Intervention de Xavier Beulin

Commission des affaires économiques — Réunion du 22 septembre 2015 à 15h10
Audition de Mm. Xavier Beulin président de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles fnsea et thomas diemer président des jeunes agriculteurs ja

Xavier Beulin, président de la FNSEA :

Merci de votre invitation. Je rappellerai quelques indicateurs. Le secteur agricole et agroalimentaire, un des premiers secteurs économiques de production de notre pays, réalise un chiffre d'affaires de 240 milliards d'euros par an - production et transformation. Il représente 3,5 millions d'emplois directs et indirects rapprochés, d'après des données consolidées de l'Insee et des organismes sociaux (MSA, Urssaf...), au sein de la production agricole et forestière, l'agrofourniture, l'agroalimentaire et les services directement rattachés. Ce secteur structure aussi nos territoires. Pensez aux débats sur la régionalisation, la loi Notre, l'évolution des structures institutionnelles, qui doivent donner aux territoires ruraux la possibilité de créer de la valeur et de fournir de l'emploi et des perspectives aux jeunes. Dernier indicateur plus subjectif, nous revendiquons une grande diversité agricole et alimentaire, à la différence de nos voisins. Celle-ci a des avantages, comme la richesse alimentaire, la gastronomie, le tourisme... Osons crier cocorico ! Elle est aussi un handicap, notamment dans la restauration hors domicile (cantines scolaires, hospitalières...) ou commerciale à domicile. Nous sommes souvent disqualifiés dans les appels d'offres, en raison de nos coûts de revient élevés, du fait de cette diversité : il serait moins cher d'avoir de grandes productions massifiées ! Nos linéaires de supermarché sont plus longs et plus segmentés que ceux de nos voisins...

Les faibles prix ont déclenché en juin dernier un certain nombre de mouvements. Nous n'en tirons aucune gloire, mais c'est la première fois que nous avons autant de manifestations, cinq cents en deux mois. L'embargo russe dure depuis un an pour les fruits et légumes, le lait et la viande ; un embargo sanitaire a en outre été décrété en février 2014 à la suite d'un cas de peste porcine africaine en Lituanie, qui n'était qu'un prétexte. Nous ne désespérons pas que le marché se rouvre, sous réserve que l'Union européenne accepte d'en exclure les pays frontaliers de la Lituanie. Cela bénéficierait à l'Espagne, à la France et au Danemark mais pas à l'Allemagne, laquelle pourrait néanmoins accepter la réouverture partielle, puisque le marché serait ainsi allégé de 250 à 300 000 tonnes de viande de porc en 2016, avec un effet bénéfique sur les cours. Jean Bizet et moi avons demandé au Quai d'Orsay l'autorisation de nous rendre à Moscou, et nous continuons d'échanger avec l'ambassadeur Orlov.

Nous demandons à la Commission européenne d'être plus allante et de relever le prix d'intervention sur le lait - par l'aide au stockage de poudre de lait ou de beurre - qui s'élève actuellement à 220 euros la tonne. Les Français ne peuvent survivre à ce tarif ! La Commission affirme qu'un relèvement est impossible, mais c'est faux, il est possible tant juridiquement que financièrement. Ces dix dernières années, à chaque fois que l'Union européenne a stocké de la poudre de lait, elle l'a revendue avec une plus-value non négligeable, au bénéfice du budget : et à 220 euros la tonne, elle est sûre de gagner de l'argent dans un ou deux ans, même si à court terme, c'est une charge de trésorerie. J'ai insisté auprès de François Hollande pour qu'il sensibilise Jean-Claude Juncker et Phil Hogan. Accompagner le dégagement de marché des autres filières par quelques restitutions est également possible financièrement et juridiquement. Le dispositif existe encore dans le règlement européen : même s'il n'est pas doté, des fonds exceptionnels pourraient y être versés. Hélas, la Commission semble avoir comme leitmotiv le marché, rien que le marché, tout le marché. Les mots régulation, intervention et redistribution semblent bannis ! Peut-on laisser notre agriculture pénalisée par cet embargo dont elle n'est nullement responsable ?

Soyons factuels sur les relations contractuelles : la contractualisation existe depuis la loi de 2010, mais son usage n'est pas satisfaisant. Ma position n'est pas libérale mais simplement honnête : nous n'avons pas besoin du ministre pour négocier des contrats. Oublions les grandes tables-rondes où il déciderait des prix. Je crois plus à la définition par la loi du type de contrat et des indicateurs qui le fondent - marché mondial, marché européen et aussi d'autres indices tenant compte de la situation par entreprise ou par mix produit - par exemple entre le lait UHT, à haute valeur ajoutée, le fromage, l'export... En fonction des entreprises et des territoires, on définirait des indicateurs pertinents pour plus de transparence. On pourrait aussi envisager des contrats non pas de B to B entre producteur et transformateur ou transformateur et distributeur, mais intégrant l'ensemble des maillons de la filière, de la production à la grande distribution - y compris la restauration hors domicile. Cela suppose des indicateurs transparents et d'accepter la possibilité ouverte par la loi de 2010 et renforcée par la loi Hamon de pouvoir sur une même année réviser certaines clauses du contrat pour s'adapter à la situation - la volatilité peut impliquer des pertes de 30 à 40% au cours d'un même exercice. Cela doit fonctionner évidemment dans les deux sens, en cas d'explosion du prix des matières premières mais aussi à la baisse. Bâtissons ensemble ces mesures.

Beaucoup ont critiqué les engagements du Premier Ministre du 3 septembre dernier. Nous attendions deux dispositifs complémentaires : à court terme et structurel. L'année blanche ne fait pas l'unanimité auprès des banquiers : nous demandions une solution financière et un accompagnement pour tout éleveur - une fois sa situation analysée - ainsi que la création de cellules départementales d'urgence (CDU) analysant chaque dossier et proposant en urgence à chaque éleveur la restauration de son annuité de trésorerie 2015 avec une prise en charge des frais financiers par les pouvoirs publics et éventuellement une reconsidération financière, soit par un report en fin de tableau, pour donner de l'oxygène à court terme, soit par une restructuration financière et une renégociation de son tableau d'amortissement - préférable lors que les taux d'intérêt sont à 5 ou 6%.

À long terme, les mesures structurelles doivent-elles être prises par voie réglementaire ou volontaire ? L'étiquetage de l'origine des produits, fondamental, est demandé par les consommateurs, prêts à payer plus cher voire à acheter patriote dès lors qu'ils sont bien informés sur la provenance. Notre but n'est pas de le rendre coercitif mais de donner ces informations pour l'acte d'achat. Le Premier ministre pourrait signer un décret pour rendre cet étiquetage obligatoire, mais il serait contraire aux règles communautaires - hormis pour la viande bovine fraîche, à la suite de la crise de la vache folle (il est exclu pour toutes les autres espèces et les plats préparés). Si on ne réussit pas à faire appliquer cet étiquetage volontaire aux industriels, aux coopératives et à la distribution, un décret pourrait cependant faire bouger les lignes : ainsi, le logo Viande bovine française (VBF), à l'origine décision administrative française, a été étendu à tous les autres pays de l'Union européenne ; la mention « collecté et transformé en France » est légale - ainsi pour le lait produit, collecté et transformé en France et de « viande française » née, élevée et abattue en France - et est facultative. Le Président Larcher nous a assurés de son appui.

Fiscalité et volet social sont liés. Il faut améliorer les dispositifs de réserve, non pas pour défiscaliser mais pour autoriser un traitement fiscal interannuel de l'agriculture. Ainsi, le système laitier français est actuellement un peu décalé par rapport à ses voisins européens, et moins réactif : nous subissons moins les hausses ou les baisses de prix, mais ce déséquilibre interannuel nous met en porte-à-faux : en cas de hausse, l'agriculteur ne bénéficie pas du prix élevé, tandis qu'en cas de baisse, les industriels lui demandent de s'aligner sous peine d'acheter ailleurs. Le système contractuel et fiscal doit être adapté pour que l'agriculteur ne soit pas « plumé » l'année N+1 si son revenu est important à l'année N. De nombreux dossiers traités par la MSA ont une origine fiscale. Nous avons demandé un dispositif équivalent au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) - même si nous sommes conscients que les artisans, les commerçants ou les professions libérales pourraient demander la même chose. Nous sommes les seuls membres de la filière à ne pas bénéficier de ces 6 %. Cela interroge globalement sur le niveau des charges.

