Intervention de David Assouline

Réunion du 17 novembre 2009 à 14h30
Concentration dans le secteur des médias — Rejet d'une proposition de loi

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Ainsi, au moment où le discours politique relève toujours plus de la publicité ou du storytelling et moins que jamais de l’échange d’arguments rationnels, il n’est malheureusement pas surprenant de voir se développer au sommet de l’État des comportements confinant à la confusion la plus indécente des rôles et des genres.

Il suffira de rappeler l’intervention directe d’un ministre de l’intérieur, alors numéro deux du Gouvernement, auprès d’un de ses amis industriels afin que soit congédié le responsable de la rédaction d’un magazine appartenant au groupe de presse dudit ami. Il se trouve que l’hebdomadaire en question tire « seulement » à 700 000 exemplaires chaque semaine, et que la révocation de son directeur en juin 2006 avait pour seule cause la publication en « une », quelques mois auparavant, d’une photo qui ne plaisait pas.

Il n’est, par ailleurs, pas inutile de revenir sur les curieuses pratiques d’un de nos collègues, sénateur de l’Essonne et avionneur bien connu, mais aussi actionnaire, par le biais de son groupe familial, de la société éditrice du Figaro, après l’avoir été d’autres titres comme L’Express. Le directeur de ce magazine eut ainsi la désagréable surprise d’entendre Serge Dassault en personne lui demander de ne pas publier, en février 2006, les désormais célèbres caricatures du prophète Mahomet, et ce afin de ne pas mettre en difficulté ses activités commerciales au Moyen-Orient. Il est vrai que l’impétrant en journalisme ne cache pas la conception très arrêtée qu’il a de cette activité, comme lorsqu’il expliqua que les journaux devaient diffuser des « idées saines », car « nous sommes en train de crever à cause des idées de gauche ».

Il est certain que M. Dassault ou M. Bouygues ne prennent pas ce risque quand Le Figaro et LCI rendent publics les sondages commandés par la Présidence de la République à la société de M. Buisson, pour des montants astronomiques à la charge du contribuable.

De ce point de vue, les pressions qu’a subies le président de l’Assemblée nationale de la part des principaux ténors de son camp ces jours derniers pour que soit enterrée la simple idée que puisse être constituée une commission d’enquête à ce sujet sont purement scandaleuses et tout à fait significatives d’une conception des institutions et du pouvoir étrangère aux principes mêmes de notre démocratie.

Ces très mauvaises manières faites à la liberté et au pluralisme des médias dans notre pays ne sont pas qu’anecdotiques, ce dont nos concitoyens ont d’ailleurs parfaitement conscience. C’est ce qui explique leur méfiance, pour ne pas dire leur défiance, au demeurant fort injuste, à l’égard des journalistes, défiance que fait ressortir l’étude déjà citée de TNS-SOFRES : six Français sur dix estiment en effet que les journalistes ne sont indépendants ni des pressions du pouvoir politique ni de celles des puissances de l’argent, et cette proportion est en augmentation significative par rapport à l’année précédente.

Dans ce contexte préoccupant pour l’état et l’évolution à venir de notre débat démocratique, les parlementaires de gauche et avant tout républicains que nous sommes jugent indispensable que le législateur prenne ses responsabilités, d’autant que la Constitution lui fait spécifiquement obligation, grâce à l’adoption d’un amendement que j’avais défendu au nom des sénateurs socialistes, depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, de fixer « les règles concernant [...] la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ».

Comme nous venons d’en faire la démonstration, il n’y a pas qu’en Italie que ces règles sont publiquement bafouées ; c’est aussi le cas en France. Les médias sont ainsi devenus le terrain de jeu préféré du Président de la République.

Il est vrai que ce terrain n’est guère miné, avec la mise sous tutelle financière et politique du service public de l’audiovisuel par la loi organique du 5 mars 2009 relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France et la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

Quant au secteur privé de la radio et de la télévision, il est dominé par quelques groupes comme TF1 ou Europe 1, qui appartiennent à des conglomérats industriels dont les revenus dépendent significativement de la commande publique.

Enfin, les titres de presse le plus lus en France, ceux de la presse quotidienne régionale – les cinq quotidiens régionaux les plus diffusés vendent près de 2 millions de numéros par jour, alors que leurs cinq homologues de la presse nationale n’en vendent que 1, 3 million –, connaissent un mouvement de concentration inquiétant qui met en danger l’indépendance et le pluralisme des rédactions.

Même si cette question de la concentration n’est pas directement liée à cette proposition de loi, il nous faudra bien la traiter. Comment les rédactions peuvent-elles rester indépendantes quand on compte six titres dans telle ou telle localité ?

Face à des enjeux de pouvoir et à des intérêts économiques majeurs, il est donc au mieux naïf, au pis cynique d’estimer que les règles de « bonne gouvernance », de transparence et d’autorégulation qui ont été proposées par les états généraux de la presse suffiront à garantir l’effectivité des principes énoncés par les dispositions constitutionnelles et à convaincre l’opinion de reprendre confiance dans les médias d’information.

Dans un tout autre domaine, celui du système bancaire, même le Président de la République a jugé qu’il fallait des règles et de la régulation.

Qui serait donc prêt, dans cet hémicycle, à prendre le pari que des dispositifs d’autocontrôle suffiront à laisser, par exemple, la liberté à la rédaction du Figaro de critiquer les conditions faites, ici ou là, par le groupe Dassault à la vente d’avions Rafale ou aux reporters de TF1 d’enquêter sur les intérêts du groupe Bouygues dans telle ou telle opération de construction ?

L’audience de ces médias et leur influence potentielle sur la formation de l’opinion publique, notamment en période électorale, sont suffisamment établies pour que le législateur se préoccupe des conditions de leur contrôle économique.

De ce point de vue, notre proposition de loi vise à combler une carence évidente dans le système de régulation de la concentration des médias tel qu’il résulte de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, pour le secteur de la communication audiovisuelle, et de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.

Le dispositif que nous proposons consiste à proscrire la possibilité pour tout acteur privé entretenant des relations économiques significatives avec la puissance publique d’éditer, de manière directe ou indirecte, un service de radio ou de télévision ou un titre de presse d’information politique et générale.

M. le rapporteur aurait d’ailleurs pu au moins constater qu’un mécanisme de ce type avait déjà existé dans notre droit positif, certes limité au secteur de la presse, aux termes de la loi du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et a assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse. Mais il est peut-être difficile, mon cher collègue, de vous demander de rendre hommage à une loi de l’Union de la gauche que la droite a abrogée dès son retour aux affaires, en 1986.

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