À la demande de votre commission, en application de l'article 58-2 de la LOLF, nous avons examiné cette question, en y associant la cinquième chambre pour les affaires de logement, la troisième chambre pour les aides aux étudiants et la sixième chambre pour les caisses d'allocations familiales.
Les aides personnelles au logement concernent plus de six millions de ménages pour un coût de 18 milliards d'euros, soit moitié plus que les allocations familiales et deux fois plus que le RSA socle. Cette dépense a progressé de 10 % en euros constants au cours des dix dernières années, soit un rythme supérieur de 0,4 point à la progression du PIB en volume.
Notre pays occupe le deuxième rang derrière le Royaume-Uni au sein de l'OCDE, pour la part que ces aides occupent dans le PIB, et le premier pour le nombre de foyers qui en bénéficient (22 % des ménages ; quatre locataires sur dix). Les locataires représentent 95 % des bénéficiaires et la moitié de ces derniers réside dans le parc social.
Notre enquête avait pour objectif non pas d'énumérer une liste d'économies mais d'engager plus généralement une réflexion d'ensemble sur d'éventuelles réformes du dispositif. Elle a donné lieu à une enquête approfondie dans le réseau des CAF, à des analyses élaborées avec des économistes spécialisés dans les questions de logement et à des études économétriques réalisées par une équipe de l'Institut des politiques publiques (IPP) de l'École d'économie de Paris. Enfin, une mission a été envoyée en Grande-Bretagne afin de disposer d'informations précises sur la réforme en cours des prestations sociales qui intègre les aides personnelles au logement.
Pour vous présenter les conclusions de cette enquête, je suis accompagné de Philippe Hayez, président de section, et des différents rapporteurs, Mmes Claire Gasançon-Bousselin et Virginie Lobbedey, MM. Eric Parpaillon et Philippe Baccou ainsi que M. Christian de Lavernée.
Premier constat : les aides personnelles au logement suscitent des interrogations quant à leurs objectifs. S'agit-il de prestations affectées au logement ou de prestations de soutien au revenu ? Cette dernière piste est intéressante, puisque les aides personnelles au logement sont remarquablement concentrées sur les trois premiers déciles de la répartition des revenus (75 % des allocataires). Nous avons constaté une superposition d'objectifs : lutte contre la crise du logement, thème qui prévalait lors de l'instauration de l'allocation de logement familiale (ALF), amélioration des logements, accession à la propriété, soutien au taux d'effort des ménages. Le programme 109 qui assure le financement budgétaire des aides personnelles au logement indique que l'objectif est d'aider les ménages les plus modestes à accéder au logement et à s'y maintenir.
Deuxième constat : l'efficacité de ces prestations sociales est certaine mais semble avoir atteint un plafond. Les aides personnelles au logement bénéficient majoritairement à des locataires dont les ressources sont inférieures au seuil de pauvreté. Elles sont particulièrement redistributives puisque 76 % des ménages du premier décile de la distribution des revenus en bénéficient alors que seuls 43 % des ménages de ce décile perçoivent des prestations familiales et 56 % un minimum social.
Les aides personnelles au logement ont pour principal objectif de diminuer le taux d'effort consenti par les ménages. Le taux d'effort brut des ménages, c'est-à-dire avant perception des aides personnelles au logement, est loin d'être le plus élevé en Europe : il atteint 24 % dans le parc privé et 18 % dans le parc social. Nous sommes à des niveaux comparables à ceux de l'Allemagne, de l'Italie, des Pays-Bas. Après prise en compte des aides personnelles au logement, le taux d'effort net est en revanche un des plus bas d'Europe, soit 20 % dans le parc privé et 11 % dans le parc social. Les aides personnelles au logement permettent bien de réduire significativement le taux d'effort des ménages. Il semble néanmoins qu'un effet de plafonnement soit observé ces dernières années car l'augmentation de leur montant n'a pas réduit sensiblement le taux d'effort net, du fait de l'effet de ciseau entre l'évolution du revenu des allocataires et celle de leur charge de logement. D'ailleurs, lors du projet de loi de finances pour 2015, le ministère du logement escomptait une simple stabilisation des taux d'effort nets.
Troisième constat : les aides personnelles au logement soulèvent de nombreux problèmes d'inégalité. Inégalité géographique, tout d'abord. Si une modulation par zonage prend en compte les différences de loyers, celui-ci ne réduit pas les écarts de taux d'effort entre zones. Le rapport montre que quelle que soit la zone, tendue ou non, les écarts entre les taux d'effort brut et net sont identiques, ce qui signifie que les aides personnelles au logement n'apportent pas plus d'aides dans les zones où les loyers sont plus élevés.
Inégalité aussi selon les catégories de bénéficiaires. Si les trois premiers déciles de revenus sont particulièrement ciblés, les classes moyennes les moins favorisées, soient en les déciles 4 et 5, ont été progressivement exclues du dispositif : un couple avec deux enfants ne bénéficie des aides personnelles au logement que si son revenu est inférieur à deux SMIC, alors qu'à l'origine, il les percevait avec un revenu équivalent à quatre SMIC.
Inégalité encore selon le mode d'habitation. Comme le barème est identique pour le parc social et le parc privé, et comme les loyers réels sont très différents, les locataires du parc social bénéficient d'un phénomène d'avantage comparatif, appelé parfois « avantage HLM ». Cet avantage est estimé à 260 euros par mois en moyenne. Cette inégalité est d'autant plus forte dès lors que le parc social ne peut accueillir tous les ménages à faible ou à très faible revenu.
Inégalité enfin à l'égard des étudiants : les 2,4 millions d'étudiants peuvent percevoir une aide versée sans conditions de ressources. En pratique, un tiers des étudiants bénéficient d'une aide au logement et les deux-tiers des bénéficiaires sont des non-boursiers. Certes incompatibles avec le versement aux parents des allocations familiales, ces aides ne les obligent pas pour autant à exclure l'enfant de la déclaration fiscale. Le montant total des aides au logement allouées aux étudiants s'élève à 1,5 milliard d'euros.
Quatrième constat : les aides personnelles au logement soulèvent une question de soutenabilité budgétaire. Empruntant des canaux de financement particulièrement complexes, ces dépenses ont particulièrement progressé ces dernières années. Comment à l'avenir garantir le financement de ces aides, qui dépend de la contribution des employeurs au titre de l'effort pour la construction ou des crédits budgétaires sur lesquels pèsent de fortes contraintes ?
Cinquième constat : les aides personnelles au logement sont très complexes pour les usagers. Cette prestation est instable, puisqu'elle dépend des changements de situation professionnelle et se traduit bien souvent par des montants erratiques versés chaque mois alors même que la dépense de logement est constante, d'où un phénomène considérable d'indus : les aides au logement représentent près de la moitié des indus identifiés par le contrôle interne des CAF. Les indus, qui représentent 10 % des aides personnelles au logement, pèsent sur les coûts de gestion qui représentent environ 600 millions d'euros, soit 3,5 % du total des aides personnelles au logement versé et un coût unitaire le plus élevé après le RSA.
Sixième constat : les aides personnelles au logement créent un risque d'effet inflationniste. Diverses études économiques le démontrent, elles font l'objet d'une appropriation par les bailleurs en donnant lieu à une augmentation de loyer. Ces études économétriques sont néanmoins contestées par certains spécialistes qui estiment que l'augmentation des loyers intègre un facteur « qualité des logements ». Même si ces études mériteraient d'être approfondies, il y a une présomption économétrique très forte du caractère inflationniste des aides personnelles au logement, notamment dans les zones tendues et pour le logement étudiant.
Dernier constat : si les aides personnelles au logement ont un impact sur la demande de logement, il est beaucoup plus difficile d'identifier leur effet sur l'offre.
Compte tenu de ces constats, la Cour des comptes a analysé les pistes de réformes en fonction de divers critères - impact sur les finances publiques, complexité, coût de gestion, risque d'effets inflationnistes, risque d'effets négatifs sur d'autres politiques publiques, impact social. Trois orientations principales ont été dégagées : simplification du système, accroissement de son équité, réduction de son coût.
