Je ne pense pas que l’arsenal législatif actuel soit suffisant pour réguler le secteur des médias et garantir leur pluralisme et leur indépendance. Je pense au contraire que la loi a même fâcheusement régressé, comme en atteste par exemple le fait que les présidents de France Télévisions, de Radio France et de l’audiovisuel extérieur soient désormais nommés et révoqués par le Président de la République.
Les chaînes privées, c’est un fait, sont dirigées par les amis du Président de la République, et la télévision et la radio publiques le seront dorénavant par des responsables qu’il a lui-même choisis !
Nos concitoyens ne veulent pas que le service public, qui est un bien commun, soit subordonné au pouvoir en place, quel qu’il soit. Il ne faut pas confondre télévision publique et télévision d’État. Après avoir instauré la nomination et la révocation des responsables de France Télévisions, de Radio France et de l’audiovisuel extérieur par le Président de la République, pour faire bonne mesure, on met en place une vassalité financière en remplaçant la ressource publicitaire par des crédits budgétaires aléatoires.
Le Gouvernement ne respecte même pas la parole donnée puisque les 450 millions d’euros promis pour compenser la suppression de la publicité après vingt heures, pourtant gravés dans le marbre de la loi, se réduisent finalement à 415 millions d’euros !
Alors que le sous-financement de France Télévisions est chronique depuis des années, que la Cour des comptes s’inquiète à juste titre de la fragilisation du groupe public, cette mise sous tutelle économique, politique et éditoriale ne constitue-t-elle pas les prémices d’une réduction de son périmètre et d’une future privatisation de l’une de ses antennes ? On peut légitimement se poser la question.
Les médias, dans leur diversité, sont des outils extrêmement prégnants dans la vie quotidienne et intellectuelle de notre pays.
On nous dit que nous n’aurions rien à redouter de Bouygues, de Lagardère, de Bolloré, de Dassault, qui sont de petits groupes à l’échelon européen et des fourmis à l’échelle planétaire. Certes, nous assistons à la montée en puissance de groupes de télécommunication de plus en plus puissants et, avec Google, à l’avènement d’un nouveau monopole extravagant. Ce n’est pas une raison pour accepter la connivence malsaine entre ces groupes et les pouvoirs publics.
Tout citoyen éclairé ne peut tolérer l’uniformisation et l’aseptisation de l’information, lesquelles deviennent inévitables dès lors que les médias appartiennent à une poignée de groupes qui dictent ce que l’on peut dire et montrer et incitent insidieusement à l’autocensure afin de ne pas rendre la censure trop visible. Un devoir de réserve permanent en quelque sorte !
Cela dit, il est vrai que les recettes publicitaires, qui constituent un apport déterminant pour l’équilibre financier des médias, sont aujourd’hui vampirisées par internet et par les moteurs de recherche, en particulier Google news, site d’information sans journalistes qui puise gratuitement dans 5 000 sites d’information et qui ne partage que très marginalement ses gains, pourtant phénoménaux, avec les éditeurs de journaux qui lui fournissent les contenus.
En ce qui concerne Google, on peut vraiment parler de nouveau monopole et d’abus de position dominante tout à fait condamnable. Nous en avons débattu hier de façon passionnée et passionnante. D’où l’importance de légiférer tant à l’échelon national qu’à l’échelon européen afin d’assurer l’existence de médias pluriels et indépendants capables de produire une information fiable. Celle-ci ne saurait être qu’un simple copier-coller n’ayant fait l’objet d’aucune vérification et ne respectant pas les droits d’auteur.
Nous devons nous emparer résolument de ces enjeux et en faire une véritable priorité politique. Il y va de la bonne santé de la démocratie, du pluralisme des pensées et des opinions, ainsi que de la liberté d’expression et de diffusion.
Je saisis cette occasion pour saluer le dynamisme de nombre de radios associatives, aujourd’hui mises en danger par le passage au numérique, dont les coûts de diffusion sont prohibitifs Or le Gouvernement n’a rien prévu pour les aider financièrement. Le virage numérique risque de leur être fatal et ne peut que conduire à un terrible retour en arrière.
