Intervention de Patrick Gohet

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 6 mai 2015 à 9h00
« culture et handicap : accessibilité des équipements et des contenus » — Table ronde

Patrick Gohet, adjoint au défenseur des droits, ancien délégué interministériel au handicap :

Je vous remercie, madame la présidente, pour l'initiative de cette table ronde. J'ajoute à mes fonctions actuelles celle de directeur général de l'Union nationale des associations de parents d'enfant inadapté, anciennement UNAPEI, pendant un certain nombre d'années. De fait, je porte un regard croisé sur le handicap.

Pour le défenseur des droits, le handicap est la deuxième cause de discrimination sur les seize principales. Cette discrimination s'opère tout d'abord dans l'emploi public, dans l'accès à la santé, à l'école et à la culture. Malheureusement, les saisines dont le défenseur fait l'objet sont insuffisantes en matière d'accès à la culture. Nous avons entamé avec André Fertier un travail que nous allons approfondir.

On évoque ici la loi de 2005, mais il faut également parler de la convention internationale du droit des personnes handicapées (CIDPH), entrée en vigueur le 20 mars 2010 dans notre pays et qui est plus élevée dans la hiérarchie des normes. Cette convention consacre la culture comme un attribut majeur de la personne handicapée. Le défenseur des droits est en charge de son suivi et de sa mise en oeuvre. Depuis quatre ans, l'Etat français doit produire un rapport sur la mise en oeuvre de cette convention.

Pour replacer la question de la culture dans son contexte juridique d'ensemble, il faut rappeler que la population touchée par le handicap avait, en 1975, appelé des réponses aux besoins particuliers qu'elle avait exprimés. En 2005, la demande est différente : nos concitoyens handicapés demandent à être identifiés, reconnus et considérés comme citoyens à part entière et, à ce titre, appellent d'autres réponses à des problèmes spécifiques. La loi de 2005 a anticipé la CIDPH et établi deux causes à la production du handicap : les déficiences de la personne et l'inadaptation de son environnement aux situations de handicap. C'est une avancée majeure. Ne sont plus uniquement considérées les difficultés de la personne liées à son handicap, mais l'environnement même de la personne. C'est la raison pour laquelle le législateur de 2005 a étendu la dimension accessibilité pour tous les types de handicap et pour toutes les activités dans la cité, en particulier pour la culture. L'accès à la culture est loin de répondre aux besoins spécifiques de chaque personne handicapée. Cette notion doit être incluse dans le projet de vie, mais également dans le plan de compensation, primordial aujourd'hui. Il est temps que les personnels des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) intègrent cette dimension quelle que soit l'activité dans la cité.

Le législateur a souhaité dynamiser le système avec le dispositif Ad'ap. Il faut cependant être vigilant quant aux modalités de sa mise en oeuvre et sur les risques de dérogation.

Faute de prise de conscience et par manque d'initiative, incontestablement, l'accès à la culture est le parent pauvre de la politique du handicap. L'absence aujourd'hui, sans doute justifiée, du ministère concerné en est le témoignage.

La question du handicap est une question culturelle : le regard porté sur la personne handicapée, la place qu'on lui réserve dans la cité, la capacité et les droits qui lui sont reconnus. La boucle sera bouclée quand on aura encouragé l'accès à la pratique de la culture pour nos concitoyens handicapés.

Pr. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d'éthique. - Il me sera difficile de conclure mais je peux peut-être vous donner le point de vue du Comité consultatif national d'éthique. Nous avons été frappés, dans les quelques avis que nous avons rendus et qui concernent spécifiquement la situation des personnes handicapées, en particulier sur les personnes, enfants et adultes, atteintes d'autisme et dans un avis récent sur la situation des personnes non pas en fin de vie mais durant leur dernière période de vie, que ce soient des personnes âgées, handicapées ou malades. Nous avons été frappés par une forme de relégation des personnes en situation de handicap quelles que soient leurs origines. Nous avions même conclu en écrivant qu'une société qui exclut les personnes les plus vulnérables, en raison même de leur vulnérabilité, est une société qui perd son humanité. De ce fait, il y a véritablement une question de fond.

L'accès aux équipements culturels est un problème majeur. La culture permet de vivre. Ce qui nous frappe souvent est que ce qui est mis en place pour les personnes en situation de handicap - d'autant plus lorsque le handicap est profond - sont des moyens de survie et non des moyens de vivre. C'est être nourri, être habillé, être déplacé mais l'accès à la vie, à la relation aux autres, à la création et à la culture, cela correspond à ce qu'il manque le plus. C'est pourquoi, il me semble que l'accès aux équipements culturels est à la fois un problème mais aussi un levier et un symptôme. Il s'agit d'un symptôme du manque d'accès général. Par exemple : la non-accessibilité des lieux d'habitation fait qu'un grand nombre de personnes non atteintes de handicap se retrouvent, en raison de leur âge, obligées de quitter leur habitation et d'aller en particulier dans des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Autres exemples : l'accessibilité des moyens de transport, l'accessibilité à l'emploi et l'accessibilité des bureaux de vote. Je me rappelle, il y a quelques années, d'une enquête qu'avait réalisée l'Association de paralysés de France (APF) pour montrer qu'une proportion non négligeable des bureaux de vote n'était pas accessible aux personnes en situation de handicap moteur. Au fond, il s'agit-là de l'accès aux droits fondamentaux. Et ce que traduit la difficulté d'accès aux équipements culturels est un problème général d'accès aux droits fondamentaux. C'est-à-dire au fait de pouvoir vivre avec les autres parmi les autres. Vivre dans la cité, comme le disait Patrick Gohet. C'est un problème grave. Toutefois, je crois que cela ne peut pas être résolu si on ne s'adresse pas au problème de fond c'est-à-dire à l'accessibilité. Si vous ne pouvez pas vous déplacer, si vous avez des problèmes pour aller dans les lieux publics, si vous avez des problèmes pour aller voter, vous aurez des problèmes pour accéder aux équipements collectifs.

Le problème de l'école nous a toujours paru extrêmement important. S'il n'y a pas d'accessibilité des écoles et s'il n'y a pas de scolarisation des enfants, alors comment parler d'accès à la culture ? D'autant plus si dès le début, en raison des difficultés qu'ont les enfants à s'approprier leur environnement et le monde, on répond par une exclusion de cette capacité à s'approprier l'environnement, le monde et les autres. La question de l'école me paraît fondamentale. Je ne crois pas qu'on puisse avoir de politique d'accès à la culture si on a une politique de restriction à la scolarisation. Notons le faible effectif de personnes en situation de handicap à l'université par rapport à nos voisins européens. Les choses s'accumulent. Au fond, l'accès à la culture c'est aussi l'accès à tous les âges à l'université, indépendamment des cursus scolaires habituels. C'est la raison pour laquelle je crois que la question de l'école, première forme d'accès à la culture, est extrêmement importante.

La convention de l'Organisation des nations unies (ONU) du 13 décembre 2006, à laquelle Patrick Gohet faisait allusion, que la France a ratifiée il y a maintenant cinq ans, énonce que le handicap ne résulte pas seulement des problèmes physiologiques ou psychologiques de la personne mais des obstacles que la société met à l'accès de ces personnes à leurs droits fondamentaux. Voilà pourquoi je pense qu'en mettant l'accent sur l'accès aux droits fondamentaux on inclut la culture sans se focaliser spécifiquement dessus. Selon moi il n'y a pas d'accès à la culture sans libertés. J'avais trouvé très inquiétant le dernier rapport de l'Observatoire national de la fin de vie (ONFV) qui indiquait que 70 % des personnes qui sont en EHPAD le sont contre leur volonté. Et l'interrogation du contrôleur des lieux de privation de liberté, sur le fait de savoir s'il fallait ou non visiter les EHPAD considérés comme de tels lieux, m'a également inquiété. Encore une fois, je crois que s'il n'y a pas de liberté d'aller et venir et de liberté de construire ses choix, l'accès à la culture devient illusoire.

