Intervention de Jean-François Longeot

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 15 juillet 2015 à 9h00
Modernisation de notre système de santé — Examen du rapport pour avis

Photo de Jean-François LongeotJean-François Longeot, rapporteur :

Les écarts de densité varient également d'une spécialité à l'autre : en 2014, ils sont de 1 à 2 pour les médecins généralistes, de 1 à 8 pour les médecins spécialistes, de 1 à 9 pour les infirmiers libéraux, de 1 à 4 pour les masseurs kinésithérapeutes, de 1 à 5 pour les sages-femmes et de 1 à 3 pour les chirurgiens-dentistes. Le constat dressé par Hervé Maurey en 2012 n'a pas changé : trois millions de Français vivent dans un désert médical. Les prévisions ne sont pas optimistes. Alors que la demande de soins augmente avec le vieillissement de la population et les maladies chroniques, la démographie médicale devrait connaître un creux dans les dix prochaines années, sachant que 26,4 % des médecins ont plus de 60 ans. On est passé de 64 778 médecins généralistes en 2007 à 58 104 en 2015, soit une baisse de 10,3 % ; une nouvelle baisse de 6,8 % est à prévoir d'ici 2020. Quatre spécialités sont également en souffrance : la rhumatologie (-10,3 % depuis 2009), la dermatologie (-7,7 %), la chirurgie générale (-24,7 %) et l'ORL (-7,8 %). À cela s'ajoutent les choix d'installation des jeunes médecins, qui ne s'orientent pas vers les zones fragilisées mais plutôt vers le lieu de leurs études et de leurs obligations familiales. Les 14 665 cumuls emploi-retraite enregistrés par l'Ordre des médecins au 1er janvier 2015 ne font que décaler le creux démographique annoncé de quelques années : sans réponse forte, il interviendra en 2020.

Les dispositifs mis en place depuis le début des années 1990 pour lutter contre les déserts médicaux et faciliter l'accès aux soins n'ont pas eu les effets escomptés. Purement déclaratoire, l'article 12 ter, inséré par les députés à l'initiative du gouvernement, rappelle les objectifs du pacte territoire-santé lancé en décembre 2012 : promouvoir la formation et l'installation des professionnels de santé en fonction des besoins des territoires, accompagner l'évolution de leurs conditions d'exercice, prévoir des actions spécifiques pour les territoires isolés. Ces voeux pieux ne changeront rien, et le pacte ne suffira pas à résorber les déserts médicaux. Ses objectifs ont pour la plupart déjà été atteints, et les déserts médicaux subsistent.

On dénombre 1 278 contrats d'engagement de service public, bourses attribuées aux étudiants de médecine en contrepartie d'une installation en zone démédicalisée pour une durée équivalente à celle de l'aide. L'objectif de 1 500 contrats en 2017 devrait être facilement dépassé. Le dispositif du praticien territorial de médecine générale, qui garantit un revenu net mensuel de 3 640 euros en contrepartie d'une installation en zone sous dotée, a attiré 411 généralistes, auxquels s'ajoutent 200 nouveaux contrats de praticien territorial de médecine ambulatoire proposés aux spécialistes en 2015. Quant au référent installation, préconisé par le rapport Maurey, il est en place dans chaque région depuis deux ans. On devrait compter plus de 800 maisons de santé pluriprofessionnelles en 2015, contre 174 en 2012. Depuis 2014, on peut y développer des projets de recherche, indépendamment d'un établissement hospitalier, ce qui renforce l'attractivité de la médecine de premier recours pour les professionnels motivés par la recherche clinique.

En revanche, la télémédecine en est encore au stade de l'expérimentation, avec des chantiers de quatre ans dans neuf régions pilotes pour élaborer une tarification préfiguratrice des actes. La délégation de soins pourrait également être accélérée, pour répondre à la forte demande des autres professionnels, pharmaciens et infirmiers, notamment. Enfin, l'objectif d'accès aux soins urgents en moins de 30 minutes n'est pas atteint en 2015, puisque un million de personnes ne sont toujours pas couvertes. Si le pacte territoire-santé a relancé la dynamique de l'incitation à l'installation des médecins, il ne suffira pas à résoudre l'équation complexe des déserts médicaux. La ministre le dit : « Pour relever ce défi, il n'y a pas de baguette magique, pas de recette miracle ».