On le constate, la concentration des médias ne fait que se renforcer au détriment des petites entreprises indépendantes, qui n’ont guère les moyens d’investir pour leur indispensable modernisation. C’est particulièrement le cas pour la presse d’information à faibles ressources publicitaires et pour la presse quotidienne et hebdomadaire d’information régionale. On assiste à l’émergence de nouveaux empires et à une vague de fusions-acquisitions contraire à la diversité des titres de presse, qui disparaissent les uns après les autres, faisant reculer dangereusement le pluralisme.
Comment ne pas évoquer, enfin, la situation de l’Agence France-Presse ? Son statut, qui relève du Parlement, lui assure une véritable indépendance, ainsi qu’une solide crédibilité, et constitue une réelle garantie pour que l’Agence échappe en toutes circonstances au contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique. Ce statut lui a permis de devenir la troisième agence de presse mondiale.
Or, sous prétexte de modernisation, la direction de l’entreprise et le Gouvernement tentent de réformer ce statut et d’ouvrir le capital de l’Agence.
On ne soulignera jamais assez à quel point l’existence et l’indépendance de l’AFP, seule agence mondiale non anglo-saxonne, sont d’une importance capitale dans le paysage médiatique planétaire. Alors que la maîtrise des sources d’information est de plus en plus stratégique dans notre société, quelle chance pour notre pays de bénéficier de ce remarquable fleuron et quelle valeur ajoutée pour l’ensemble de nos médias, alors que l’information certifiée, précise, rapide et fiable devient une valeur rare ! Si le statut de l’AFP n’existait pas, il faudrait l’inventer !
Monsieur le ministre, le règne de l’argent ne fait pas bon ménage avec la liberté et le pluralisme des médias. Nous ne pouvons assister sans réagir à la prolifération d’un modèle d’information à bas coût, qui condamne le journalisme d’investigation. Pas un jour ne passe sans que de nouveaux licenciements de journalistes soient annoncés. Les journalistes et les photographes, qui sont de plus en plus précarisés, deviennent de simples variables d’ajustement, comme en témoigne l’ampleur des licenciements. La qualité de l’information et l’indépendance éditoriale sont en danger !
Au-delà de principes déontologiques exigeants, auxquels les professionnels adhèrent avec conviction, les journalistes doivent bénéficier de garanties renforcées, afin d’exercer leur métier en toute liberté. Il devient urgent que la loi consacre enfin l’indépendance des rédactions face aux pressions des groupes industriels, tout comme il est urgent de se conformer enfin à la loi et à la justice européennes, afin d’assurer la protection des sources des journalistes.
Parallèlement, il est important de former des citoyens éclairés et vigilants. Alors que la culture de l’écran, où se côtoient le pire et le meilleur, se développe chez les jeunes, l’éducation à l’image et l’appréhension critique de l’information doivent devenir une des priorités de l’éducation nationale. Hélas, nous en sommes loin ! C’est d’autant plus regrettable, que nous baignons dans une forme de présent perpétuel, qui pousse à l’amnésie généralisée, en flattant l’ignorance et la déculturation.
Je dois dire, monsieur le ministre, que le vif succès des abonnements gratuits à la presse quotidienne dans la campagne que vous menez démontre que l’imprimé n’est pas un « vieux média pour vieux » et qu’il n’y a pas de fatalité. De ce point de vue, je suis d'accord avec Umberto Eco, invité d’honneur au Louvre, quand il déclare que la lecture quotidienne du journal est la « prière laïque de l’homme moderne ».
Les défis auxquels sont confrontés les médias sont bien l’affaire de toute la société et conditionnent son avenir. Nous soutenons donc cette proposition de loi, qui vise à promouvoir des médias pluriels, indépendants des forces politiques et économiques, bref des médias au service de l’intelligence collective et de l’émancipation humaine. Au moins, ce soir, nous en aurons discuté.