Intervention de Jacques Chiron

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 17 septembre 2015 à 9h30
Présentation des conclusions du groupe de travail sur le recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique — Communication

Photo de Jacques ChironJacques Chiron :

L'économie numérique, c'est historiquement et avant tout, aujourd'hui encore, le e-commerce. Celui-ci représente, rien qu'en France, un chiffre d'affaires annuel de 57 milliards d'euros, en hausse de 11 % en un an, et de 1 500 milliards d'euros dans le monde, en hausse de 24 %. Les enjeux financiers sont ici bien plus importants que pour les échanges entre particuliers : il ne s'agit pas de clarifier des règles fiscales, mais de récupérer un manque à gagner considérable, bien qu'impossible à chiffrer, notamment sur la TVA.

Le e-commerce apporte avec lui plusieurs nouveautés. La première d'entre elles est l'éclatement des acteurs. Le problème de la fraude ne concerne pas tant les grands sites de e-commerce - qui s'en tirent déjà très bien grâce à l'optimisation - mais plutôt la multitude des petits vendeurs, difficiles à identifier. Entre ceux qui sont domiciliés ou hébergés à l'étranger, ceux qui interviennent via une marketplace, et ceux qui se cachent derrière un pseudonyme, la tâche est malaisée pour les services de l'État.

Deuxième nouveauté : la fin de la contrainte territoriale, défi de taille pour les systèmes fiscaux, fondés précisément sur le concept de territorialité. Afin d'éviter une évaporation complète des bases fiscales, des régimes spécifiques de TVA ont été mis en place - mais ceux-ci demeurent fondamentalement imparfaits. Pour les ventes de marchandises, les vendeurs européens qui réalisent plus de 100 000 euros de chiffre d'affaires annuel doivent s'enregistrer auprès de l'administration fiscale et acquitter la TVA française. Mais en pratique, ce régime est peu connu, peu utilisé, et surtout peu contrôlé car le pays d'origine, lorsqu'il n'a pas tout à y perdre, n'a en tout cas rien à y gagner. Ainsi, alors que 715 000 sites sont actifs en Europe, seuls 979 sont enregistrés à la DGFiP - et c'était moitié moins il y a deux ans. Pour les services en ligne, un pas important a été franchi le 1er janvier 2015 : la TVA applicable est celle du pays de destination, et non plus du pays d'origine. Mais c'est une arme contre l'optimisation, pas contre la fraude : dans un système déclaratif, ceux qui ne veulent pas jouer le jeu ne risquent pas grand-chose.

Troisième nouveauté : le morcellement des flux physiques. Ici, ce sont les colis en provenance de pays extérieurs à l'Union européenne qui sont concernés. En théorie, leur passage en douane doit donner lieu au paiement de la TVA à l'importation et des droits de douane. Mais le système est là aussi fondamentalement déficient, car les taxes sont calculées sur la seule valeur déclarée. La sous-déclaration est la norme, d'autant que tout envoi déclaré inférieur à 22 euros bénéficie d'une franchise totale. Or, que peuvent quelques dizaines de douaniers pour contrôler les 3,5 millions d'envois en fret express et 37 millions d'envois en fret postal qui arrivent chaque année ? De fait, seulement 1,4 million d'euros de droits et taxes ont été redressés à Roissy sur le fret express en 2014, et pas un seul euro sur le fret postal... Par ailleurs, les douaniers ont d'autres priorités : les drogues, les contrefaçons, les produits prohibés.

Face à ces défis, l'administration manque de moyens. Comme cela a été dit, son droit de communication ne lui permet pas d'obtenir des informations, qui lui seraient pourtant très utiles, auprès des intermédiaires établis à l'étranger. L'administration concentre donc ses efforts sur quelques cas ciblés, les plus faciles et qui représentent les enjeux financiers les plus importants. Mais cette méthode, accomplie par des fonctionnaires compétents, trouve vite ses limites dans le cas du e-commerce, où la multitude des dossiers à faible enjeu l'emporte.

Il faut donc changer de paradigme. Le groupe de travail propose de s'intéresser au seul élément qui puisse véritablement être appréhendé : les flux financiers. De fait, si les vendeurs et les colis se comptent par millions, les transactions, elles, passent par un nombre restreint de grandes banques, souvent françaises, et de quelques moyens de paiement alternatifs - Paypal ou autres. Nous sommes allés à Bruxelles présenter notre projet au commissaire européen Pierre Moscovici, qui s'est montré très intéressé, et nous a assuré que la Commission européenne examinerait avec bienveillance toutes les initiatives innovantes des États membres.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion