Intervention de Patrick Gohet

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 6 mai 2015 à 9h00
« culture et handicap : accessibilité des équipements et des contenus » — Table ronde

Patrick Gohet, adjoint au défenseur des droits, ancien délégué interministériel au handicap :

Il faut éviter de sanctuariser la politique du handicap car il s'agit d'une politique d'intérêt général. On a beaucoup parlé de lois spécifiques telles que celle de 2005. Il serait peut-être plus intéressant d'intégrer la problématique du handicap dans toutes les lois en préparation et de s'interroger sur les mesures à prendre dans ces textes de portée générale. Par ailleurs, on opère des comparaisons avec les autres pays. Ainsi, en Suède, on voit beaucoup plus de personnes handicapées moteur dans la rue qu'en France. L'accessibilité est réussie. Il faut néanmoins savoir que l'approche du handicap varie selon les pays. En France, la politique du handicap concerne l'ensemble de la population handicapée, du handicap le plus léger au handicap le plus lourd. Dans les pays scandinaves et du Nord de l'Europe, les personnes polyhandicapées relèvent de l'équivalent pour nous de la politique de la dépendance. Il faut donc s'interroger sur le périmètre des politiques en question avant de faire des comparaisons.

Je voudrais également revenir sur un sujet que j'ai abordé trop rapidement précédemment : tout en tenant compte des spécificités, il faut s'éloigner des politiques populationnelles et recourir davantage à des politiques thématiques. Sans revenir en détail sur l'exemple que j'ai développé tout à l'heure, j'attire votre attention sur la similarité des réponses à apporter à certaines personnes handicapées moteur et aux personnes non handicapées mais vieillissantes et perdant leur autonomie. Cela permettrait d'être plus efficace et pourrait avoir un impact sur les coûts.

En ce qui concerne l'évaluation de la loi de 2005, il y a déjà eu plusieurs conférences nationales du handicap destinées à rassembler les acteurs concernés pour faire le point sur l'état d'avancement de la loi et ses éventuels manquements. Toutefois, et je le dis d'autant plus librement que j'ai assisté à la première conférence en tant que délégué interministériel aux personnes handicapées, ces conférences n'ont pas atteint le but qui était recherché et ressemblent plutôt à des grands-messes dans lesquelles défilent les ministres concernés. Or, je rappelle qu'à l'origine et l'initiative d'une sénatrice d'ailleurs, il avait été prévu que, tous les trois ans, la loi ferait l'objet d'un bilan à travers un rapport du Gouvernement au Parlement. En outre, les deux chambres étaient fortement incitées à organiser à cette occasion un débat sur le sujet.

Madame Levasseur, la saisine du défenseur des droits peut se faire soit par l'intermédiaire d'un délégué - ils sont 450 sur le terrain, on peut les rencontrer en mairie, dans les maisons de justice ou en préfecture - soit directement par la victime de discrimination. C'est la seule institution dans ce pays qui pratique l'inversion de la charge de la preuve. C'est à la personne ou la collectivité mise en cause d'établir que l'acte qu'elle a accompli n'est pas, contrairement à ce qu'en a pensé la personne, source de discrimination.

Il y a une deuxième fonction qui est celle du dialogue avec la société civile. Le défenseur a réuni hier un comité handicap qui se réunit deux ou trois fois par an. Nous avons la faculté de faire des recommandations. Nous avons d'ailleurs écrit à tous les maires de France, aux présidents de conseils généraux avant les élections des conseils départementaux. Nous avons eu des retours de la part de nos délégués sur la mise en oeuvre des recommandations qui leur étaient adressées. Globalement des efforts et des améliorations très sensibles sont accomplis. Les choses ont progressé. L'état d'esprit a évolué. La place du handicap dans les préoccupations collectives est plus importante qu'elle ne l'était il y a dix ans. On a progressé, c'est indéniable. On a toujours intérêt à commencer par saluer les progrès réalisés et les efforts accomplis afin de rendre justice à celles et ceux qui les ont accomplis et éviter de décourager ceux qui s'apprêtent à en faire ou qui n'ont encore rien fait. Il faut avoir une vision positive, d'autant plus que les réponses que l'on apporte aux handicapés constituent du mieux être et du mieux vivre pour beaucoup. C'est vraiment une politique d'intérêt général qui appelle une approche moderne et rénovée.

Pr. Jean-Claude Ameisen. - Il faut concilier les deux dimensions : la fierté de ce qui a été accompli et l'appréhension de ce qui n'a pas encore été accompli, tragique aux yeux de ceux qui en souffrent.

On a créé le terme de dépendance qui, j'espère, sera abandonné. La dépendance concerne toute personne en situation de handicap qui a plus de 60 ans. Donc si vous êtes paraplégique et que vous avez 40 ans, vous êtes un citoyen ou une citoyenne. Si vous êtes paraplégique et avez plus de 60 ans, vous entrez dans une catégorie très particulière qui est la personne dépendante. C'est comme si l'accentuation de la vulnérabilité rangeait dans une catégorie à part. L'hébergement ou l'accompagnement d'une personne dépendante s'effectue à ses frais, contrairement à une personne handicapée qui a 40 ou 20 ans, qui relève de la solidarité nationale. L'addition des vulnérabilités que l'on traduit par le terme de dépendance, veut dire plus vulnérable que les autres et se traduit, d'un point de vue sociétal, par une diminution de la solidarité.

S'agissant des institutions et de la maltraitance passive, une des questions importantes à moyen terme est : est-ce que passer sa vie dans une institution n'est pas, en soi, une forme de maltraitance ? Peut-il y avoir une citoyenneté, une égalité des droits et des chances lorsque l'on vit à l'écart de la société ? Et si une institution n'est plus un lieu de vie à l'écart de la société, c'est un changement profond dans la conception de l'institution. Ce n'est pas un problème économique mais culturel, même si le basculement d'un système fondé sur l'institution à un système d'accompagnement à domicile peut poser des difficultés économiques importantes qui doivent être pris en compte.

Il est frappant que l'allocation adulte handicapé soit sous le seuil de pauvreté. C'est un problème économique majeur.

En 2007 ou 2008, pour connaître le nombre de personnes atteintes d'autisme en France, il nous a fallu transposer des études européennes, américaines, canadiennes et japonaises. Il n'existait pas de données en France. On ne peut pas évaluer l'application des mesures si on ne connaît même pas le nombre de personnes touchées.

Une suggestion : si vous faites un état des lieux, élargissez le regard au-delà de nos frontières, cela permettra de regarder de manière plus sereine et de façon plus aiguë des problèmes qui finissent par nous échapper tant nous sommes habitués à leur existence.

Si une mission d'information pouvait comporter des représentants d'associations européennes de personnes handicapées, toute une série de solutions apparaîtrait ou pourrait être prise en compte.

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