Intervention de Mathieu Darnaud

Réunion du 16 juillet 2015 à 15h10
Nouvelle organisation territoriale de la république — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Mathieu DarnaudMathieu Darnaud :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous voici enfin au terme de l’examen de ce texte, qui aura tant mobilisé notre Haute Assemblée et qui restera comme un marqueur de son retour dans le débat parlementaire.

Mais le présent projet de loi aura surtout marqué les esprits par les controverses et les inquiétudes qu’il aura suscitées chez les acteurs les plus impliqués, c’est-à-dire les maires et l’ensemble des élus locaux du pays.

Le projet initial du Gouvernement consistait à noyer les territoires dans des super-régions en rayant de la carte les départements. Finalement, au terme d’un virage à 180 degrés, le texte en sanctuarise l’existence, organisant un troc de compétences entre niveaux de collectivités, mais sans jamais considérer les communes.

En fin de compte, ce projet de loi est parti dans tellement de directions opposées qu’il a donné le tournis aux élus, déjà désorientés par le rocambolesque redécoupage des cantons.

Le Président de la République souhaitait porter à son bilan quelques initiatives qui, à défaut de répondre aux défis de notre époque, avaient le mérite d’offrir une grande visibilité.

La réforme des collectivités territoriales devait aussi, selon vous, monsieur le secrétaire d’État, faire économiser une dizaine de milliards d’euros de dépenses publiques à la Nation. Qui s’aventurerait encore à formuler un tel pronostic ?

Il n’en reste pas moins que ce « chamboule-tout » territorial constitue une réforme que les élus locaux, véritables chevilles ouvrières de la décentralisation, n’attendaient pas et dans laquelle ils ne se retrouvent pas.

Si le Gouvernement ne les a pas réellement consultés, le Sénat, lui, les a écoutés. Renouant avec sa vocation de représentant des territoires de la République, la Haute Assemblée a su entendre le malaise des élus locaux.

Chacun d’entre nous, dans nos départements, a échangé de longues heures avec des maires désespérés par un texte qu’ils percevaient comme une manifestation de défiance à leur endroit.

Combien d’élus, que ce soit dans les communes rurales, dans les villes ou encore dans les conseils départementaux, nous ont fait part de leur lassitude d’être vus comme des entraves à la bonne gouvernance de leur territoire, quand ils sont en fait les artisans quotidiens de son développement ?

La démarche du Gouvernement aurait été mieux inspirée si elle avait suivi l’ambition pour les collectivités locales qui fut jadis exprimée en ces termes : « Je veux aboutir à une véritable décentralisation, à une décentralisation qui donne enfin aux maires, aux présidents de conseils généraux et aux présidents de conseils régionaux […] la responsabilité et la liberté. » Ces mots, prononcés le 19 novembre 1981, sont ceux de Gaston Defferre présentant à cette même tribune sa loi de décentralisation.

Alors oui, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, nous aurions pu aller plus loin vers une véritable loi de décentralisation ! Car, s’il est une certitude, c’est que nous sommes à des années-lumière de ce que vous appelez le « grand soir territorial ». Oui, le Sénat a écouté les élus ; mais il les a surtout entendus !

Entraîné par la nouvelle dynamique insufflée par le président Gérard Larcher, le Sénat a pris à bras-le-corps ce problème et a enfin retrouvé la place qui lui revient dans le processus d’élaboration de la loi.

Je veux donc saluer ici le travail absolument colossal et efficace de nos deux corapporteurs, René Vandierendonck et Jean-Jacques Hyest, qui ont su réorienter le texte présenté par le Gouvernement et faire prévaloir les positions du Sénat au sein de la commission mixte paritaire.

Sur les points les plus préjudiciables du projet de loi, notre assemblée a tenu bon, et sa détermination inébranlable a permis à nos collègues députés et au Gouvernement de prendre la juste mesure des dispositions du texte les plus contraires à l’intérêt général et à l’idée même de la décentralisation.

Nous avons, durablement je l’espère, tordu le cou à cette idée selon laquelle le département est une collectivité surnuméraire. À l’heure de la France des grandes régions, entériner sa disparition ferait apparaître un chaînon manquant : celui de la proximité.

Qu’il en aura fallu du temps et des débats pour expliquer au Gouvernement que la France n’était pas uniforme et que l’on ne pouvait répartir des bassins de vie avec une calculatrice ou un compas ! Non, il n’y a pas de nombre d’or en matière d’intercommunalité !

Aussi, nous ne pouvons que nous féliciter d’avoir, en abaissant les seuils obligatoires de 20 000 à 15 000 habitants et en les ouvrant à des dérogations tenant compte de la faible densité des territoires – et notamment à la spécificité des zones de montagne –, considérablement éloigné le texte de sa logique comptable pour le faire coïncider avec des réalités physiques et tangibles.

