Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 17 novembre 2009 à 14h30
Concentration dans le secteur des médias — Rejet d'une proposition de loi

Frédéric Mitterrand, ministre :

Sans préjuger de vos intentions, il me semble que votre pavé n’arrivera pas jusqu’aux destinataires souhaités.

Soyons réalistes, qu’on le veuille ou non, les grandes entreprises vivent nécessairement pour partie de commandes publiques. Faut-il pour autant leur faire une sorte de procès en sorcellerie ? Elles doivent obéir à des règles de transparence et de libre concurrence qui sauvegardent l’équilibre général.

Dans cette affaire comme dans toutes, que ce soit la loi HADOPI ou l’affaire Google-BNF, notre maître mot est encore et toujours la régulation, c’est-à-dire une manière respectueuse et efficace d’être vraiment à l’écoute de la société et de son dynamisme économique et culturel, comme l’a d’ailleurs rappelé le rapporteur, Michel Thiollière.

De fait, les outils de régulation propres à chaque type de média permettent de veiller au respect de leur indépendance. En vertu de l’article 19 de la loi du 30 septembre 1986, le CSA dispose de pouvoirs d’enquêtes étendus aux actionnaires des diffuseurs pour « toutes les informations sur les marchés publics et délégations de service public pour l’attribution desquels cette personne ou une société qu’elle contrôle ont présenté une offre au cours des vingt-quatre derniers mois ».

La loi fait obligation au CSA de tenir compte, dans les autorisations qu’il délivre, des dispositions envisagées par le candidat en vue de garantir le caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, l’honnêteté de l’information et son indépendance à l’égard des intérêts économiques des actionnaires, en particulier lorsque ceux-ci sont titulaires de marchés publics ou de délégations de service public.

Dans les conventions qu’il conclut avec les chaînes, le CSA doit ensuite prendre toutes dispositions pour garantir l’indépendance des éditeurs à l’égard des intérêts économiques des actionnaires, en particulier lorsque ceux-ci sont titulaires de marchés publics ou de délégations de service public. Cela vaut d’ailleurs également pour les chaînes du câble et du satellite.

En matière de presse, la loi du 1er août 1986 soumet les entreprises éditrices à des règles de transparence, notamment en ce qui concerne leur actionnariat. Ces règles doivent être prochainement renforcées, conformément aux orientations arrêtées par le Président de la République à l’issue des états généraux de la presse écrite.

Enfin, la plupart des entreprises de presse disposent de chartes internes dites « de déontologie » qui garantissent l’indépendance des rédactions à l’égard des actionnaires. Les travaux du comité des sages dirigé par Bruno Frappat ont d’ailleurs abouti, le 27 octobre dernier, à l’élaboration d’un projet de code de déontologie des journalistes. Ce texte, attendu, rappelle notamment que l’indépendance du journaliste est la condition essentielle d’une information libre, honnête et pluraliste. Les partenaires sociaux du secteur doivent maintenant se saisir de ce projet de code et lui réserver les suites appropriées.

Dans un contexte technologique et économique particulièrement difficile et instable, les entreprises du secteur des médias doivent pouvoir s’appuyer sur des actionnaires solides, bénéficier de la plus grande souplesse et d’une totale sécurité juridique dans leurs opérations capitalistiques.

La France a besoin d’entreprises de médias économiquement fortes si nous voulons qu’elle puisse peser sur un marché mondial très ouvert, très concurrentiel et largement dominé par des acteurs anglo-saxons.

Les groupes français de l’audiovisuel ou de la presse sont nettement sous-dimensionnés face aux géants News Corporation, NBC Universal – qui est en train de fusionner avec le premier opérateur du câble américain, Comcast –, Time Warner et, bien entendu, Google. Nos entreprises doivent être confortées sur le marché national pour pouvoir conquérir des positions ailleurs, en Europe et dans le reste du monde. Car s’il est vrai que l’on a toujours besoin d’un plus petit que soi, nous savons aussi que, malheureusement, la raison du plus fort est souvent la meilleure.

Avec des mesures aussi contraignantes que celles que vous nous proposez aujourd’hui, nous n’avons qu’une seule assurance, c’est qu’aucune entreprise française de médias ne pourra plus financer son développement grâce aux fonds investis par les actionnaires industriels. Le résultat ne fait aucun doute : elles s’en trouveront marginalisées au niveau mondial.

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