faits qui furent cautionnés par le régime de l’État français, hors toute légalité ou continuité républicaine. Il a fallu attendre de longues décennies pour lever le voile. Loin du mythe de la bataille du rail, il est peu à peu apparu que les moyens du service public national avaient été mis à contribution pour cette entreprise de mort que fut l’extermination.

Toutefois, dans l’attente de la reconnaissance progressive de la responsabilité nationale, de trop nombreuses victimes sont restées sans réparation ni reconnaissance du préjudice terrible qu’elles ont subi.

La présente convention a pour objet de permettre l’indemnisation des victimes – ou de leurs ayants droit – de la déportation via les moyens de la SNCF qui ne sont pas couvertes par les mécanismes d’indemnisation existants. Ce texte a ainsi pour vocation première de réparer une injustice historique, tout en accordant enfin à l’ensemble des victimes concernées la juste reconnaissance qu’elles attendaient depuis longtemps.

Cette convention vise également à régler le contentieux qu’une telle situation a suscité entre notre pays et les États-Unis, où de nombreux déportés ont trouvé refuge après la guerre et tenté de construire une nouvelle vie. D’autres, qui ne résident pas aux États-Unis, ont également trouvé dans la class action une voie de droit permettant de faire entendre leur cause devant le juge américain.

Ainsi, à défaut d’indemnisation en bonne et due forme, ces personnes ont engagé à de nombreuses reprises, en 2000 et en 2006 notamment, des actions judiciaires contre la SNCF, pour la contraindre à assumer la charge de cette indemnisation en l’absence d’autre personne juridiquement responsable.

Cette situation n’a pas été sans susciter de vives tensions dans les relations bilatérales entre la France et les États-Unis, qui se sont traduites par les difficultés rencontrées par la SNCF pour remporter des marchés publics outre-Atlantique. Toujours selon la rapporteur de notre commission des affaires étrangères, la SNCF, du fait des actions judiciaires intentées contre elle, serait passée à côté de près de 1 milliard de dollars de marchés publics américains.

Il ne s’agit pas, pour le Sénat, de statuer aujourd’hui sur la responsabilité de la France dans la déportation ou sur la nature exacte du rôle joué par la SNCF à cette époque. Ce débat appartient d’abord aux historiens et aux chercheurs ; le législateur se doit de respecter ce fait. La présente convention n’a donc pas de finalité mémorielle, mais elle a un contenu juridique bien précis.

Il s’agit d’instituer un fonds d’indemnisation ad hoc, doté de 60 millions de dollars versés par la France. Ce fonds sera géré par les États-Unis, aux frais des États-Unis, afin de traiter les demandes des victimes de la Shoah et de leurs ayants droit non couverts par les mécanismes existants.

Cet accord a donné lieu à d’importantes discussions entre la France et les États-Unis pendant près d’un an. Il atteste ainsi d’une volonté commune de répondre de la manière la plus appropriée possible aux demandes des victimes, sans passer par une solution juridictionnelle qui aurait pu durement entamer la relation historique liant les États-Unis à la France en dépit des vicissitudes de l’histoire.

Je profite de cette intervention pour saluer le travail de la commission des affaires étrangères du Sénat, qui a procédé, à la différence de son homologue de l’Assemblée nationale, à plusieurs auditions en vue de préparer notre débat.

Ce travail a permis de lever les inquiétudes exprimées par nos collègues députés quant à la forme de l’accord, au montant des fonds transférés ou encore à l’état des actions judiciaires en cours. Il a également permis de soulever une interrogation importante, qui ne concerne plus tout à fait l’exact périmètre de cette convention, mais anticipe sur le débat budgétaire de l’automne. Cela étant, notre rapporteur, Nathalie Goulet, nous a rassurés sur ce problème d’imputation budgétaire : nous n’aurions pu comprendre que l’on prenne sur le budget alloué à ceux qui se sont battus contre la barbarie pour indemniser les victimes de la barbarie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion