Les collectivités d'outre-mer sont variées et ne peuvent être présentées de façon globale et homogène. Leur géographie, la diversité de leur faune et de leur flore, leurs populations, leur démographie, leur environnement et leurs statuts sont divers. Si les ultramarins sont très solidaires entre eux, ils forment une mosaïque de cultures et d'identités dont il convient de tenir compte. L'outre-mer est pluriel et sa biodiversité également.
L'essentiel de la biodiversité française se situe outre-mer : plus de 98 % des espèces endémiques de vertébrés et 96 % des espèces endémiques de plantes vasculaires de France sont concentrées dans les collectivités d'outre-mer. En particulier, les écosystèmes naturels de la Guyane et de Nouvelle-Calédonie font partie des points chauds de la planète et sont considérés comme des zones très riches à surveiller. La protection de la biodiversité de l'outre-mer passe par la connaissance. Dans chacun des territoires, la connaissance de la biodiversité est le fruit du travail des naturalistes, des scientifiques, des écologues, mais aussi des populations locales, qui ont appris et transmis les savoirs locaux. Le grand public et le monde associatif contribuent aussi de plus en plus activement.
L'an dernier, dans le cadre de l'Alliance pour l'Environnement (AllEnvi), le comité outre-mer a réalisé un recensement des activités de recherche des membres de l'AllEnvi dans les collectivités d'outre-mer pour l'année 2012. Bien que les données collectées soient hétérogènes et parfois insuffisantes, elles permettent de donner un aperçu plus clair des implantations des membres de l'AllEnvi en outre-mer et des forces scientifiques en place. L'étude peut être obtenue auprès du secrétariat de l'AllEnvi.
2 042 agents ont ainsi été recensés en outre-mer. 90 % des activités de recherche y sont réalisées sur place et 10 % depuis l'Hexagone. Dans les organismes de recherche, les deux principales thématiques sont l'agrobiologie et l'élevage, représentant 31 % de l'activité, et l'écologie et l'étude de la biodiversité, auxquelles 25,4 % de l'activité sont consacrés. Quant aux universités, la thématique la plus étudiée s'inscrit dans le domaine des sciences sociales, suivie par l'écologie et l'étude de la biodiversité. Entre 2008 et 2012, la production scientifique sur l'ensemble des outre-mer a généré 7 187 publications de scientifiques français ou étrangers, notamment américains et australiens. Parmi ces publications, 21 % sont consacrées à la Nouvelle-Calédonie et 20 % à la Guyane. Les trois thématiques les plus souvent identifiées sont en premier lieu la biodiversité, puis l'agroécologie et les géosciences.
Compte tenu des difficultés méthodologiques rencontrées lors de la réalisation de ce recensement, il conviendrait qu'une procédure annuelle de collecte sur les activités en outre-mer soit élaborée par les membres de l'AllEnvi. Il est en effet compliqué de distinguer l'activité scientifique spécifique à l'outre-mer des activités scientifiques générales. Il serait également utile aux collectivités territoriales d'outre-mer de recenser les publications relatives à la thématique de la biodiversité dans leur territoire.
L'implantation du Muséum national d'histoire naturelle en outre-mer est modeste, puisqu'il n'y dispose que d'une seule antenne située en Guyane, comptant une unique personne, et d'un correspondant sur l'île de La Réunion. En revanche, l'outre-mer représente un terrain d'intense activité, des partenariats étant conclus chaque année avec les collectivités d'outre-mer dans les cinq grands domaines d'activité du Muséum : les collections, la recherche, l'expertise, l'enseignement et la formation et la diffusion.
Je vais évoquer aujourd'hui les grandes expéditions naturalistes et les collections. Je fais partie d'une génération de scientifiques conscients que les trois quarts des espèces de la planète restent encore à découvrir, mais que le quart, voire la moitié, des espèces aura probablement disparu avant la fin du siècle. C'est pourquoi il convient d'accélérer l'exploration, afin de fournir aux gestionnaires les informations nécessaires à une meilleure gestion de leur milieu et des ressources. À cette fin, le Muséum s'est engagé, depuis 2006 et en collaboration avec l'ONG Pro-Natura International, à réaliser des inventaires massifs autour de la planète, en particulier dans les zones de biodiversité. Dans ce cadre, est particulièrement étudiée la biodiversité des groupes négligés, à savoir les insectes, les mollusques et les champignons.