Pour ce qui est de la simplification du système, la Cour des comptes estime que certaines recommandations ne sont pas probantes. Ainsi en est-il de la fusion des trois aides qui constituent les aides personnelles au logement. Le gain serait incertain au regard de contraintes liées à l'unification du pilotage de ces aides. De même, les coûts de gestion augmenteraient en cas de déclaration périodique des revenus par les allocataires.
En revanche, des réformes techniques plus modestes peuvent être envisagées comme l'harmonisation des dates d'effet des aides personnelles au logement par rapport aux autres prestations sociales ou la simplification des mesures d'abattement et de neutralisation en cas de chômage. La Cour, qui souhaite une expertise de ces réformes techniques, a également estimé que figer le montant de l'aide pendant six mois, hypothèse assez régulièrement évoquée et qui semble faire consensus, diminuerait les coûts de gestion et le nombre d'indus.
Deuxième orientation : aller vers plus d'équité. En 2012, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) souhaitait que le taux d'effort soit le même pour les allocataires du secteur social et ceux du secteur privé. La Cour des comptes estime cette réforme difficile à mettre en oeuvre à coût constant car elle aboutirait à financer la hausse des aides au parc privé par la baisse des aides au secteur social. Sans compensation, le risque pour les finances publiques serait majeur et l'effet inflationniste ne serait pas négligeable du fait du risque de captation de l'aide supplémentaire par les bailleurs privés.
La MAP (Modernisation de l'action publique) avait proposé d'écrêter les taux d'effort. Le Haut Conseil de la famille avait envisagé un système de bonus pour les loyers supérieurs à 120 % du loyer plafond. Toutefois, ces deux propositions entraînent un risque pour les finances publiques. Un taux d'effort plafonné à 25 % coûterait 1,4 milliard d'euros.
La Cour des comptes considère que deux voies de réformes méritent attention : le régime d'aide pour les étudiants tout d'abord. Toute réforme doit prendre en compte d'éventuels effets sur les politiques menées en faveur de l'enseignement supérieur, alors que le Gouvernement souhaite que la moitié de chaque classe d'âge soit diplômée. La proportion de boursiers est d'environ 30 %. En conséquence, la Cour des comptes est plutôt réservée sur des réformes telles que l'alignement complet des aides sur le système des bourses ou la création d'une allocation d'autonomie sans condition de ressources, dont le coût ne serait pas contrôlable. En revanche, il conviendrait d'étudier la possibilité de mettre fin aux aides personnelles au logement pour les étudiants rattachés au foyer fiscal parental, les familles choisissant alors entre cette aide et la demi-part fiscale. Cette mesure accroîtrait l'équité, dégagerait 120 millions d'euros d'économies et éviterait de limiter les aides personnelles au logement à une fraction limitée des étudiants au regard des objectifs du Gouvernement.
Une deuxième voie consisterait à réduire les inégalités entre parc social et parc privé. Certaines réformes seraient difficiles à mettre en oeuvre. Ainsi en serait-il de l'intégration dans le revenu fiscal de la subvention implicite liée à l'occupation d'un logement social représenterait un montant de 1,8 milliard d'euros. Ce serait irréaliste puisque l'effort fiscal additionnel porterait sur les seuls locataires du parc social. Autre piste écartée en raison de son coût pour les finances publiques, la réduction du taux d'effort net des locataires du parc privé. En revanche, des mesures plus modestes sont envisageables comme celle d'imposer un minimum de participation aux charges de logement pour tous les allocataires.
La troisième orientation générale porte sur la maîtrise globale du coût des aides personnelles au logement. Envisageable, puisqu'il est pratiqué dans d'autres pays comme le Royaume-Uni, le contingentement rend très difficile de gérer des dépenses de guichet : il faudrait disposer de données précises sur les besoins réels au niveau local afin de fixer des enveloppes départementales. Cette gestion serait d'autant plus complexe que les aides à la pierre sont déconnectées des aides à la personne. Les acteurs ne sont en effet pas les mêmes et ils ne dialoguent pas nécessairement territoire par territoire.
