Jusqu'en 2006, nous disposions du logiciel Signa, créé, à l'initiative de Claude Allègre, pour recenser toutes les actions de violence à l'école. Le dispositif a été supprimé en 2008 sans justification. Entre 2005 et 2006, on a recensé 85 000 incidents graves, dont 24 390 violences physiques sans armes, 21 000 insultes et menaces, et 1 611 violences avec armes, sans parler du trafic de drogue, des viols, etc. Et, sans parler non plus de ce phénomène dévastateur qu'est le racket, aux portes de l'établissement scolaire. En matière de violence, toutes les difficultés se créent et s'enkystent à l'école primaire. Elles deviennent visibles au collège, car c'est le temps de l'âge remuant. Les professeurs n'ont que leur autorité naturelle pour y répondre. Que peuvent-ils faire lorsqu'un élève ne se présente pas à ses heures de colle ? Le renvoi temporaire de l'établissement est-il une sanction bien efficace, quand l'absentéisme des élèves est chronique ? C'est un cautère sur une jambe de bois. Les professeurs sont démunis ; leur autorité ne peut s'appuyer sur aucune sanction. La situation est différente dans les établissements privés, où l'on renvoie les enfants à tour de bras, garantissant ainsi un taux exceptionnel de réussite au bac. Ce n'est pas possible dans l'enseignement public.
Pour redonner sens à la notion de sanction, il faudrait développer les travaux d'intérêt public au sein des collèges, en veillant à ce que les élèves qui refusent de les accomplir aient à répondre de ce comportement, en impliquant au besoin leurs parents. La proposition d'Éric Ciotti a été mal comprise. Il ne s'agissait pas de supprimer systématiquement les allocations familiales en cas d'absentéisme des élèves, mais de cibler la sanction sur les parents qui manifestent clairement leur mauvaise volonté par rapport à l'école, ceux qui en viennent à insulter voire à frapper les enseignants. Il n'y a pas d'autorité sans sanction.
Le problème de la violence doit aussi être traité en amont. C'est souvent après avoir connu l'échec pendant des années que les adolescents finissent par devenir violents. Dans l'étude que nous avons publiée avec l'amiral Béreau, nous avons comparé les chiffres fournis par les journées d'appel à la préparation de la défense (JAPD) et ceux du ministère de l'éducation nationale. On compte 35 % d'élèves en difficulté de lecture à l'entrée en sixième, et tout autant lors des JAPD. L'illettrisme est un problème majeur. La seule solution serait de dédoubler les classes de CP pour que les maîtres puissent corriger la situation. Le constat est clair : 80 % des élèves qui n'ont pas appris à lire au CP n'apprendront jamais à lire. C'est la voie royale vers l'échec scolaire.
Une autre solution consisterait à développer des classes en alternance entre collège et lycée professionnel ou entre collège et entreprise. Loin de moi cependant l'idée de vouloir casser le collège unique. L'alternance donnerait aux élèves la possibilité de découvrir des métiers différents, la taille de pierre au lycée d'Arras, ou la navigation fluviale au lycée de Strasbourg. Nous ne sommes pas au XIXe siècle et l'idée n'est pas de former de petits ouvriers de treize ans. C'est pourquoi, les élèves devront poursuivre dans l'enseignement général aussi loin que possible, ne serait-ce que pour pouvoir passer un bac professionnel. Ce système fonctionne. Il peut sauver la vie de certains enfants. Cela fait douze ans que je le répète, au point d'être lassé de mon radotage. On pourrait ainsi régler 80 % des problèmes d'incivilité et de violence.
Quant à l'enseignement du fait religieux, nous l'avons mis en place avec Dominique Borne, dans les programmes de sixième et de seconde. Les professeurs d'histoire et de lettres sont invités à travailler ensemble, avec l'obligation de faire lire à leurs élèves les grands textes religieux. J'ai eu l'occasion de discuter du sujet avec le cardinal Lustiger. Nous étions tombés d'accord sur l'idée que l'enseignement du fait religieux ne pouvait pas constituer une discipline en soi, à moins de convoquer des prêtres, des imams ou des rabbins en lieu et place des professeurs d'histoires, ce qui n'est pas souhaitable, car il ne s'agit pas d'un enseignement confessionnel. Quoi qu'en dise Régis Debray, avec qui nous étions pourtant d'accord, l'enseignement du fait religieux existe bel et bien aujourd'hui, en sixième et en seconde.
En matière de violence à l'école, les 85 000 incidents graves recensés par Signa ne sont que le sommet de l'iceberg. Les chefs d'établissement sont souvent réticents à signaler les difficultés, par peur de donner une mauvaise image de leur collège.