Intervention de Monique Liebert-Champagne

Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes — Réunion du 8 juillet 2015 à 14h40
Audition de Mme Monique Liebert-champagne présidente de la commission des infractions fiscales

Monique Liebert-Champagne, Présidente de la Commission des infractions fiscales :

Les manquements aux obligations fiscales sont sanctionnés par des amendes administratives, qui peuvent aller jusqu'à 80 % des droits. Ils peuvent aussi relever de la juridiction pénale et l'article 1741 du Code général des impôts (CGI) autorise les poursuites pénales, dès lors que le contribuable a fraudé sur plus du dixième des droits ou plus de 153 euros. Mais il faut qu'il y ait fraude et l'article vise les contribuables qui se sont « frauduleusement » soustraits aux déclarations ou à l'impôt. Certains comportements sont particulièrement visés, avec des peines maximums plus lourdes : comptes ou contrats à l'étranger, interposition de personnes ou d'organismes établis à l'étranger ; usage d'une fausse identité ou de faux documents, domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger ou tout autre acte fictif.

C'est à l'administration fiscale qu'il appartient de décider si l'affaire de fraude doit être portée au pénal. Elle peut le faire à tout moment de la procédure, qu'il s'agisse de la procédure de vérification en cours ou bien de la procédure devant le juge de l'impôt. Ni l'administration fiscale, ni le juge pénal n'ont à attendre la décision de la juridiction saisie sur le bien-fondé de l'impôt. Il n'y a qu'une restriction, l'avis favorable de la Commission des infractions fiscales (CIF), prescrit par l'article L. 228 du livre des procédures fiscales (LPF).

Qu'est-ce que la CIF ? C'est une commission administrative, qui comprend huit conseillers d'État, huit conseillers maîtres à la Cour des comptes, huit conseillers honoraires à la Cour de cassation, et quatre personnalités désignées par le Sénat et l'Assemblée nationale. Elle siège en 4 formations de 8 membres, et peut siéger en plénière avec tous les membres. Elle examine de 1 000 à 1 100 affaires par an et son taux d'approbation est de l'ordre de 90 à 95 %. Entre 5 et 10 % des dossiers font ultérieurement l'objet d'une relaxe par le juge pénal.

La CIF est une commission administrative composée de magistrats ou d'anciens magistrats ; la plupart d'entre eux ayant exercé des fonctions dans le domaine fiscal. La Chambre criminelle de la Cour de cassation l'a qualifiée d'AAI dès 1991. La CIF est une AAI très différente des autres, c'est une toute petite commission administrative, comparée notamment aux autorités de régulation.

La CIF est saisie à la suite d'une vérification de comptabilité ou d'un examen approfondi de la situation fiscale des entreprises le plus souvent, mais aussi, depuis 2010, en matière de ce qu'on appelle la « police fiscale ». En cas de présomptions caractérisées d'infraction fiscale, et sans attendre la fin d'un contrôle, l'administration peut saisir la CIF sur la base de ces présomptions caractérisées, et s'il existe un risque de dépérissement des preuves.

Il y a un certain nombre de cas dans lesquels la CIF n'est pas saisie : il s'agit de tous les délits susceptibles d'être poursuivis devant les tribunaux sans plainte de l'administration fiscale comme l'escroquerie en matière de TVA ou la fraude aux contributions indirectes et douanières, car la rédaction de l'article L. 228 du LPF ne mentionne pas ces impôts. La CIF n'est pas non plus saisie en matière de délit de blanchiment puisque l'infraction principale est le blanchiment, c'est-à-dire l'obtention d'argent illicite, et le fiscal n'est en l'espèce qu'une conséquence. Enfin, le faux et l'usage de faux ne sont pas concernés car les fonctionnaires les dénoncent par le biais de l'article 40 du code de procédure pénale (CPP).

Quelle procédure suit la CIF ? D'abord, il faut noter que la CIF est saisie d'une fraude, c'est-à-dire des faits qui lui sont soumis. C'est ce qu'on appelle la saisine « in rem ». Elle ne statue pas expressément sur les personnes mentionnées au dossier et le juge d'instruction peut mettre en cause toute autre personne liée à l'affaire. La saisine est communiquée au contribuable sauf en matière de « police fiscale », qui produit ses observations dans un délai de trente jours, et c'est le cas dans à peu près une affaire sur deux. La procédure est contrôlée par le juge judiciaire, la saisine de la CIF étant indissociable de la procédure pénale.

Quel est le rôle de la CIF et pourquoi son existence a-t-elle pu être remise en cause ? Dans tous les pays, c'est un magistrat qui met en mouvement l'action pénale - dans la plupart des cas, il s'agit du parquet, dans des cas plus rares d'un juge d'instruction, saisi par les parties civiles. En matière fiscale, l'administration fiscale ne fait que saisir le juge pénal, c'est au parquet ensuite de décider de l'opportunité des poursuites. En l'occurrence, il y a au préalable une commission composée de magistrats ou d'anciens magistrats, qui sert de filtre. C'est ce qui a fait dire à certains que la commission pourrait disparaitre car ils estiment que le juge pénal peut décider seul.

En fait, je pense que c'est une garantie pour le contribuable, mais aussi une garantie pour le juge pénal. Pour le contribuable, c'est l'assurance que l'administration ne saisit pas le juge pour tout fait de fraude puisque l'article 1741 du CGI prévoit qu'il faut que le contribuable se soit « frauduleusement soustrait » à ses obligations fiscales. Mais c'est aussi une garantie pour le juge pénal, qui ne doit être saisi que des affaires importantes, car la justice pénale est très encombrée et coûte cher. La CIF s'efforce donc de cerner par sa jurisprudence ce que sont les affaires de fraude méritant le pénal. Enfin, très rarement, le dossier peut être refusé par la CIF dans des cas qui s'avèrent prescrits ou dans le cas de personnes désignées par erreur, en général les enfants d'un contribuable qui, lui, a commis la fraude. C'est une garantie pour l'administration fiscale, pour éviter de présenter au juge pénal des dossiers qui seraient voués à l'échec. De toute façon, le débat sur l'existence ou non de la CIF a été clos par le législateur en 2013, qui a maintenu cette commission en élargissant sa composition.

La jurisprudence de la CIF demeure confidentielle, car nous estimons qu'elle ne doit pas être communiquée aux éventuels fraudeurs. Par ailleurs, la CIF demande d'abord un montant minimal de fraude, fixé aujourd'hui à 100 000 euros de droits poursuivis. Pour les sociétés, le respect des obligations comptables est prédominant, mais la CIF examine aussi l'attitude du contribuable, l'opposition au contrôle fiscal étant particulièrement soulignée. Les dossiers d'opposition au contrôle fiscal sont d'ailleurs nombreux parmi les dossiers qui nous sont soumis. L'utilisation de moyens de fraude fiscale est également soulignée par la commission, par exemple avec l'acquisition de logiciels de fraude fiscale qui effacent les opérations en espèces.

Les « montages », c'est-à-dire l'interposition de sociétés, sont bien sûr considérés comme des éléments forts de fraude fiscale, a fortiori si les sociétés ou les comptes sont à l'étranger, et bien sûr dans des paradis fiscaux. On voit d'ailleurs de plus en plus de dossiers de ce type, sans doute selon les prescriptions des assemblées parlementaires - je pense à la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. Je dois enfin souligner que la jurisprudence pourrait évoluer concernant le cumul d'une sanction administrative et d'une sanction pénale, à raison des mêmes faits, se soustraire à l'impôt, de la même incrimination, la fraude fiscale. C'est ce qu'on appelle le principe « non bis in idem ». Longtemps le Conseil constitutionnel a accepté ce cumul à condition que la sanction prononcée ne dépasse pas la peine la plus lourde d'une des deux sanctions et que les procédures ne soient pas poursuivies devant la même juridiction. Mais le Conseil constitutionnel a évolué dans une décision récente du 18 mars dernier, en en ce qui concerne le délit d'initié. Et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) risque d'être beaucoup plus sévère dans le cumul des deux sanctions. C'est pourquoi, le rôle de la CIF, qui cantonne la saisine du juge pénal est important. Elle ne résout nullement le problème juridique du cumul des sanctions, qui reste entier, mais elle permettra au moins à la France de justifier du « sérieux » des plaintes de fraude fiscale.

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