Intervention de Bernard Deceuninck

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 11 juin 2015 : 1ère réunion
Première table ronde : panorama des biodiversités ultramarines et évaluation de l'impact climatique

Bernard Deceuninck, ornithologue, représentant de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) :

L'outre-mer est essentiellement marin. L'avifaune ultramarine représentant un enjeu mondial comprend de nombreuses espèces présentes dans les espaces marins. Toutefois, d'autres espèces non marines, notamment les espèces endémiques, sont également menacées et méritent que nous nous y intéressions. En effet, la France et ses outre-mer sont un foyer d'endémisme pour l'avifaune.

La connaissance de l'avifaune progresse plus facilement que celle des autres types de faune, les oiseaux étant assez faciles à observer en raison de leurs chants et cris. Des sociétés ornithologiques se sont développées, qui couvrent la plupart des territoires d'outre-mer et contribuent à la connaissance des oiseaux en termes de distribution, d'effectifs et de santé. D'autres structures diverses s'intéressent aux oiseaux dans l'outre-mer : l'IRD, le Muséum national d'histoire naturelle, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Office national des forêts (ONF), les universités, etc. Si l'inventaire de l'avifaune n'est pas terminé, le niveau de connaissance est suffisant pour dresser un tableau de bord de l'état de conservation des espèces.

La liste rouge est un outil développé et promu par l'UICN. Au niveau mondial, Bird Life International produit les analyses nécessaires à l'établissement d'une liste rouge et à la mesure de l'évolution du statut des espèces d'oiseaux. Dans ce cadre, des foyers de présence d'espèces mondialement menacées ont été identifiés, notamment des espèces endémiques, des oiseaux ayant vu leur espace se réduire comme peau de chagrin et ne survivant que dans quelques sites. 9 000 zones importantes pour la conservation des oiseaux et de la biodiversité autour de la terre ont également été définies, dont 143 concernent l'outre-mer. Parmi ces dernières, certaines sont très étendues, comme le Parc national amazonien en Guyane, par exemple.

Le nombre d'espèces endémiques dans l'outre-mer français, supérieur au nombre d'espèces endémiques présentes dans toute l'Europe, témoigne de l'importance de l'outre-mer en termes de biodiversité. Les îles Canaries et Madère sont des foyers d'endémisme en Europe, celle-ci ne comptant toutefois qu'une vingtaine d'espèces endémiques. Une trentaine d'espèces endémiques ont d'ores et déjà disparu en outre-mer. Quant aux récifs coralliens, 5 des 34 points chauds identifiés se trouvent en outre-mer français.

Ce dernier compte plus de 1 100 espèces d'oiseaux répertoriées, soit 11 % de l'avifaune planétaire et 75 % de l'avifaune française, la majorité se trouvant en Guyane, soit 600 espèces. 11 des 218 zones d'endémisme de l'avifaune se trouvent aussi en outre-mer. L'inventaire complet de l'avifaune française compte environ 1 500 espèces d'oiseaux, dont les oiseaux migrateurs, soit 15 % de l'inventaire mondial. La richesse de l'avifaune ultramarine s'explique par la variété des habitats, parmi lesquels les mangroves, les récifs coralliens et les forêts boréales à Saint-Pierre-et-Miquelon. Par son biais, un cortège d'espèces nord-américaines est présent en France. Les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) sont également concernées par les oiseaux marins, dont des espèces mondialement menacées comme l'albatros. De plus, la richesse en avifaune de la forêt tropicale n'est pas encore intégralement inventoriée.

La France compte 80 espèces mondialement menacées, soit moitié moins que le Brésil, et se situe à la dixième position mondiale en la matière. 90 % des espèces mondialement menacées que compte la France se trouvent en outre-mer, en particulier en Polynésie.

L'UICN distingue les espèces vulnérables des espèces en danger et des espèces en situation critique. Alors que les espèces vulnérables pourraient disparaître d'ici un siècle, celles étant en danger pourraient disparaître dans quelques décennies, contre quelques années pour les espèces en situation critique si rien n'est entrepris pour les sauvegarder. Dans les TAAF, les oiseaux marins affectés par le changement climatique sont menacés, tandis que la Guyane compte davantage d'espèces quasi menacées : en cas de dégradation du milieu, elles pourraient être ajoutées à la liste rouge. Par conséquent, la Guyane, dont le milieu se dégrade, pourrait devenir l'outre-mer la plus concernée par les espèces menacées. Par exemple, si la grive à pied jaune est très répandue en Guadeloupe, sa population s'est dégradée à Sainte-Lucie ; elle est en effet toujours chassée, en dépit de sa vulnérabilité au niveau mondial. Le cagou, présent en Nouvelle-Calédonie, ne se porte pas bien non plus.

L'avifaune fait l'objet de menaces similaires à celles auxquelles est confronté le milieu marin : la perte et la dégradation de l'habitat concernant la majorité des espèces ; la surexploitation directe, la chasse par exemple ; les espèces introduites envahissantes, dont le rat qui a causé la disparation de plusieurs espèces d'oiseaux et détruit la végétation de certains îlots ; la pêche à la palangre concernant quasiment tous les albatros présents dans les TAAF ; le changement climatique pouvant affecter potentiellement toutes les espèces menacées ou affaiblies en induisant une réduction de la nourriture et du succès reproducteur de certaines espèces.

Toutefois, le changement climatique n'ayant pas encore entraîné de disparition d'espèces ultramarines, il n'est pas encore considéré comme une menace majeure. En revanche, de nombreux indicateurs montrent que des espèces quittent le territoire français et permettent de quantifier la façon dont le changement climatique affecte les populations d'oiseaux.

Si l'inventaire de l'avifaune n'est pas terminé, les foyers de biodiversité sont connus. Par exemple, le territoire de la Guyane, probablement le plus difficile à explorer, promet encore sans doute de nombreuses découvertes. Les zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) sont importantes pour l'avifaune, mais aussi pour certains habitats, des groupements végétaux particuliers par exemple. Des outils de protection existent d'ores et déjà et sont appliqués en métropole et en outre-mer. La Guyane compte plusieurs zones protégées : les réserves naturelles régionales ou nationales, le Parc national amazonien, des territoires acquis par le Conservatoire national du littoral. Par conséquent, il est possible d'inventer de nouveaux outils applicables à l'outre-mer, mais les possibilités offertes par le panel d'outils existant et permettant de protéger les habitats ne sont pas encore épuisées. Les ZNIEFF ne bénéficient par exemple d'aucune mesure de protection.

Le Grenelle de l'Environnement a initié une dynamique à travers la mise en place de plans nationaux d'action (PNA) pour les espèces. À l'occasion d'un séminaire organisé à Bordeaux par le ministère de l'écologie, j'avais réalisé une synthèse consacrée aux PNA et à leurs apports en faveur de l'avifaune. Malheureusement, la dynamique a accusé un ralentissement depuis, faute de crédits. Une vingtaine de PNA avait initialement été mise en place pour les espèces prioritaires, mais seuls quatre portaient sur des espèces ultramarines. Or, les PNA fonctionnent et sont peu onéreux, puisque leur coût est équivalent à celui d'un rond-point garni dans mon département. 68 espèces mondialement menacées attendent de bénéficier d'un tel plan d'action.

Par exemple, des progrès ont été enregistrés grâce aux mesures de protection d'urgence dont a fait l'objet l'albatros d'Amsterdam. Cette espèce endémique niche uniquement sur l'îlot d'Amsterdam, où la végétation a été perturbée suite à l'introduction de vaches. Un travail de limitation des introductions d'espèces a produit des résultats, même si la situation reste critique avec seulement une cinquantaine de couples reproducteurs.

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