Intervention de David Assouline

Réunion du 17 novembre 2009 à 14h30
Concentration dans le secteur des médias — Rejet d'une proposition de loi

Photo de David AssoulineDavid Assouline, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une étude vient de nous apprendre que, à l’heure de la révolution numérique, les Américains n’ont jamais passé autant de temps devant leur écran de télévision : quatre heures et quarante-neuf minutes par jour en moyenne, soit quatre minutes de plus que l’année dernière et, surtout, 20 % de plus qu’il y a dix ans, ce qui représente par foyer américain huit heures et vingt et une minutes consacrées quotidiennement à la télévision.

Pour leur part, nos concitoyens y consacrent chaque jour près de trois heures et dix minutes de leur temps libre, ce qui fait de la télévision, et de loin, leur premier loisir.

Pourtant, dans le même temps, la télévision apparaît comme le média auquel les Français accordent le moins leur confiance pour leur offrir une information fiable et objective, comme le montre l’étude réalisée pour La Croix par TNS Sofres-Logica en janvier dernier.

C’est dire que l’opinion publique, dans nos vieilles démocraties, n’est pas dupe de sa relation aux médias. C’est dire aussi que les médias et, en particulier, la télévision restent l’outil le plus simple et le plus efficace pour « fabriquer l’opinion », rêve de tout chef d’État ou de gouvernement depuis que les recettes du marketing ont remplacé des moyens moins pacifiques dans la conquête du pouvoir. À l’heure d’internet et de la dématérialisation des supports de communication et d’information, il est donc plus que jamais d’actualité d’évoquer le rôle de ce « quatrième pouvoir » que jouent les médias dans notre démocratie.

Au-delà de leur influence décisive dans la sélection du personnel politique, on peut dire que les médias vont jusqu’à guider l’action des gouvernants, et c’est encore plus vrai sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le Président de la République semble en effet organiser son agenda comme un rédacteur en chef de journal télévisé cherchant à créer l’actualité en permanence.

Cette agitation quotidienne ne susciterait pas d’interrogations au regard du fonctionnement et de l’équilibre de la vie démocratique si, dans notre pays, les médias étaient réellement indépendants, c’est-à-dire tout à fait libres de diffuser ou de ne pas diffuser, en fil continu, de l’information présidentielle, de la traiter, de la mettre en perspective et de la critiquer. Mais il se trouve le chef de l’État entretient des amitiés – bien sûr, c’est son droit ! – pour le moins utiles : Arnaud Lagardère, son « frère », Martin Bouygues, témoin à l’un de ses mariages, Vincent Bolloré, financeur de ses vacances luxueuses… Ces trois-là sont patrons de groupes de communication, détenant entreprises de presse, stations de radio et chaînes de télévision. Plus grave, les mêmes sont à la tête de groupes industriels qui tirent une part tout à fait significative de leur chiffre d’affaires de commandes publiques. C’est l’objet de notre débat d’aujourd’hui.

Ainsi, Arnaud Lagardère, président de Lagardère Active, possède notamment Europe 1, Paris Match, Le Journal du Dimanche, 17 % du Monde, 20 % de Canal Plus France et une participation dans le groupe publiant Le Parisien et L’Équipe. Dans le même temps, le groupe Lagardère reste un actionnaire « stratégique » d’EADS, au côté de l’État.

Dans le secteur de l’aéronautique et de la défense, le groupe Dassault, dont les principales activités sont regroupées dans Dassault Aviation, détient le groupe Figaro, qui édite notamment Le Figaro, Le Figaro Magazine et Le Journal des Finances.

Quant à Martin Bouygues, il préside aux destinées du groupe de construction, d’immobilier et de travaux publics du même nom, dont l’activité l’amène à être partie à de nombreux marchés publics de l’État et des collectivités locales, et qui est aussi actionnaire principal du groupe TF1, comprenant TF1, Eurosport, LCI, etc.

Enfin, Vincent Bolloré, patron du conglomérat du même nom, a récemment développé une activité dans les médias avec la chaîne Direct 8, les quotidiens gratuits Direct Soir et Matin Plus, la Société française de production, achetée à l’État à des conditions particulièrement avantageuses voilà quelques années, et dont une partie significative de l’activité est assurée par des commandes des antennes du groupe France Télévisions.

Il faut aussi noter que deux autres groupes industriels, qui n’ont pas, eux, de relations économiques avec la puissance publique, sont présents dans les médias : LVMH, dirigé par Bernard Arnault, est désormais propriétaire des Échos au terme d’une longue bataille avec la rédaction du quotidien économique qui a, pour la première fois de son histoire, connu une grève, notamment à cause de l’intervention directe du Président de la République dans le dossier. Enfin, le groupe Pinault est propriétaire du Point.

Cette concentration de l’essentiel des titres de la presse d’information et d’importantes stations de radio et chaînes de télévision aux mains de puissants groupes industriels et de services, dont les patrons sont quasiment tous réputés « proches » du Président de la République, et dont la plupart tirent une part significative de leurs activités et de leurs revenus de commandes publiques, est à la fois inquiétante et unique au monde.

Il faut ici citer Montesquieu : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. »

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