Intervention de Patrick Chaize

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 15 juillet 2015 à 9h00
Deuxième dividende numérique et poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre — Examen du rapport pour avis

Photo de Patrick ChaizePatrick Chaize, rapporteur :

Notre commission s'est saisie pour avis de cette proposition de loi qui accompagne le transfert de la bande de fréquences 700 MHz, aujourd'hui affectée à l'audiovisuel, vers l'Internet mobile. L'expression « dividende numérique » désigne la libération de certaines bandes de fréquences radio pour de nouveaux usages, du fait du passage de la télévision analogique à la TNT. Les fréquences de cette bande sont parfois appelées « fréquences en or » car leurs propriétés physiques permettent aux ondes de se propager sur un territoire plus important et de mieux pénétrer à l'intérieur des logements. La définition de leurs conditions d'utilisation par les opérateurs présente par conséquent des enjeux importants pour l'aménagement numérique du territoire et l'amélioration de la couverture mobile. C'est une occasion à saisir pour lutter contre la fracture numérique.

Les fréquences radio étant des ressources rares, qui appartiennent au domaine public de l'État, la loi prévoit qu'elles font l'objet d'autorisations d'utilisation attribuées après appel à candidatures. Le cadre de cette procédure et les obligations imposées aux opérateurs lauréats sont fixés par le ministre chargé des communications électroniques, sur proposition de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep).

S'agissant du réseau 2G, la couverture de la population demeure incomplète. Un programme national de résorption des zones blanches a été mis en oeuvre à partir de 2003, mais certaines communes du programme ne sont toujours pas couvertes, tandis que certaines communes non couvertes ne sont pas intégrées au programme actuel. Il est insupportable qu'en 2015 certains de nos concitoyens soient isolés de toute communication mobile, en plus des autres inégalités territoriales dont ils peuvent pâtir.

En matière de 3G, la situation est encore plus insatisfaisante : plus de 2 200 communes ne sont toujours pas couvertes. En 2010, les trois principaux opérateurs commerciaux, rejoints ultérieurement par Free, s'étaient engagés par un accord collectif à couvrir en 3G l'intégralité des communes situées en zone blanche 2G avant la fin 2013. À ce jour, à peine un tiers de l'accord a été mis en oeuvre. Les communes concernées sont privées d'Internet mobile, voire, pour nombre d'entre elles, d'un haut débit fixe de qualité. Le risque de voir des territoires et des citoyens isolés augmente, alors que le développement des usages rend chaque jour plus pénalisante l'absence d'accès Internet de qualité.

Les licences dans la bande 800 ayant été attribuées en 2012, la couverture en 4G est logiquement inachevée. La progression des déploiements a été plus rapide que prévue : fin 2014, 70 % de la population est couverte par un réseau 4G. C'est positif. Toutefois, ce déploiement rapide en zone dense, ne préjuge en rien de la couverture des territoires moins denses, donc moins rentables pour les opérateurs. La zone de déploiement prioritaire n'a de prioritaire que le nom : elle correspond, de fait, aux territoires qui seront couverts plus tard...

Face à ce constat et aux revendications légitimes de nos concitoyens, le gouvernement s'est enfin décidé à réagir. À la suite du comité interministériel aux ruralités de mars dernier, des dispositions ont été insérées dans le projet de loi sur la croissance et l'activité pour compléter et achever le programme de résorption des zones blanches 2G d'ici la fin 2016, transformer l'accord 3G entre opérateurs en programme obligatoire à mettre en oeuvre d'ici la mi-2017, et améliorer la couverture hors centre-bourg en aidant les collectivités à financer des points hauts. Si ces nouvelles dispositions vont dans le bon sens. Il faudra toutefois faire preuve de vigilance sur leur mise en oeuvre.

À cet état des lieux insatisfaisant s'ajoute la problématique, plus générale, des mesures de la couverture mobile. Les cartes de couverture des opérateurs et les critères visant à évaluer le respect des obligations réglementaires ne correspondent pas à l'expérience réelle de nos concitoyens. En théorie, 99,9 % de la population est couverte par la téléphonie mobile 2G. Or on rencontre ce 0,1 % restant partout ! Il ne suffit pas d'être dans une commune couverte pour avoir accès au réseau, tout comme un accès théorique ne garantit pas une qualité de service acceptable. La connaissance précise de la situation pour les réseaux de différentes générations est la condition sine qua non d'une mise en oeuvre pertinente des actions de résorption des zones blanches.