Soyons clairs, je n'ai jamais demandé 3 milliards d'euros à l'État pour soutenir l'investissement. Je maintiens en revanche que dans les trois prochaines années, nous aurons besoin de mobiliser 1 milliard d'euros par an pour remettre à niveau les exploitations. On importe 40% des poulets consommés en France - Bruno Retailleau le sait bien en Pays-de-la-Loire - et les bâtiments d'élevage avicole ont une moyenne d'âge de 25 ans, 30 ans en Bretagne : comment voulez-vous qu'ils soient performants ? Il faut remettre en cohérence les trois niveaux d'aide, communautaire, national et régional et je regrette qu'à aucun moment cette synergie n'ait été évoquée pour éviter l'atomisation des financements, alors que nous la réclamons depuis plus de trois ans. Cela n'empêche pas de prendre en compte des spécificités régionales : on ne produit pas du lait en Franche-Comté comme en Bretagne, et du poulet dans le Sud-Ouest comme dans les Pays-de-la-Loire. L'investissement public représente 10 à 15 % du total, avec un vrai effet levier, et il doit être mis en cohérence avec les besoins des filières. Un « Monsieur investissement » devrait être nommé par le Gouvernement. L'investissement est à 90% assumé par l'éleveur lui-même, qui investit pour 30 ans dans une salle de traite ou un bâtiment d'élevage. Mais les charges sont plus lourdes les dix à douze premières années : on asphyxie ainsi les récents investisseurs - les jeunes sont pénalisés dès la première crise ! Nous ne sommes pas pour un investissement massif par des capitaux extérieurs mais on ne peut tirer un trait sur cette possibilité. Nous avons échoué, dans la précédente loi agricole, à définir un statut de l'agriculteur, entre celui qui apporte les capitaux et le manageur. Pourquoi ne pas mobiliser une partie des 1 200 milliards d'euros de la Banque centrale européenne (BCE) pour soutenir la filière agricole et agroalimentaire française, et réaliser de la titrisation ?

Il faut réactiver une forme de régulation avec l'échelon européen dans son ensemble - Parlement, Commission et Conseil. Les crises ne sont pas seulement conjoncturelles mais récurrentes. Regardez la situation en Chine et au Brésil : on peut craindre une récession économique mondiale et une demande alimentaire décevante. Nous avons beaucoup d'incertitudes voire d'inquiétudes pour la fin de l'année 2015 et l'année 2016.

Cette crise, conjoncturelle, révèle aussi en France une crise structurelle. Osons le dire. On ne peut imputer ses causes à un seul Gouvernement ou à une majorité ; mais les bonnes décisions doivent être prises. Il y a certes eu des engagements, mais il reste à les mettre en oeuvre...

Je reviens sur quelques exemples de charges. Le délai d'instruction d'un projet de méthanisation à la ferme est de quatre à cinq ans en France, beaucoup plus qu'ailleurs. Sans revenir sur la ferme des mille vaches, posons-nous la question des structures sociales agricoles. Nous sommes favorables à une agriculture de taille moyenne, familiale. Mais la structure sociale est une chose, l'efficacité économique en est une autre. Actuellement, lorsque cinq éleveurs veulent s'associer pour construire une maternité collective ou un atelier d'engraissement, une vindicte populaire les en empêche - ils sont accusés d'être des agriculteurs industriels, de promouvoir la malbouffe... Soyons courageux ! Sans remettre en cause les structures sociales, voulons-nous mettre une croix sur 20% de la production porcine française ? Appliqué à toutes les productions agricoles, cela affecterait non seulement nos résultats à l'export mais aussi limiterait notre autosuffisance alimentaire. Voilà la pente sur laquelle nous sommes. Je refuse qu'on oppose l'agriculture conventionnelle et l'agriculture biologique, le marché intérieur et l'export. Oui à la diversité et à la segmentation des marchés, mais aussi à l'efficacité économique pour tous. Il faut affronter ces réalités.

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