La démarche, très coûteuse, bénéficie du soutien de partenaires publics et privés. Les programmes lancés s'inscrivent dans le long terme, cinq ans étant généralement nécessaires à l'obtention de résultats probants, et ciblent les points chauds de la planète. Une expédition vient d'ailleurs d'être initiée en Guyane, promettant de formidables satisfactions en termes de découverte d'espèces. Par exemple, le milieu marin guyanais, autrefois considéré comme très pauvre, enthousiasme désormais les scientifiques, tandis que l'exploration de la forêt terminée au mois de mars devrait donner des résultats concluants. Si nous parvenons à collecter les crédits nécessaires, la Nouvelle-Calédonie fera aussi l'objet d'explorations en 2016.
En 2012, une expédition a été effectuée avec le Parc national de la Guadeloupe et l'Université des Antilles, visant à recenser les algues et les invertébrés marins. Seules 35 personnes y ont participé, les grandes expéditions pouvant compter jusqu'à 200 participants. Or, les résultats ont dépassé les attentes des organisateurs, puisque plusieurs dizaines d'espèces ont été découvertes. Dans la continuité, un inventaire est actuellement en cours en milieu marin profond. Il faudrait que ce type d'expéditions soit réalisé pour l'ensemble des collectivités d'outre-mer en vue de compléter les inventaires.
Les collections du Muséum national d'histoire naturelle comptent 66 millions de spécimens. Elles ont un double rôle de référence et d'observation. Dans ce cadre, nous avons lancé le programme e-ReColNat, lauréat de l'appel à projet Infrastructure nationale en biologie et santé. Le programme e-ReColNat vise à réunir l'ensemble des données des collections françaises d'histoire naturelle sur une unique plateforme informatique au service de la recherche et de l'expertise sur la biodiversité. Faciliter l'exploitation de masses de données jusqu'alors inaccessibles permettra d'accélérer la réalisation de l'inventaire de la biodiversité mondiale. Le Muséum d'histoire naturelle coordonne le projet, l'Université de Montpellier, le Pôle de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) de Clermont-Ferrand, l'Université de Bourgogne, l'Institut de recherche pour le développement (IRD), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Tela Botanica et des associations en étant partenaires. Le projet coûtera seize millions d'euros sur cinq ans. Il s'agira d'inventorier toutes les données de collections. L'ensemble des données collectées relatives à l'outre-mer le sont dans le cadre des expéditions de La planète revisitée et du programme e-ReColNat et sont versées au service du Patrimoine naturel du Museum, qui lui-même alimente l'inventaire national du patrimoine naturel. Cependant, les territoires d'outre-mer n'y sont pas encore suffisamment représentés.
Je suis, pour ma part, spécialiste des récifs coralliens. À ce titre, je pilote l'inventaire de la biodiversité des récifs coralliens de l'outre-mer dans le cadre de l'Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor). Depuis 2008, la base de l'Inventaire national du patrimoine naturel (INPN) a été alimentée de plus de 24 000 données. Ce chiffre devrait être amené à augmenter, la France étant le quatrième pays au monde en termes de récifs coralliens après l'Indonésie, les Philippines et l'Australie.
Pour faire progresser la connaissance de la biodiversité ultramarine, deux efforts doivent être fournis : mieux coordonner les programmes de recherche entre les organismes scientifiques et les collectivités d'outre-mer ; aider chaque collectivité d'outre-mer à dresser la carte des connaissances sur sa biodiversité en recensant l'ensemble des publications relatives à son territoire, en poursuivant et finançant les grands inventaires de biodiversité.
Le Kanak Jean-Marie Tjibaou disait en 1996 : « Quand vous marchez dans un jardin sans savoir distinguer la salade de la mauvaise herbe, vous allez marcher sur la salade et la mauvaise herbe. Dans la mesure où on vous explique quel en est l'usage, alors vous faites plus attention. » De même, mieux connaître la biodiversité permet de mieux la gérer.