L'article 8 bis de la proposition de loi, inséré à l'Assemblée nationale, reprend les dispositions de la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, proposée par Xavier Pintat, pour l'attribution, à l'époque, de la bande de fréquences des 800 MHz. Ces dispositions encadrent le contenu du cahier des charges défini par l'Arcep pour la mise aux enchères des fréquences, en imposant une prise en compte prioritaire de l'aménagement numérique du territoire dans la définition des obligations de déploiement. Ces fréquences ayant vocation à être utilisées pour déployer le réseau 4G, mais également pour un futur réseau 5G, les obligations de déploiement et leurs échéances seront décisives pour l'inclusion numérique de tous les territoires.

Compte tenu du calendrier très resserré retenu par le gouvernement, ce cahier des charges a déjà été défini et approuvé par le ministre de l'économie et la secrétaire d'État chargée du numérique. Je crains que la préoccupation d'aménagement numérique du territoire soit victime de cette précipitation. Tout d'abord, le cahier des charges ne tient pas compte de la possession simultanée de fréquences dans la bande des 800 et dans la bande des 700 pour définir le calendrier des déploiements. S'il est compréhensible que les objectifs puissent être atteints indistinctement dans une bande ou dans l'autre, ne pas prévoir d'échéances rapprochées pour les opérateurs concernés revient à renoncer à une opportunité d'accélérer la couverture en 4G, et ultérieurement en 5G, de nos territoires. Une telle possibilité, envisagée lors de la consultation menée fin 2014, a été abandonnée face à l'opposition attendue des opérateurs et malgré les attentes légitimes des collectivités territoriales. Le calendrier des obligations dans la bande 700 a lui aussi été infléchi dans un sens favorable aux opérateurs.

Enfin, l'obligation, très générale, de couverture des trains du quotidien imposée aux opérateurs lauréats devra être précisée. Il serait plus pragmatique de circonscrire l'obligation en matière de réseau ferroviaire et de prévoir en contrepartie de cet assouplissement une échéance plus rapprochée pour la couverture du territoire, et notamment de la zone de déploiement prioritaire.

Mes regrets ne portent pas tant sur le texte que sur le processus dans lequel il s'inscrit. Les modalités retenues en matière d'aménagement numérique manquent d'ambition. Je crains que le gouvernement, en se précipitant, ne manque une occasion : une telle opportunité ne se représentera pas avant 2030, compte tenu du choix, par ailleurs discutable, de sanctuariser les autres bandes de fréquences affectées à l'audiovisuel jusqu'à cette date. En réalité, la seule urgence qui s'impose à ce texte est d'ordre budgétaire : le gouvernement attend 2,5 milliards d'euros de la vente des autorisations d'utilisation de fréquences, afin d'assurer le financement du budget de la Défense. Selon les opérateurs mobiles, l'utilisation de nouvelles fréquences pour faire face à l'augmentation du trafic de données mobiles ne sera pas nécessaire avant plusieurs années. Une mise aux enchères plus tardive aurait permis de mieux valoriser le domaine public de l'État et d'analyser plus finement les options possibles en matière d'aménagement numérique. La précipitation risque d'être contre-productive pour le développement de la 4G comme de la future 5G.

L'article 8 bis, ajouté à l'Assemblée nationale à l'initiative de Corinne Erhel, généralise la prise en compte des impératifs d'aménagement numérique du territoire dans la définition des obligations de déploiement pour toute bande de fréquences utilisées précédemment pour la diffusion de la TNT. Cette disposition reprend un amendement déposé par Bruno Retailleau lors de l'examen du projet de loi pour la croissance et l'activité. Dès lors que les réserves exprimées portent sur la mise en oeuvre réglementaire de ce principe, je vous propose un amendement prévoyant la saisine obligatoire de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques (CSSPPCE), instance où la présence parlementaire est significative, afin que les élus soient davantage associés au processus.

Il est essentiel que notre commission appuie cette priorité, en séance publique et dans le cadre du groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire.

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