Grâce aux études de l'École d'économie de Paris, nous avons examiné certaines réformes systémiques. La première transformerait les aides personnelles au logement en crédit d'impôt sur le revenu ou en impôt négatif. Cela supposerait une déduction partielle ou totale du loyer du revenu imposable. Cette réforme radicale réduirait les inégalités entre locataires des parcs social et privé, mais poserait des problèmes pratiques considérables, d'autant que la gestion de l'impôt sur le revenu est décalée par rapport au paiement des loyers et qu'il faudrait financer le manque à gagner fiscal. Enfin, la simulation fait apparaître une majorité de perdants.
Autre réforme envisageable, le découplage des aides du montant du loyer, comme cela se pratique en Espagne, dégagerait des économies et favoriserait une simplification des barèmes ainsi qu'un rapprochement des aides personnelles au logement des autres prestations sociales. Toutefois, une allocation indépendante des loyers produirait un avantage supplémentaire aux ménages résidant dans le parc social. Un moyen devrait alors être éventuellement trouvé pour préserver une équité entre les deux parcs et la simulation fait apparaître une importante proportion de perdants.
Dernière piste, partir du principe que ces aides sont efficaces en tant que prestations sociales, poursuivre ce raisonnement et aller dans la voie du découplage, afin que les aides personnelles au logement ne soient plus affectées exclusivement au logement. À terme, cela signifie la fusion avec des dispositifs généraux de type RSA. Cette hypothèse rejoint des expériences étrangères : en Allemagne, deux dispositifs fonctionnent conjointement, avec des aides gérées par les Länder et réservées à ceux qui n'ont droit à aucune autre prestation sociale (1 milliard d'euros et 2 % des ménages), et un dispositif d'assistance géré par les communes (15 milliards d'euros et 8 % des ménages). Avec l'Universal credit, le Royaume-Uni prévoit une fusion de quatre prestations sociales et de deux dépenses fiscales d'ici 2019. Selon une microsimulation, une telle réforme n'affecterait directement qu'un tiers des ménages, mais une réforme d'une telle ampleur imposerait de définir précisément le champ des bénéficiaires et la périodicité.
En conclusion, la Cour des comptes constate que les critiques portées à l'encontre des aides personnelles au logement sont nombreuses : multiplicité des objectifs, difficulté à maîtriser l'interaction avec le logement social, inefficacité du zonage, caractère instable et imprévisible des aides pour les bénéficiaires, difficulté de contenir la dépense en période de chômage élevé, caractère en partie inflationniste, problèmes d'équité... En revanche, la principale efficacité de ces aides réside dans leur caractère redistributif, en dépit des inégalités entre les statuts d'occupation des logements.
Les nombreuses réformes de gestion envisageables doivent être analysées à partir de critères de pertinence, d'efficacité et de faisabilité. La Cour des comptes doit se borner à éclairer les choix possibles sans hiérarchiser les solutions. Deux options finales sont envisageables, cantonner les propositions de réforme au dispositif lui-même ou refondre le système. Il y a là une opposition entre le court et le long terme. La première option pourrait déboucher sur des décisions techniques rapides, comme le fait de figer l'aide sur six mois, de simplifier les modalités de calcul, de modifier l'aide apportée aux étudiants, de prévoir une participation minimale aux charges de logement...
La Cour des comptes souligne l'intérêt de ne pas oublier le long terme, à savoir une approche globale qui inclurait les aides personnelles au logement dans l'ensemble des prestations sociales. Les aides personnelles au logement ont en effet été créées il y a plus de quarante ans, dans un contexte économique et social radicalement différent. Afin de mieux répondre aux priorités actuelles et compte tenu de leur efficacité comme instrument de politique sociale, il serait intéressant de rapprocher cet instrument des autres prestations sociales destinées aux personnes à ressources modestes.