Merci de me recevoir. Ces rencontres sont toujours très enrichissantes car elles nous obligent à approfondir la réflexion sur notre institution et à préciser les voies que nous devons explorer.
Tout d'abord, je voudrais revenir sur les raisons qui ont poussé à la création de l'Hadopi. Les pouvoirs publics ont estimé qu'ils ne pouvaient se désintéresser du piratage qui prenait une ampleur sans précédent : ils devaient réagir, mais pas n'importe comment. Une période de maturation était nécessaire. Comment en effet réagir face à un phénomène qui ne concernait pas les délinquants habituels mais des personnes qui, par ailleurs, respectent les lois et qui, pour certaines, n'avaient même pas conscience de les enfreindre ? Il n'y avait à l'époque en droit qu'une seule incrimination pour les sanctionner : la contrefaçon, qui est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende. Ces sanctions n'étaient bien évidemment pas adaptées à la problématique du téléchargement illégal.
La loi de 2006 disait que tout abonné à Internet devait veiller à ce que ses connexions ne serve pas à des usages illicites, mais cette obligation n'était assortie d'aucune sanction. Face à ce vide juridique, le législateur a souhaité confier à une autorité administrative indépendante (AAI) le soin de surveiller les comportements des internautes. Il a alors été envisagé une riposte graduée : cette autorité pourrait prononcer des amendes mais aussi couper l'accès à Internet après trois mises en demeure. Le Conseil constitutionnel en a jugé autrement, estimant que si la propriété intellectuelle était un droit fondamental, ce qui nous réjouis, la liberté d'expression et la liberté d'opinion lui prévalaient : or une coupure d'Internet portait atteinte à ces libertés. Ainsi, seul le gardien naturel des libertés, à savoir le juge, devait avoir le droit de prononcer une telle sanction.
C'est pour cette raison que nous sommes passés d'une « riposte graduée » à une « réponse graduée » et que l'Hadopi a conservé le pré-pénal, et acquis la faculté de renvoyer les dossiers devant le juge. En outre, grâce au Sénat, nous avons reçu la mission d'encourager le développement de l'offre légale, ce qui intéresse nombre d'utilisateurs. Enfin, nous sommes chargés de l'observation étant donné du peu d'informations dont nous disposons. Nous devons également publier des indicateurs et réguler les mesures techniques.
Le 8 janvier 2010, quand j'ai poussé pour la première fois la porte des bureaux que le ministère de la culture mettait à notre disposition, il n'y avait que quelques bureaux, des chaises et un vieil ordinateur. J'étais bien seule. Il a fallu construire cette autorité à partir de rien. La première recommandation que nous avons faite le 1er octobre 2010 représentait un véritable exploit. Il a fallu quatorze décrets et deux années pour être réellement opérationnels. Voilà donc quelle fut la naissance de l'Hadopi.