Je me réjouis de cette audition, qui s'inscrit dans les échanges initiés le 16 juillet dernier par le Président du Sénat. Je reviens de l'assemblée générale d'une coopérative, les Maîtres laitiers du Cotentin, structure originale qui va très loin dans la distribution de ses produits puisqu'elle a créé une centaine de points de vente sur le territoire national.
Au-delà de la proposition de loi en cours de rédaction, et de la déclaration « d'affection profonde » du Gouvernement envers le monde agricole à la suite de la manifestation du 3 septembre, nous devons prendre conscience d'une chose : faire de l'agro-écologie, comme dans la loi d'avenir, c'est bien ; mais faire une agriculture compétitive, c'est mieux ! J'espère que le Gouvernement comprendra que perdre trois ou quatre places dans le classement des parts de marché de l'agro-alimentaire, pour un pays comme la France, n'est pas admissible. Il faudrait dire clairement à nos concitoyens que la qualité de l'alimentation a un prix. J'ai été un peu surpris - mais pas tant que cela, à vrai dire - par les décisions de la Commission européenne, qui a confirmé son orientation très libérale. La politique d'intervention est réduite à sa plus simple expression : seule la réserve de crise de 400 millions d'euros est mobilisable. Le message venu d'Europe du Nord est clair, et nous ne pouvons plus compter sur le partenariat allemand. Si le traité transatlantique de commerce et d'investissement est signé, la PAC se fera à front renversé par rapport au farmer américain et à sa posture de producteur qui, grâce à l'assurance, respectera toujours son business plan, bien loin de notre politique redistributive.
J'ai vu le conseiller de l'ambassade chargé de l'agriculture : les Allemands ne supportent pas que l'on parle d'assurance - nous parlerons donc de « garantie de revenu ». J'avais imaginé de proposer la révision de la PAC dès 2016-2017, mais la réforme n'a été que budgétaire. L'Europe du Nord n'attend que l'ouverture de cette boîte de Pandore pour récupérer le budget de la PAC - 38 % de celui de l'Union pour plus de 400 milliards d'euros. La Grande-Bretagne souhaite quitter l'Union - Fabienne Keller nous fera un rapport à ce sujet - et nous pouvons craindre que pour la garder, France et Allemagne n'acceptent ses revendications, dont le démantèlement de la PAC... Nous devrions donc utiliser la piste du glissement du premier vers le deuxième pilier, voire aller au-delà des 3 % après 2017, et amorcer une décision franco-française pour créer une garantie des revenus : l'expérience française pourrait ensuite se généraliser.
Nous devons agir aussi sur les préretraites et les restructurations. Des agriculteurs à quelques années de la retraite ne sont plus dans le coup, si l'on peut dire : il faut les accompagner humainement vers la sortie. Cela peut être aussi le cas de jeunes qui ont décroché. Entre les meilleurs et les moins bons, il y a une différence de 100 euros à la tonne. La coopérative que je viens de quitter serait tout à fait prête, comme Sofiproteol il y a trente ans, à prélever par exemple un centième de centime par litre de lait à parité avec des fonds publics, afin de créer une force de frappe pour les restructurations. Tout cela est hors proposition de loi. Pour reprendre le rapport de Michel Raison et Claude Haut, sans politique volontariste, nous n'y arriverons pas. Autant accompagner la restructuration par la régionalisation actuellement en marche. Les Allemands, avec 25 milliards d'euros, nous ont dépassés à 24 milliards, même si nous avons plus de valeur ajoutée. Cela risque d'aller très vite dans les années qui viennent.