Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est aujourd’hui saisi d’une proposition de loi relative à la lutte contre le logement vacant et à la solidarité nationale pour le logement.
Comme l’a souligné M. le rapporteur, cette proposition de loi semble, à bien des égards, louable. Nul doute que les hommes et les femmes de bonne volonté, de part et d’autre de notre hémicycle, reconnaîtront les bonnes intentions qui président à ce texte.
Néanmoins, force est de constater que les bonnes intentions ne suffisent pas. Nos concitoyens n’attendent pas de leurs élus de vibrants plaidoyers, si brillants soient-ils. Ce qu’ils attendent, ce sont des résultats et c’est pourquoi ils ont confié à notre majorité le soin d’engager des réformes.
L’article 1er prévoit que le maire pourrait obtenir l’expropriation d’un bien au terme d’une vacance anormalement longue, de cinq ou huit années consécutives.
Le caractère général d’une telle mesure constituerait une nouvelle atteinte à la petite propriété.
En premier lieu, cette proposition me paraît quelque peu dogmatique.
L’expropriation peut être envisagée au terme d’une durée de vacance non seulement longue, mais surtout abusive. Seul l’abus peut justifier une expropriation. La durée de vacance ne saurait à elle seule constituer un abus.
De fait, on peut remédier à la vacance d’un logement, même anormalement longue, par des dispositifs plus consensuels. Le maire pourrait par exemple enjoindre le propriétaire de mettre en location son logement au profit de bailleurs intermédiaires.
Cette perspective va dans le sens des propositions du Gouvernement qui, dans sa grande sagacité, a affiché sa volonté de limiter les expulsions en expérimentant l’intermédiation locative, c’est-à-dire la reprise du bail par une association amenée à sous-louer le logement.
J’ai préféré ne pas amender le présent texte afin de laisser à M. le secrétaire d’État la possibilité de mieux évaluer la portée d’un tel dispositif.
En second lieu, l’article 1er me paraît dangereux.
Les conditions proposées pour permettre l’expropriation sont discrétionnaires. Selon les termes de la proposition de loi, le maire pourra enclencher la procédure d’expropriation si le logement est resté vacant pendant une durée de cinq à huit ans.
Cette proposition ne tient pas compte de la diversité des cas de vacances. Certains logements ne répondent à aucun besoin. Pourtant, avec cette proposition de loi, le propriétaire d’un immeuble situé dans une zone géographique sans intérêt pourra être exproprié !
Par ailleurs, cette proposition laisse au maire le pouvoir discrétionnaire de déclencher une procédure d’expropriation pour tel logement resté anormalement vacant.
L’extension du pouvoir d’expropriation est dangereuse. Il aurait été bienvenu de l’entourer de garanties objectives : soit en liant le pouvoir du maire à une déclaration de vacance « anormalement longue » ; soit en limitant géographiquement la possibilité de recourir à un tel droit d’expropriation.
L’article 2 de la présente proposition de loi tend tout à la fois à élargir le champ de la taxe sur les logements vacants à l’ensemble des villes visées par l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation et à doubler les taux applicables.
La taxe sur les logements vacants semble certes avoir fait ses preuves. L’idée d’en élargir le champ d’application me paraît opportune, car, comme le souligne M. le rapporteur, le taux de vacance a baissé plus rapidement dans les agglomérations où la taxe est en vigueur que dans le reste du pays.
En revanche, il faut entendre la critique du Comité d’analyse économique, qui suggère la suppression de la taxe, car son rendement est nul.
D’aucuns proposent donc le doublement des taux applicables. Néanmoins, cette proposition n’apporte aucun gage supplémentaire d’efficacité. Le rendement de la taxe sera certes meilleur, mais elle ne contiendra pas davantage la spéculation sur le logement.
Je considère que nous devrions examiner d’autres hypothèses. Par exemple, pourquoi ne pas envisager de ne pas accorder d’exonération sur la plus-value résultant de la vente de logements restés vacants ? De fait, à ce jour, toute plus-value immobilière bénéficie d’une exonération de 10 % par année de détention au-delà de cinq ans. Cette exonération pourrait ne pas être accordée pour chaque année de vacance des biens aujourd’hui assujettis à la taxe.
Plutôt que de taxer, il me semble plus utile de revenir sur les avantages fiscaux existants. Cela serait sans doute plus efficace, plus rentable et plus juste.
L’article 4 vise à instituer un moratoire pour les expulsions de personnes reconnues prioritaires par la commission de médiation tant qu’aucune offre de logement ou d’hébergement respectant l’unité et les besoins de la famille ne leur aura été proposée par ladite commission.
L’intention de la proposition est encore louable, mais les effets n’en seront que pervers.
En effet, elle ne fait qu’accroître les risques pesant sur le propriétaire. Au lieu de remédier à la vacance intentionnelle des logements, elle ne fait que la renforcer. Ainsi, cette proposition de loi s’inscrit en porte-à-faux avec les objectifs mêmes qu’elle cherche à atteindre.
Nous avons déjà attiré l’attention sur le fait que de nombreuses mesures de prévention limitaient le recours à l’expulsion. Ainsi, le taux d’expulsions effectives n’est que de 10 %, portant le délai d’expulsion à deux ans. Le moratoire, allongeant encore les délais, augmentera d’autant l’insécurité juridique, au détriment des seuls propriétaires. Le marché locatif s’en trouverait encore moins fluide.
En dépit du manque de réalisme de la proposition, l’intention est appelée à mûrir.
La question pourrait éventuellement se poser d’opposer un tel moratoire aux investisseurs institutionnels qui interviennent sur le marché locatif. Mais, plus simplement, il faudrait trouver des compensations financières au maintien dans les lieux, notamment lorsque le bail est rompu pour des raisons financières.
En revanche, il faudrait travailler à réduire les délais d’expulsion dans des cas de rupture ou de non-renouvellement de bail à fin de reprise. En effet, un propriétaire doit pouvoir disposer de son bien, lorsque l’occupant est sans droit ni titre.
Par ailleurs, le Gouvernement travaille actuellement à la mise en place d’une garantie des risques locatifs qui devrait également permettre de sécuriser les propriétaires contre les risques d’impayés et éviter aux locataires d’avoir à fournir la caution de tiers.
Il s’agit là d’une mesure d’accompagnement intéressante, qui appelle toutefois une remarque : on fait encore peser sur la tête du propriétaire la prise en charge de l’intérêt général, ce qui n’est pas sa vocation. À défaut d’être une obligation d’assurance à la charge du locataire, la souscription à une telle garantie, monsieur le secrétaire d’État, devra ouvrir droit à une diminution du revenu imposable.
Pour conclure, je dirai que cette proposition de loi est aussi paradoxale que l’état du marché locatif. La France est le pays qui compte le plus de logements par propriétaires, de même qu’elle compte le plus de logements sociaux par habitants. Et pourtant les problèmes demeurent.
Il va sans dire qu’il y a des cas de grande urgence que nous devons accompagner.
Cela dit, ce n’est pas en stigmatisant les petits propriétaires que l’on apportera des solutions durables. Si le taux de logements vacants est en diminution constante depuis quelques années, c’est que l’équilibre trouvé est globalement efficace en l’état. Rien ne sert donc de renforcer le climat d’insécurité juridique qui entoure le contrat de location ; mais il faut fluidifier le marché du logement locatif.
En ce sens, je voterai contre cette proposition de loi.
Je m’y opposerai d’autant plus fermement qu’il serait souhaitable que l’opposition, plutôt que de stigmatiser les propriétaires, s’attache à formuler des propositions qui aillent dans le sens de l’accession sociale à la propriété.