Il faut renforcer la professionnalisation des études de médecine dès le stade de la formation. L'âge moyen d'installation des diplômés est passé de 27 ans dans les années 1970 à 35 ans dans les années 2010, ce qui n'est pas sans conséquence sur leur situation familiale et, corrélativement, sur leur mobilité géographique. À ma grande surprise, j'ai découvert qu'environ 25% des médecins diplômés renoncent à s'inscrire au tableau de l'Ordre des médecins pour exercer d'autres professions, dans le journalisme ou l'administration par exemple. Ce sont autant d'années d'études coûteuses qui sont financées en pure perte par la société. À cela s'ajoute un recrutement difficile en médecine générale, où 46% des places ouvertes sont occupées par des internes. Pour éviter que les diplômés n'abandonnent leur vocation après douze années d'études, il faut les immerger dans l'expérience de terrain avant leur choix de spécialisation. Le Canada ou l'Estonie ont déjà réorienté leurs mécanismes de formation vers cette immersion précoce. Ce modèle fonctionne : en Aveyron, de telles initiatives d'immersion profonde dès la deuxième année d'études ont permis d'attirer 35 médecins, dont 20 généralistes. Il se heurte pourtant à l'opposition des universités, qui y voient une dévalorisation de la formation académique.

La logique monolithique qui consiste à orienter la formation uniquement vers l'hôpital, où sont effectués 90 % des stages, est d'autant moins justifiée qu'au final, 40 % des postes n'y sont pas pourvus, les praticiens hospitaliers privilégiant les CHU au détriment des hôpitaux de proximité. Je vous proposerai un amendement pour préciser que les études de médecine doivent former les étudiants « à l'exercice de la médecine ambulatoire, en favorisant leur immersion précoce dans un environnement professionnel ». Je le compléterai en rendant obligatoire un stage d'initiation à la médecine générale dès le deuxième cycle, comme l'avait proposé Hervé Maurey dans son rapport. Le pacte territoire-santé a instauré une indemnité forfaitaire de transport de 130 euros par mois pour les stages réalisés à plus de 15 kilomètres de la faculté : en 2013, 60 % des étudiants avaient effectué un stage de médecine générale, et l'objectif est fixé à 100% pour 2017. Nous pourrions l'avancer à 2016, car les étudiants d'aujourd'hui ne sortiront qu'en 2021 ou 2022, et ne pas comptabiliser les internes en stage ambulatoire. Cette immersion précoce bénéficiera tout autant aux étudiants, confrontés à la réalité du métier, qu'aux territoires et aux finances publiques.

Autre mesure, la mise en place d'une régulation à l'installation des médecins. Le conventionnement sélectif, qui existe chez les pharmaciens, a été expérimenté chez les infirmiers libéraux en septembre 2008, avec un zonage du territoire adapté aux besoins des patients, des aides à l'installation dans les zones très sous dotées et une régulation des nouveaux conventionnements dans les zones sur dotées fondée sur la règle d'une entrée pour un départ. Entre 2008 et 2011, les effectifs ont augmenté de 33,5 % dans les zones très sous dotées et diminué de 2,8 % dans les zones sur dotées, où ils avaient progressé de 8,5 % entre 2006 et 2008. Le dispositif a été consolidé en septembre 2011 : entre 2010 et 2014, l'installation d'infirmiers libéraux a augmenté de 1,8 point en zone très sous dotée et diminué de 13 points en zone sur dotée. En parallèle, le conventionnement sélectif a été progressivement étendu aux sages-femmes, aux masseurs-kinésithérapeutes, aux orthophonistes et aux chirurgiens-dentistes, avec des résultats positifs. Ainsi, fin 2014, l'installation d'orthophonistes en zone très sous dotée a augmenté de 1,4 point et diminué de 2 points en zone sur dotée. Pour les sages-femmes, elle a augmenté de 3,8 points en zone très sous dotée et de 5,1 points en zone sous dotée, diminuant de 9,8 points en zone sur dotée. Inversement, l'annulation du dispositif par le Conseil d'État le 17 avril 2014 a entraîné un bond des installations de masseurs-kinésithérapeutes en zone sur dotée de 25% entre 2013 et 2014, alors qu'elles avaient diminué de 33 % entre 2012 et 2013. Ce dispositif de conventionnement sélectif dissuade l'installation dans les zones sur dotées et complète utilement les mécanismes d'incitation en faveur des zones sous dotées.

Ne cédons plus à la pression des médecins qui défendent à tout prix leur héliotropisme. On ne peut sacraliser la liberté d'installation tout en prétendant vouloir contribuer à l'aménagement du territoire. La commission s'est prononcée à l'unanimité en 2013 ; je vous propose de traduire ce choix dans la loi avec un amendement qui applique aux médecins la règle d'une entrée pour un départ dans les zones sur dotées. Je n'ai proposé qu'un nombre réduit d'amendements mais ils sont porteurs d'enjeux essentiels et sont des marqueurs identitaires pour notre commission. Je les défendrai âprement devant la commission des affaires sociales et dans l'hémicycle. Je voudrais également associer Michel Raison, qui a suivi toutes mes auditions, à ce rapport.

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