Intervention de Laurence Loeffel

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 9 avril 2015 à 9h05
Audition de Mme Laurence Loeffel inspectrice générale de l'éducation nationale professeure des universités membre de l'observatoire de la laïcité co-auteur du rapport « morale laïque — Pour un enseignement laïque de la morale » avril 2013

Laurence Loeffel, inspectrice générale de l'éducation nationale :

Je récuse l'opposition entre éducation et instruction. C'est une approche dont je constate la persistance, mais qui ne donne pas, à mon sens, les instruments intellectuels propres à penser les difficultés de l'école. Cette opposition s'est, au fil du temps, idéologisée, ce qui ne me semble pas le meilleur moyen de penser de manière objective les problèmes de l'école. Au demeurant, le clivage entre instruction et éducation est un faux clivage : l'école a toujours eu pour mission d'éduquer. Voyez l'école primaire de la IIIème République : tous les enseignements, y compris scientifiques, ont été construits comme des enseignements dont la finalité élective était une éducation aux valeurs de la raison, de la rationalité, du progrès. Cette charge éducative, puissante dans le primaire, se traduisait, pour le second degré, dans la culture humaniste, dont la finalité élective était l'éducation aux humanités. Il s'agissait bien, au travers de la pratique du latin et du grec et la fréquentation des auteurs anciens, de former la personne et d'éduquer le citoyen.

La dégradation du climat scolaire ? Elle est notable - mais j'avoue que j'ai quelque réticence à retenir ce mot de dégradation, qui supposerait d'en fournir la mesure, ce dont je n'ai pas les moyens, d'autant que j'estime que l'approche quantitative n'a, en l'espèce, pas de sens. Qu'un enseignant, fût-il seul dans son cas, puisse se sentir empêché dans sa mission n'est pas acceptable si l'on garde à l'esprit la promesse de l'école républicaine. Et il en est qui sont dans ce cas, je puis en témoigner pour en avoir rencontré.

Il est des facteurs qui aggravent le problème, comme le phénomène de la ghettoïsation, qui veut que de mêmes catégories de population soient scolarisées dans les mêmes lieux, dans les mêmes établissements. À ce que l'on appelle l'absence de mixité sociale, l'école ne peut rien ; l'école ne peut pas tout faire.

Que la laïcité soit perçue comme liberticide par certains adolescents n'a rien pour étonner. Quand la loi n'est pas accompagnée de pédagogie, elle est nécessairement perçue sous le seul angle de la contrainte qu'elle impose - donc la restriction de liberté - pour permettre la coexistence des individus. Ce n'est que par la pédagogie que l'on peut faire entendre que la loi ne se contente pas d'interdire, mais qu'elle protège aussi, qu'elle autorise, qu'elle permet. Les conseillers principaux d'éducation ont, en la matière, un rôle important à jouer. Les enseignants ont pour mission première d'enseigner leur discipline ; même ceux d'histoire-géographie ne sont pas nécessairement formés à cette pédagogie.

Quel visage peut prendre une pédagogie de la laïcité ? Il faut l'inscrire, à mon sens, dans le cadre plus général d'une pédagogie des valeurs. Elle doit entrer en cohérence avec les autres valeurs républicaines et démocratiques, qui sont celles de la France. La laïcité prendra plus de sens pour les élèves, voire pour les enseignants, si elle est ainsi considérée, dans son lien intrinsèque avec les valeurs qui sont les nôtres.

Le futur programme d'enseignement moral et civique est-il satisfaisant ? Doit-il être accompagné d'autres mesures ? Ce programme n'a pas d'autre ambition que de donner des objectifs et des contenus. Il cherche à favoriser, comme nous le préconisions dans notre rapport, une appropriation active des valeurs et des normes qui fondent la citoyenneté républicaine et, plus largement, démocratique. Il fait de la laïcité une condition de l'exercice du jugement critique. C'est un aspect qui me tient à coeur et dont on ne parle pas suffisamment. La laïcité n'est pas un pur cadre juridico-institutionnel, mais engage des valeurs : exercice du doute méthodique, liberté de pensée, recherche de la vérité, objectivité. Ces valeurs intellectuelles et morales font le fond du projet d'éducation morale et civique, qui ne vise pas à endoctriner, mais à former un jugement critique et éclairé, pour une adhésion éclairée aux valeurs de la démocratie. Si les valeurs restent considérées comme des abstractions, la transmission ne fonctionne pas, ainsi que vous l'avez relevé, monsieur le rapporteur. Elles semblent aux élèves abstraites et froides, c'est aussi comme ça que les perçoit toute une frange d'enseignants. Or une dimension affective est attachée aux valeurs : elles inspirent l'action, poussent à agir dans un sens plutôt que dans un autre.

Le problème de la formation des enseignants est le point noir de l'éducation du citoyen en milieu scolaire, quels que soient les programmes. Sans une formation conséquente en nombre d'heures et dotée d'outils adéquats, sans volonté des autorités politiques et pédagogiques, les enseignants n'enseigneront pas plus ce programme qu'ils n'ont enseigné l'instruction civique et morale telle qu'elle figurait dans le programme de 2008.

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