De surcroît, si l'accès des personnes aux lieux culturels est un sujet de préoccupation, il en existe un autre, le fait que les initiatives culturelles puissent venir jusqu'à ces personnes, là où elles sont. Je pense à la fois à Internet, l'audiovisuel, la lecture et tout ce qui permet d'amener la culture. Sans oublier, entre les deux, le problème des auxiliaires de vie et des auxiliaires de vie scolaire, c'est-à-dire la possibilité de créer une interface, d'accompagner les personnes de telle manière qu'elles puissent avoir l'autonomie ou disposer de l'autonomie qui leur manque. D'ailleurs, à ce sujet on parle beaucoup en France d'aidants familiaux. Or, dans un certain nombre de pays comme la Suède et d'autres aussi, les aidants familiaux apportent une aide affective, culturelle et une forme de relation aux autres. En revanche, souvent l'aidant familial en France intervient en substitution aux auxiliaires de vie ou auxiliaires de vie scolaire, en nombre insuffisant. Au lieu de faciliter l'ouverture de la personne handicapée sur le monde, ce phénomène encourage le repli sur soi et accroît sa vulnérabilité. Penser l'accès à la culture c'est penser le statut et la formation de ces personnes qui, paradoxalement dans notre pays contrairement à d'autres, comptent parmi les personnes les plus précaires et les plus vulnérables. De plus, il est assez paradoxal qu'une société demande aux personnes les plus précaires de s'occuper des personnes les plus vulnérables. Il faut donc mener une réflexion sur ce problème de l'accompagnement.

Au niveau du contenu il me semble, bien que vous ayez indiqué que cela fera l'objet d'une autre réflexion, qu'on ne peut pas penser le contenu si on n'aborde pas le rôle de la personne dans ce contenu. Si la question de l'accès à la culture et la question des droits fondamentaux et de leur accès sont importantes, il faut que la personne puisse être actrice, autant que faire se peut, de son accès à la culture. Et donc, qu'il s'agisse d'ateliers, de cours, de participations à des initiatives par exemple de peinture, de musique ou de théâtre, il faut que la personne puisse être actrice. Je pense au théâtre du vécu par exemple où des personnes malades ou en situation de handicap écrivent une pièce, la mettent en scène avec l'aide de metteurs en scène professionnels, la font jouer par des acteurs, deviennent spectateurs. C'est-à-dire que ces personnes font des problèmes fondamentaux de leurs vies une aventure culturelle et ainsi s'approprient ce qu'elles ont vécu et ce qu'elles ont subi.

Un mot sur le concept de « projet de vie » ou de « projet de soin ». Je trouve un peu réducteur cette notion de « projet de vie ». Je pense que si on demandait à chacun d'entre nous d'établir un projet de vie on considérerait que c'est un peu restrictif. Et je crois que c'est intéressant du point de vue de la culture parce que cela omet cette dimension essentielle de la culture qui est de pouvoir se construire en permanence, évoluer et se transformer. Donc un projet de vie, oui, mais je crois que les véritables projets de vie sont des projets rétrospectifs. Ce qui compte, c'est la capacité que l'on donne aux personnes, au fur et à mesure qu'elles évoluent, de s'approprier ce qu'elles vont faire. L'accès à la culture devrait être considéré comme un moyen de s'approprier et de construire ses propres choix. C'est intimement lié à la notion d'autonomie. Roland Barthes disait que l'art, en littérature, ce n'était pas les livres que l'on dévorait mais ceux qu'on avait l'impression d'être en train d'écrire pendant qu'on les lisait. N'oublions pas la dimension créatrice de la culture. Elle n'est pas simplement quelque chose que l'on subit ou dont on bénéficie. C'est un processus duquel on devient acteur.

Un mot encore sur les initiatives. Ce qui me frappe, et qui nous frappe au Comité depuis longtemps, c'est qu'il existe d'extraordinaires initiatives en France. Elles sont trop souvent locales et la grande difficulté est de les rendre accessibles à tous. Or, s'il n'y a pas d'accessibilité à tous, la notion même d'égalité perd son sens. Un des grands problèmes est donc de faire en sorte qu'au sein de cette créativité, qui existe à tous les niveaux dans notre pays, on puisse permettre à des initiatives individuelles ou locales d'être transférées lorsqu'elles font preuve de leur efficacité.

Le dernier point, et je suis tout à fait d'accord avec Patrick Gohet, c'est un problème de société et donc paradoxalement c'est un problème culturel. Ce que nous pensons depuis longtemps. Indépendamment de sa dimension politique et économique, il s'agit vraiment d'un problème culturel.

Je conclurai en disant que l'accessibilité aux équipements et aux contenus relève de l'accès au droit des personnes handicapées, c'est bien à ce niveau qu'il faut poser le débat, qu'il faut évaluer les mesures prises, ou bien on court le risque de ce que mon prédécesseur Didier Sicard appelait « un alibi éthique ».

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