De nombreuses dispositions de ce projet engagent des questions de droit civil, de conduite des procédures juridictionnelles ou propres à la protection des libertés publiques.
L'article 45, d'abord, crée une action de groupe en matière de santé, sur le modèle de celle relative à la consommation - créée par le projet de loi dont Nicole Bonnefoy était rapporteure pour avis. Nos anciens collègues Laurent Béteille et Richard Yung avaient déjà relevé que les dommages de consommation sont souvent uniquement matériels et standardisés, alors que ceux sur la santé sont corporels, variant très fortement d'une personne à l'autre, et ainsi inadaptés au traitement standardisé de l'action de groupe.
Mon déplacement au tribunal de grande instance de Paris a confirmé cette observation. Selon les magistrats, les contentieux de masse en matière médicale se heurtent à la difficulté de prouver le lien de causalité entre le défaut du produit de santé et le dommage, puis d'évaluer l'ampleur des préjudices. Les expertises et les contre-expertises durent des mois et mobilisent d'importants moyens. Faut-il pour autant rejeter cette nouvelle procédure ? Je ne le crois pas : les victimes prouveront plus facilement la responsabilité du professionnel, le juge se prononçant à partir de quelques cas typiques. Cette procédure leur évitera de se trouver démunies, seules face au défendeur - souvent un grand laboratoire aux moyens considérables. Toutefois, n'exagérerons pas sa pertinence : en cas de désastre sanitaire avéré, le législateur interviendra plutôt pour instaurer un fonds d'indemnisation, comme pour l'affaire du sang contaminé ou celle du Mediator. L'action de groupe en matière de santé n'est donc qu'une voie subsidiaire de réparation des dommages de santé dont on aurait tort de se priver. Mes amendements garantiront l'efficacité de la procédure en concentrant les moyens disponibles dans les juridictions ou au sein des associations.
Certaines personnes ont souligné le caractère rétroactif du dispositif, alors que le Gouvernement en excluait à l'origine la réparation des préjudices nés avant l'entrée en vigueur du texte. Les députés ont eu raison de revenir sur cela : c'est une loi de procédure, qui ne crée pas de nouvelle cause de responsabilité du professionnel vis-à-vis des victimes. Les actions de groupe qui seront engagées reposeront toutes sur un dommage dont la réparation pourrait actuellement être poursuivie par une action individuelle. La loi n'est pas rétroactive, et mes amendements encadreront davantage cette action de groupe.
L'article 47, ensuite, organise l'ouverture des données de santé à laquelle le Gouvernement s'est engagé. Les fichiers du Système national d'information inter-régimes de l'Assurance maladie (Sniiram) et du Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), constituent une base de données de santé d'une ampleur et d'une qualité inégalées en Europe. Le premier enregistre tous les remboursements de soins des usagers du système médical français ; le second les informations sur les séjours hospitaliers. Les deux bases - ainsi que quelques autres - sont chaînées, c'est-à-dire que l'on peut reconstituer le parcours médical d'une personne sur plusieurs années. Il y a là une véritable opportunité pour la recherche médicale, mais aussi des risques à la hauteur de cette opportunité : la base est tellement précise et exhaustive que les informations qu'elle contient, malgré un traitement d'anonymisation, permettent de retrouver une personne : il suffit de connaître la date, la durée et le lieu de deux hospitalisations.
Notre commission s'est déjà penchée sur ces questions d'ouverture des données à caractère personnel grâce au rapport d'information de nos collègues Gaëtan Gorce et François Pillet, qui préconisait la plus grande prudence.
La réforme repose ici sur trois volets : la création d'un système national des données de santé, regroupant les principales bases existantes, dont l'une des finalités sera la mise à disposition de ces données pour évaluer le système de soins et pour la recherche ; la création d'un open data de santé, c'est-à-dire d'une mise à disposition publique de certaines données, à condition qu'elles soient rendues vraiment anonymes ; un assouplissement très important des conditions actuelles d'accès aux données de santé. Le Gouvernement a tenté de trouver un équilibre en rappelant l'interdiction de mésusage de ces données de santé tout en ouvrant l'accès aux entreprises privées à des fins de recherche.
Mes amendements tentent de conjurer autant que possible tout risque de fuite des données personnelles de santé, et toute tentation de mésusage à des fins d'exploitation commerciale ou économique.
Les articles 13 et suivants réforment l'organisation de la psychiatrie, et notamment l'hospitalisation sous contrainte. Plusieurs mesures techniques sont justifiées, comme l'attribution au juge des libertés et de la détention de l'établissement de la première admission d'un patient ensuite transféré dans une autre structure, de la compétence pour statuer sur la levée ou non de la mesure d'hospitalisation sous contrainte.
L'article 13 quater encadre davantage le recours aux mesures de contention ou d'isolement prises à l'encontre des personnes hospitalisées en établissement psychiatrique. D'aucuns ont dénoncé un recours abusif par manque de personnel infirmier ou par volonté de sanctionner le patient. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a, dans son rapport d'activité de 2013, recommandé la tenue d'un registre obligatoire de ces mesures, précisant leur date et leur durée, ainsi que leurs raisons médicales. Je ne vous suggèrerai que des modifications formelles à cette disposition bienvenue.
Le projet évoque aussi l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris. Cet établissement unique en France accueille des patients faisant l'objet d'une hospitalisation sans consentement, sans être considéré comme un établissement de santé puisqu'il dépend directement de la préfecture de police de Paris qui emploie les infirmiers, les médecins ou les surveillants. Il y a quelques années, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dénonçait ce rattachement - une recommandation de principe ne mettant absolument pas en cause les équipes dont le professionnalisme et la grande qualité sont reconnus : j'ai constaté in situ que cette structure fonctionnait correctement et qu'elle répondait à un besoin propre à l'agglomération parisienne, de gestion de flux de population importants avec des services hospitaliers psychiatriques surchargés. Il serait dommage de la supprimer. En revanche, il est regrettable qu'elle échappe totalement au droit commun des établissements psychiatriques : elle n'est pas soumise à tous les contrôles appliqués à ces établissements et notamment au contrôle annuel par le maire, le président du TGI ou le procureur de la République prévu à l'article L. 3222-4 du code de la santé publique. Et si nous ne faisons rien, cette infirmerie ne sera pas obligée de tenir le registre des mesures de contention et d'isolement institué par l'article 13 quater. C'est pourquoi je vous propose d'interdire qu'une structure puisse accueillir des hospitalisations sous contrainte si elle n'est pas soumise à l'ensemble des contrôles applicables aux établissements psychiatriques ; cela fera revenir cette infirmerie dans le droit commun du code de la santé publique.
La dispense d'autorisation parentale pour procéder à certains actes de soins sur un mineur qui ne souhaite pas que ses parents soient avertis de son traitement ou de sa maladie apporte une réponse satisfaisante à des situations difficiles : elle évitera que le mineur renonce à des soins pour garder le secret sur son état.
D'autres dispositions traitent de l'accès de ses ayants droit au dossier médical d'une personne décédée, ou encore de l'interdiction de toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle d'un candidat donneur de sang.
La modification du dispositif de don d'organe mérite plus particulièrement notre attention. L'amendement du député Jean-Louis Touraine limitait le rôle de la famille pour confirmer l'absence d'opposition de la personne en état de mort clinique au prélèvement d'organe. Le Gouvernement est partiellement revenu dessus, tout en en conservant le symbole : il incite les médecins à considérer plutôt le consentement présumé en l'absence de déclaration contraire que les témoignages contraires des proches. Ce dispositif est-il vraiment pertinent ? Je ne le crois pas : comme me l'a confirmé le docteur Jacques Lucas, vice-président du conseil national de l'ordre des médecins, lors de son audition, aucun médecin ne prélèvera un organe si les proches s'y opposent. En l'absence de déclaration préalable expresse de la personne, il est vain de tenter de minorer le témoignage de la famille. La rédaction retenue pose également une question d'incompétence négative du législateur, puisqu'elle renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de définir les modalités d'expression ou de refus de prélèvement, alors que ce choix, essentiel au regard de ses conséquences, devrait revenir au législateur. Je vous proposerai la suppression de cet article.