En plus d'être, dans le champ de la régulation économique, l'une des plus petites autorités indépendantes, l'ARDP présente des caractéristiques très particulières.
La presse s'est, pour des raisons historiques, dotée d'un dispositif de régulation original. La distribution a été fixée au sortir de la guerre par la loi Bichet de 1947, toujours en vigueur ; l'objectif était de préserver la pluralité de la distribution, d'éviter le monopole dont Hachette avait bénéficié avant et pendant la guerre, sans pour autant mettre en place un monopole public. Le principe retenu était celui de la liberté de distribution : un éditeur de presse peut choisir de se distribuer seul, mais si la distribution est groupée elle est assurée par des messageries détenues par les éditeurs eux-mêmes, afin d'en garantir l'équité. Le système était régulé par les professionnels à travers le CSMP qui associe les éditeurs, les dépositaires, les diffuseurs, les messageries et les syndicats professionnels.
Tout a bien fonctionné jusqu'à la crise de la presse écrite qui a commencé dans les années 1990. La profession a alors été bouleversée par l'émergence de la presse magazine, alors que le nombre de titres de la presse nationale et la vente au numéro entraient dans une phase de baisse tendancielle. On vend chaque année 5 milliards de numéros contre 7 milliards il y a quinze ans. L'émergence du numérique a aggravé la situation.
La presse s'est retrouvée dans une situation de crise, conduisant la principale messagerie de presse, Presstalis, au bord du dépôt de bilan, dans un contexte de concurrence exacerbée avec l'autre messagerie, les Messageries lyonnaises de presse (MLP). Paralysé par sa composition endogame, le CSMP s'est trouvé dans l'incapacité de résoudre les litiges. Un grand nombre d'entre eux étant portés, sans forcément en relever, devant le Conseil de la concurrence, les États généraux de la presse réunis en 2008 ont demandé au président de cet organisme de préparer un rapport sur la réforme et la régulation du secteur. Le schéma proposé était classique : créer une autorité administrative à part entière, comme pour la télévision ou les télécommunications, dans le but de mettre fin à l'autorégulation de la profession.
En 2011, le législateur a préféré un dispositif à deux niveaux. D'abord, le CSMP, qui est une personne morale de droit privé, se voit confier les missions de prendre des mesures générales pour toutes la filière et de réguler de manière précontentieuse les différends entre les acteurs. Ensuite, au-dessus ou à côté de ce CSMP, une autorité administrative indépendante composée de trois membres a pour tâches de rendre exécutoires - ou pas - les décisions du CSMP et de le suppléer, le cas échéant, dans le règlement des litiges. C'est un système singulier, fort différent de ceux qui sont en place dans l'énergie ou les transports.
Seconde caractéristique, ce dispositif est sans conséquence budgétaire pour l'État. Le budget annuel du CSMP (2,5 millions d'euros), est exclusivement financé par la profession ; quant à l'ARDP, ses ressources proviennent d'une contribution des messageries de presse. Son budget ne dépasse pas les 120 000 euros annuels : nous n'avons pas de locaux, le CSMP nous prêtant sa salle de réunion ; pas de services propres, l'intégralité du travail étant effectuée par les trois membres du collège avec un secrétariat général assuré à temps partiel par une auditrice du Conseil d'État ; et pas de charges de fonctionnement, nos seules charges étant constituées par les indemnités de ses membres et par des dépenses de conseil juridique, car nos mesures de régulation suscitent par nature des contentieux, portés devant la Cour d'appel de Paris.
Avec quatre ans de recul, et à l'approche de la fin de mon mandat, qui expire en octobre, ce système a-t-il rempli sa mission ? J'ai la faiblesse de penser que oui.
D'abord, nous avons pris nos fonctions dans un contexte difficile, avec une baisse irréversible de la vente au numéro. Presstalis était alors placée sous administration judiciaire. À la fin 2014, l'entreprise avait rétabli son petit équilibre et à l'issue de son plan de redressement, en 2017, elle aura perdu la moitié de ses effectifs. Les MLP sont elles aussi de nouveau à l'équilibre. Les baisses de coûts ont été massives. Au deuxième niveau, les dépositaires de presse, c'est-à-dire les plates-formes régionales qui assurent la distribution des titres vers les diffuseurs, ont engagé un schéma directeur qui prévoit une baisse de plus de 50 % de leur nombre. Enfin, le système d'information commun aux deux messageries, prévu par la loi, est en cours de déploiement. Les relations entre Presstalis et les MLP sont apaisées. La rémunération des diffuseurs a été revalorisée par une délibération du CSMP et de nous-mêmes. Au total, nous avons pris une vingtaine de décisions de régulation fortes, qui ont engendré des contentieux, tous gagnés devant la Cour d'appel de Paris. Notre action s'en est trouvée confortée.
Quelles sont les perspectives ? Dans le schéma actuel, chacun - État, régulateurs, professionnels - joue son rôle. L'État porte la politique d'aide à la presse ; il est représenté par un commissaire du Gouvernement au sein du CSMP. Le régulateur a retrouvé sa fonction, après la paralysie dont était affligé le CSMP en 2011 : désormais, il prend des initiatives. Enfin, les professionnels sont pleinement associés au dispositif, ce qui est normal.
Le système a légèrement évolué avec la loi d'avril 2015, qui est centrée sur l'Agence France Presse (AFP) mais dans laquelle le législateur a inséré quelques dispositions plus générales. Le balancier a été déplacé vers l'ARDP, qui bénéficie désormais d'un droit d'initiative : son président peut demander l'inscription d'un point à l'ordre du jour des réunions du CSMP et amender ses décisions, alors que le dispositif précédent n'admettait que la pleine validation ou le rejet. Elle s'est aussi vu confier, comme nous le souhaitions, la mission d'homologuer les barèmes des messageries. En effet, ces tarifs sont le résultat d'une stratification ancienne, pas toujours en phase avec les coûts, en particulier pour la presse quotidienne nationale, et, surtout, donnent lieu à des pratiques qui appellent une attention particulière. Nous commencerons ce travail en 2016. Enfin, le législateur a estimé que, pour incontestable que soit déjà notre indépendance, il valait mieux que la régulation soit supportée par le budget de l'État. L'ARDP émargera par conséquent à partir de 2016 au programme 308 qui relève du Premier ministre. J'ai vu le Secrétaire général du Gouvernement à ce sujet. Pour autant, nous n'aurons toujours pas de locaux ni de personnel en propre : notre secrétariat sera mutualisé avec d'autres autorités indépendantes.