Intervention de Philippe Watrelot

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 9 avril 2015 à 9h05
Audition de M. Philippe Watrelot président du cercle de recherche et d'action pédagogique crap — Cahiers pédagogiques professeur de sciences économiques formateur en école supérieure du professorat et de l'éducation éspé

Philippe Watrelot, président du CRAP :

Loin de vivre hors de la réalité, j'enseigne dans un lycée difficile, et j'habite la banlieue où j'exerce : je ne suis pas de ceux qui tiennent un discours sur l'école, une fois rentrés chez eux, bien loin d'où ils enseignent. Si je relativise l'importance donnée par la presse aux événements récents, c'est en m'appuyant sur ce que je vis. Non, je ne suis pas dans le déni.

L'avantage d'un gros lycée comme le mien est sa mixité sociale. Nos élèves viennent de quinze collèges différents. Les effets de clivage communautaire y sont moins vifs qu'ailleurs. Cet établissement travaille depuis de nombreuses années sur le vivre ensemble, sans quoi nous n'aurions pas évité les tensions les plus vives.

Jean-Pierre Obin, dont je respecte le travail, nous alerte depuis dix ans sur les effets pervers du séparatisme social et géographique. L'une des réponses les plus pertinentes à long terme consiste à retravailler la carte scolaire afin de lutter contre les ferments de communautarisme. Au-delà des dimensions ethnique et religieuse persiste la division entre classes sociales, qui se reflète dans la dimension inégalitaire de l'école.

Les pédagogues ne sont pas des amuseurs qui oublient l'instruction. Ils la prennent bien plus au sérieux que leurs critiques, parce qu'ils se préoccupent d'un apprentissage qui soit durable et efficace. Il ne s'agit pas d'inviter les élèves à découvrir les savoirs par eux-mêmes, mais de faire en sorte que ceux-ci ne soient pas oubliés dès le lendemain de l'interrogation. Un apprentissage durable suppose une appropriation active. Le par-coeur n'est qu'un dispositif parmi d'autres, seule la diversité des méthodes peut répondre à la diversité des élèves.

Professeur de sciences économiques et sociales, je m'abstiendrai de toute préconisation sur l'enseignement des religions et le développement d'un récit national. La laïcité bien comprise passe par la connaissance des différences et l'apprentissage de la tolérance dans l'espace préservé de l'école. Les dérives récentes ont été provoquées par des prises de positions ressenties autour de moi comme intolérantes.

Le sociologue Pierre Merle a parlé, dans l'un de ses derniers ouvrages, de démocratisation ségrégative de l'école. Si nous sommes passés, en une trentaine d'années, de moins de 30 % à 67 % d'une classe d'âge au baccalauréat, cela s'est fait par un processus de massification plutôt que de démocratisation : cette croissance est le résultat du développement des baccalauréats techniques et professionnels, tandis que l'accès aux baccalauréats généraux reste limité à 30 % des élèves. Les écarts entre catégories socio-professionnelles se sont accrus, l'ascenseur social ayant cessé de fonctionner depuis vingt ans. C'est bien ce que fait apparaître le rapport PISA.

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