Une intercommunalité ne saurait être réduite à une statistique. Ce doit être un choix librement assumé de fonder une communauté de projet. Et un mariage forcé n’est jamais le présage d’une union heureuse !

C’est donc selon la même logique que nous avons défendu et obtenu le report à 2020 du transfert obligatoire des compétences relatives à l’eau et à l’assainissement.

Dans le même esprit, nous avons préféré nous en tenir au droit existant en matière de minorité de blocage concernant le plan local d’urbanisme intercommunal, soit 25 % des communes représentant 20 % de la population.

De même, l’intérêt communautaire pour le transfert de compétences des communes aux intercommunalités est maintenu avec la majorité qualifiée des deux tiers actuellement en vigueur. Nous ne pouvons que nous féliciter d’avoir repoussé les transferts obligatoires de compétences souhaités par le Gouvernement.

Ce qui fonde la cohérence de ces positions, c’est notre conviction selon laquelle les communes, cellules de base de notre vie civique, doivent pouvoir garder une certaine maîtrise de leur destin.

Il ne s’agit pas d’une vision recroquevillée ou conservatrice ; nous défendons même des communes nouvelles ! Mais il s’agit ici de regroupements librement assumés et favorisés par la récente loi votée sur la proposition de Jacques Pélissard.

La commune est le lieu où s’expriment la démocratie et la communauté au sein de laquelle les élus sont parfois les derniers à incarner la proximité, la solidarité et à entretenir le lien social.

Les maires et les conseillers municipaux, pour la plupart sans étiquette politique et quasi bénévoles, qui acceptent de relever ces défis sont autant de figures utiles et respectées par la légitimité qu’ils incarnent.

Qu’adviendrait-il d’eux si, comme les députés de la majorité l’avaient voté lors de l’examen du texte, les élus des communes rurales étaient doublés et, au final, supplantés par des listes de conseillers intercommunaux forcément partisanes ?

Nous refusons l’organisation d’un scrutin indépendant pour les conseils communautaires, car cela sonnerait définitivement le glas de la commune.

Là aussi, le Sénat a pleinement joué son rôle : réaffirmer la confiance de la République envers ses élus, et notamment ceux qui agissent auprès de nos concitoyens des territoires ruraux et qui vivent dans un sentiment d’abandon.

Enfin, grâce à l’accord obtenu en commission mixte paritaire, nous avons mis un terme à cette mascarade consistant à créer un Haut Conseil des territoires. Sans doute manquions-nous cruellement de « hauts conseils » et autres « observatoires » dans notre pays pour qu’il faille en créer un nouveau… Mais, en l’espèce, l’article 24 de la Constitution est assez limpide puisqu’il dispose que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. En quelque sorte, la place est déjà prise, et la fonction est assumée avec un certain regain de pugnacité !

Devons-nous pour autant nous estimer pleinement satisfaits par le texte de la commission mixte paritaire ? Non, et c’est là le propre des compromis. Il reste dans ce texte des points qui n’emporteront pas, voire n’emporteront jamais notre adhésion.

Ainsi, nous ne nous satisfaisons pas des schémas régionaux, d’aménagement durable et d’égalité des territoires, et nous en regrettons le caractère prescriptible.

Nous avions déployé nos efforts pour expliquer qu’une co-élaboration poussée rendrait plus efficaces, car plus partagées, les ambitions pour développer nos régions. Mais nous n’avons pas été entendus.

Au contraire, sur la question du Grand Paris, votre ambition réformatrice semble s’être arrêtée aux limites de l’Île-de-France, madame la ministre ! Tout ça pour ça ! Les Franciliens, qui représentent un sixième de la population française, ne méritaient-ils pas mieux que cette métropole devenue une coquille vidée de ses compétences ?

Il y a paradoxalement un autre aspect de ce dossier sur lequel les députés de la majorité ont montré un tout autre activisme et dont nous contestons la légalité : le meccano électoral autour de la désignation des représentants de la Ville de Paris dans le conseil de cette métropole. C’est une disposition sur-mesure, taillée pour empêcher une personnalité émérite de notre famille politique de présider un jour la métropole du Grand Paris !

Devant cette situation, les sénateurs ont pris leurs responsabilités en décidant de ne pas faire échouer la commission mixte paritaire, ce qui aurait conduit l’Assemblée nationale à légiférer seule, annihilant de fait toute la plus-value apportée sur ce texte par la Haute Assemblée.

Pour autant, nous n’en resterons pas là. Nous saisirons le Conseil constitutionnel sur ce qui n’est autre qu’une manœuvre de cuisine électorale parfaitement indigeste et totalement incongrue !

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