Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, cher Jacques Legendre, monsieur le rapporteur, cher Michel Thiollière, monsieur le sénateur David Assouline, mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez tous la fable de La Fontaine l’Ours et l’Amateur des jardins. Un vieil homme solitaire se lie d’amitié avec un ours - ces choses-là sont possibles chez La Fontaine. L’animal, pour témoigner son amitié au vieillard, chasse les mouches de son visage pendant qu’il dort. Seulement, il y met tant de zèle qu’un jour il finit par lancer une pierre et « casse la tête à l’homme en écrasant la mouche ». C’est de cette fable qu’est tirée l’expression le « pavé de l’ours ».
La Fontaine, par cette fable, nous rappelle qu’il est des amis quelque peu maladroits, souvent d’ailleurs les plus démonstratifs, qui s’avèrent parfois plus dangereux que des adversaires. Aujourd'hui, je crois que les grands amis de la liberté de la presse lui préparent, en voulant bien faire, un vrai pavé de l’ours.
Sur les principes, nous sommes d’accord : la nécessité de sauvegarder le pluralisme des courants de pensée et d’opinion est clairement une des conditions de notre démocratie. C’est, en droit, un objectif de valeur constitutionnelle, comme le rappelle régulièrement le Conseil constitutionnel.
C’est pourquoi le législateur a défini, dans les lois relatives à la presse et à la liberté de communication, un ensemble de règles qui visent à limiter la concentration des médias et à en assurer l’indépendance. Ces règles sont d’ailleurs largement issues de décisions du Conseil constitutionnel, qui a guidé le législateur dans la détermination de normes pertinentes.
Or, comme si ces garanties n’étaient déjà pas savamment construites par nos plus hautes législations, David Assouline et le groupe socialiste nous proposent aujourd’hui de compléter ce dispositif. Un désir d’amélioration toujours légitime, après tout…
Il conviendrait donc, selon vous, d’empêcher tout acteur privé qui entretient des relations économiques avec la puissance publique de bénéficier d’une nouvelle autorisation de diffusion par voie hertzienne terrestre ou d’acquérir une publication imprimée d’information politique et générale.
Je ne vous cache pas que je suis en total désaccord avec cette proposition. Je le suis pour des raisons techniques et économiques que je vais vous exposer, mais aussi et surtout, je dois le dire, pour des raisons éthiques.
Permettez-moi de vous expliquer pourquoi ce pavé dans la mare que vous croyez jeter au Gouvernement est, à mon sens, un « pavé de l’ours » à la presse et à la liberté d’expression.
Techniquement, votre proposition soulèverait d’importantes difficultés liées en particulier à la collecte de l’information, qui nécessiterait des investigations approfondies. Pour l’audiovisuel, cela impliquerait un alourdissement de la tâche du Conseil supérieur de l’audiovisuel, au détriment de ses autres missions. Pour le secteur de la presse, lequel n’est pas doté d’une instance de régulation similaire, qui devrait se charger de ces lourdes recherches ? Votre proposition de loi est muette à ce sujet.
En outre, il ne faut pas occulter les difficultés liées au contrôle du respect du dispositif. Pour l’audiovisuel, il appartiendrait au CSA d’y veiller ; mais, pour la presse, cela devrait-il relever du juge pénal ? La proposition de loi ne comporte, là non plus, aucune précision satisfaisante.
Je note que, s’agissant de la presse écrite, votre proposition ne concerne que la presse imprimée sur support papier, à l’exclusion de la presse sur support numérique, aujourd’hui pourtant en pleine expansion.
Mais ces obstacles techniques ne sont peut-être pas essentiels, et votre grande amitié pour la presse trouverait sans doute tous les moyens de les lever. L’essentiel, c’est que votre proposition soulève, à mes yeux, plusieurs difficultés d’ordre économique, éthique et politique.
Je ne partage pas votre idée selon laquelle les liens financiers entre un actionnaire et une collectivité publique porteraient atteinte, en eux-mêmes, à l’indépendance d’un média. On ne saurait considérer, par exemple, que les télévisions locales, qui sont nombreuses à bénéficier de financements publics pour compenser leur sujétion particulière de service public, soient dépendantes des collectivités.
La procédure actuelle, traditionnelle, a fait ses preuves. C’est au Conseil supérieur de l’audiovisuel qu’il appartient d’adopter les garanties qui s’imposent dans le cadre des conventions qu’il conclut avec ces chaînes.
D’ailleurs, à supposer que votre approche soit la bonne, pourquoi refuser à une télévision ce que vous admettriez en radio avec les aides du fonds de soutien à l’expression radiophonique locale, …